Par Redazione | 29/07/2025 12:33
Cette année encore, jusqu'au 31 août 2025, la ville de Nantes en France se transforme en scène pour Le Voyage à Nantes : L'Étrange Été, l'événement artistique qui anime chaque année ses rues. L'édition de cette année, conçue par Jean Blaise, fondateur de l'événement, avec ses équipes de projet, invite le public à explorer la ville sous le signe de l'Étrangeté. Une lecture de Nantes intrinsèquement liée à son histoire et à sa contemporanéité, où la ville elle-même orchestre une sorte de "cacophonie hétéroclite" capable d'entraîner le flâneur, pour peu qu'il y prête attention, sur des chemins inattendus. L'essence de cet "étrange" réside dans la capacité des œuvres d'art à orchestrer des rencontres improbables, subvertissant les hiérarchies et les codes établis, comme cela se produit dans un carnaval, où ce qui est vu et sa signification peuvent sembler incertains. L'hybridation, le déplacement et la narration deviennent des outils privilégiés pour les artistes afin de capturer le véritable mystère de la ville.
De nombreux thèmes sont explorés dans cette édition. À commencer par les réflexions sur le pouvoir et la mémoire, un thème exploré par Iván Argote et Willem de Haan. Argote, artiste colombien dont le travail s'articule autour de ces notions et de celle d'identité, remet en question les récits historiques dominants en proposant des versions alternatives, souvent empreintes d'humour et de poésie. À Nantes, dans la rue piétonne Joffre, il a été saisi par la perspective qui s'ouvre sur la majestueuse colonne de la place Maréchal Foch depuis l'église Saint-Clément. Son œuvre, Antípodos, se compose de deux sculptures en bronze représentant des personnages aux pieds en arrière, placés aux extrémités de la zone piétonne de la rue Maréchal-Joffre. Ces figures anonymes défient la gravité, "agressant" à la fois la façade d'un immeuble banal et la colonne de Louis XVI, l'un des rares monuments en France à lui être dédié. Argote pousse le reflet plus loin en créant une illusion d'optique qui fait "disparaître" la sculpture de Louis XVI au moyen d'une structure en miroir, un geste qui reconnecte l'œuvre à l'histoire même de la colonne, restée sans statue pendant des décennies en raison de l'instabilité politique entre 1790 et 1823. Ce dispositif nous invite à reconsidérer la présence de symboles monarchiques dans l'espace public, en recentrant l'attention sur la ville en mutation et ses dynamiques sociales. De même, Willem de Haan, un artiste néerlandais qui étudie notre relation avec l'espace public et les structures urbaines, propose Latest Version pour l'historique Place Royale. Son projet actualise la fontaine monumentale du XIXe siècle en remplaçant les statues allégoriques d'origine par des figures hyperréalistes d'habitants actuels de Nantes, choisis pour leur profession, leur engagement et leur lien avec la transformation de la ville au XXIe siècle. Quatorze personnages incarneront les cinq rivières du territoire et huit secteurs d'activité emblématiques, reflétant les évolutions récentes de Nantes. Les sculptures originales ne seront pas déposées, mais recontextualisées dans une structure évoquant les réserves d'un musée, soulignant le dialogue entre passé et présent et la résilience de la ville.
De nombreux artistes se confrontent alors à la relation entre l'homme, la nature et le vivant. Gloria Friedmann, dont le travail est empreint de préoccupations écologiques et d'un dialogue permanent entre l'homme, l'animal et la nature, présente deux installations. A la HAB Galerie, Combien de terres faut-il à l'homme ? s'inspire du roman de Tolstoï sur l'avidité humaine, nous invitant à réfléchir sur les problèmes environnementaux et les dangers de la civilisation moderne. L'exposition, un itinéraire qui s'assombrit progressivement, présente des œuvres telles que Le Regardeur avec des yeux d'ammonites millénaires, et Cobaye, un homme de terre avec une tête gigantesque qui l'empêche de bouger, entouré de sphères de terre, symbolisant l'appétit insatiable de l'homme. Parallèlement, dans la cour de l'hôtel de Châteaubriant, Carnaval de la famille Durand présente dix personnages hybrides de taille humaine avec des têtes d'oiseaux exotiques, un "nouveau spécimen hybride homme/oiseau" qui rappelle les traditions carnavalesques et l'histoire de Nantes liée au commerce triangulaire et à l'exotisme.
Prune Nourry, fascinée par les mythes de la création, les origines et le fonctionnement du corps féminin, présente Mothership sur la place Graslin. Cette sculpture monumentale de près de 17 mètres de long prend la forme de coques de bateaux renversées, évoquant le passé portuaire de Nantes, l'un des plus anciens ports de France. Constituée de structures métalliques, l'œuvre est traversable, permettant au public d'entrer dans son "ventre", un geste qui rappelle les Temazcales préhispaniques, huttes symbolisant la régénération. Éléonore Saintagnan, avec Vies de bêtes au Passage Sainte-Croix, interroge les rapports entre réalité et fiction, culture populaire et philosophie à travers la cohabitation homme-animal. L'exposition comprend Giant Fish, une immense marionnette de poisson hyperréaliste qui semble s'être échouée, inspirée d'une parabole anticapitaliste et antimilitariste, et une vidéo qui la montre agonisant dans un paysage apocalyptique, évoquant un cycle sans fin de résurrection. Laurent Tixador, un artiste qui se définit comme un "bricoleur et un expérimentateur" et qui explore le concept de la cabane comme forme de résistance et de liberté, propose Épilogue sylvestre (Terminus forêt - Retour aux forêts) axé sur la construction de "cabanes" avec des matériaux de rebut, par exemple des déchets de bois provenant d'élagages récents et de tempêtes, avec la collaboration d'étudiants en architecture et en beaux-arts de Nantes. L'œuvre, exposée au Parc de Procé, sera ensuite photographiée et reproduite sous forme d'autocollant sur un tramway circulant dans la ville. Un espace est également consacré au cduo Maison Pelletier Ferruel (Aurélie Ferruel et Stéphane Pelletier) menant au Jardin des Plantes Trouver les égards. Après avoir signalé les arbres remarquables de la ville lors de l'édition 2024, ces "bijoux" de verre décoratif, inspirés par la nature et les créatures symbiotiques, seront concentrés sur la "montagne" du Jardin des Plantes, dans un secteur de conifères offrant une vue privilégiée sur l'ensemble du jardin. Cachés parmi les branches ou suspendus sur un chemin, ces bijoux deviennent partie intégrante d'un paysage façonné par le temps, l'homme et la nature, invitant à une exploration sensible de cette partie historique du jardin.
L'étrangeté se manifeste également dans la réinterprétation des espaces et des perceptions. Jenna Kaës transforme le Dispensaire Jean V du musée Dobrée, exemple précieux de l'architecture hospitalière du début du XXe siècle, en Aurarium, un reliquaire contemporain. L'installation explore le mysticisme et la matérialisation du spirituel, en s'inspirant de l'univers du cinéaste David Lynch et des symboles fantastiques de l'architecture nantaise, tels que les décors du Château des Ducs de Bretagne, le Passage Pommeraye ou le bestiaire du Palais Dobrée. Des objets historiques du musée Dobrée, comme le cœur d'Anne de Bretagne (une boîte en or contenant le cœur de la défunte), cohabitent avec de nouvelles créations, recréant les codes des reliquaires et des cabinets de curiosités, établissant un dialogue entre le passé et le présent. Flora Moscovici, avec Peinture Tolérance Toujours dans la rue de l'Héronnière, crée une peinture in situ qui dialogue avec une façade Art déco. L'artiste est connue pour ses peintures qui se développent dans l'environnement à partir de l'observation de détails qui stimulent l'imagination. Prolongeant les couleurs de la façade au sol et aux socles, l'œuvre, réalisée avec des peintures à la chaux et des pigments, évolue avec la lumière et le temps, s'effaçant sous l'effet des éléments naturels et des pas des passants.
Elle se poursuit avec les œuvres de Romain Weintzem, sculpteur qui questionne la domination et l'autorité à travers des œuvres mêlant humour et critique sociale, et qui présente deux installations. Au Lycée Clemenceau, entre la rue de Richebourg et la rue Clemenceau, La Mauvaise Troupe déploie sur les murs du lycée des personnages camouflés avec des instruments de fanfare. Cette œuvre est un hommage au groupe d'étudiants subversifs SARS et à leur revue "En route mauvaise troupe", publiée en 1913, dont les actions antimilitaristes et antipatriotiques ont fait scandale et sont considérées comme le premier acte du surréalisme. Sa deuxième installation, Le Bruit des bottes, montre une trentaine de paires de bottes militaires qui descendent les marches d'un escalier, guidées par des chaussures de clown, tandis que leurs propriétaires restent invisibles. L'expression "Le Bruit des bottes" qualifie la montée de l'autoritarisme.
Aurélie Ferruel et Florentine Guédon, avec Bras dessus, bras dessous au Parc des Oblates, réinventent le jeu d'échecs à grande échelle, le transformant en un espace d'exploration collective où la compétition fait place à la coopération. Les artistes étudient les formes de transmission et les contes populaires depuis 2019. L'échiquier est une sculpture/peinture qui représente une cartographie vivante de la biodiversité locale, éclairant les dynamiques naturelles qui façonnent le territoire.
L'été à Nantes, c'est aussi plusieurs expositions dans les musées. Le Musée d'arts de Nantes, en collaboration avec le Buffalo AKG Art Museum (USA), présente Electric Op. De l'art optique à l'art numérique, également visible jusqu'au 31 août 2025. Cette exposition explore les liens entre l'art optique (Op Art) des années 1950 et 1960, avec des représentants tels que Victor Vasarely, Yaacov Agam et Bridget Riley, et l'art vidéo et informatique (new media art) jusqu'à aujourd'hui. L'objectif est de montrer comment l'Op Art, considéré comme la première esthétique de l'ère de l'information, a influencé la création contemporaine et comment les artistes du mouvement ont utilisé les nouvelles technologies pour amplifier leurs possibilités créatives. L'exposition rassemble plus de 80 œuvres, dont des peintures, des sculptures et des vidéos, mettant en évidence les liens entre ces mouvements artistiques.
Le Lieu Unique accueille également In silentio, une exposition de Jeanne Vicerial et Claire Marin, jusqu'au 31 août 2025. L'exposition est née de la rencontre entre la tisserande Jeanne Vicerial et la philosophe Claire Marin, qui explorent le secret, les chuchotements intérieurs et les mots produits par le silence. À travers des sculptures textiles énigmatiques, l'exposition présente des figures hybrides qui échappent aux catégories de genre ou d'espèce, telles des sentinelles fières et muettes, interrogeant nos corps et leurs transformations, leur appartenance au passé ou à l'avenir.
L'Île de Nantes s'anime avec le Campus Créatif, un parcours scolaire révélant les coulisses de l'innovation et de la création face aux questions de transition environnementale et sociale. L'ENSA Nantes Université expose Notre deuxième maison, une immersion intime dans les espaces de travail des étudiants en architecture, racontant l'histoire de la fabrique pédagogique de l'architecte de demain. L'École des Beaux-Arts Nantes Saint-Nazaire présente All Over, des créations d'étudiants de dernière année inspirées par un voyage d'étude à Marfa au Texas, des œuvres d'Eugénie Zély et de Clément Laigle, ainsi que des sélections de travaux issus des cours publics. Halle 6 Ouest - Nantes Université dévoile Ceci n'est pas un pont, fruit d'un travail collectif interdisciplinaire : un pont de Léonard de Vinci en construction, symbole des modes de production de demain, présentant toutes les étapes de réflexion, de conception et de fabrication. Les Écoles Créatives ESMA-CinéCréatis vous invitent à L'Étrange Atelier du cordonnier, une installation qui joue avec l'illusion de chaussures imprimées en 3D évoquant l'artisanat sans l'usure du cuir.
Enfin, le Château des ducs de Bretagne accueille l'exposition Hokusai, chefs-d'œuvre du musée Hokusai-kan d'Obuse, jusqu'au 7 septembre 2025. Cette exposition, en partenariat avec le musée Hokusai-kan au Japon, se concentre sur des thèmes chers au grand maître japonais, tels que son rapport à la nature, l'eau, les vagues, le Mont Fuji (son sujet de prédilection tout au long de sa vie), ou encore les figures traditionnelles de beautés et d'acteurs de Kabuki de l'ère Edo. C'est l'occasion d'admirer un nombre important d'œuvres originales, dessins et peintures, dont certaines sont exposées pour la première fois en Occident. Nantes, avec son histoire et son évolution constante, veut ainsi devenir le terrain fertile d'un dialogue artistique qui stimule la perception et invite à la remise en question des conventions, transformant la promenade estivale en une sorte d'aventure au cœur de l'étrangeté contemporaine.