Un monstre juridique erre en Italie : le droit à l'image des biens culturels


Les dernières controverses italiennes sur l'utilisation commerciale des images du David de Michel-Ange (affaires GQ et Brioni) et de l'Homme de Vitruve de Léonard de Vinci appellent à une réflexion approfondie sur tous les aspects du droit à l'image des biens culturels.

Les derniers litiges italiens sur l’utilisation commerciale des images du David de Michel-Ange (affaires GQ et Brioni) et de l’Homme de Vitruve de Léonard (affaire Ravensburger) ont émergé judiciairement au moment même où la reproduction de l’image de la Vénus de Botticelli pour la campagne publicitaire Open to Wonder du Ministère du Tourisme déclenchait une vive polémique avec en toile de fond le rôle de l’Etat en tant que gardien du patrimoine culturel (de l’humanité).

Les décisions des tribunaux de Venise et de Florence sur ces controverses s’inscrivent dans la ligne de pensée qui délimite un droit exclusif à l’image du patrimoine culturel1 pour l’État italien. La protection de ce droit exclusif aurait des finalités économiques (perception des droits de concession et de reproduction) et non patrimoniales (évaluation de la compatibilité de l’utilisation de l’image avec la finalité du bien culturel). Cette ligne de pensée est reflétée dans certains précédents jurisprudentiels et dans les politiques réglementaires récentes du ministère de la culture2.

Il convient de noter qu’il ne s’agit pas seulement de la reproduction effectuée sur le site où le bien est conservé, mais aussi de la reproduction d’une copie trouvée par un tiers (par exemple, en téléchargeant l’image sur Wikipédia).

Ce qui unit les décisions des tribunaux italiens, c’est l’extrême confusion conceptuelle. Selon l’interprétation aventureuse des juges, le droit exclusif serait fondé sur le lien entre le Code des biens culturels (art. 107-108) et le Code civil (art. 10). Il s’agirait notamment du lien entre le pouvoir de l’État de contrôler la reproduction des biens culturels et le droit à l’image de l’État.

L’imbrication d’aspects non patrimoniaux et patrimoniaux, comme le mélange d’instruments juridiques publicistes (le code du patrimoine culturel) et privatistes (les droits de la personnalité du code civil), ainsi que la référence fétichiste à l’innocent article 9 de la Constitution voilent la réalité de l’image de l’État. 9 de la Constitution voilent les véritables intérêts en jeu et les objectifs de cette nouvelle forme de pseudo-propriété intellectuelle qui voudrait établir à la tête de l’État le pouvoir de contrôler exclusivement l’utilisation commerciale des images du patrimoine culturel.

Il ne s’agit pas d’une noble bataille du secteur public contre la falsification de l’authenticité, la déformation de l’identité culturelle du passé (de la nation ?) ou l’impact des sensibilités collectives contemporaines ou, encore, contre le pouvoir des grandes technologies et des plateformes web dans le contrôle de la dimension numérique du patrimoine culturel (qui, cependant, est largement sous-estimé même en référence à l’intelligence artificielle).

Léonard de Vinci, Les proportions du corps humain selon Vitruve -
Léonard de Vinci, Les proportions du corps humain selon Vitruve - “L’homme de Vitruve” (vers 1490 ; pointe métallique, plume et encre, touches d’aquarelle sur papier blanc, 34,4 x 24,5 cm ; Venise, Gallerie dell’Accademia)

L’objectif est tout autre : l’État italien entend entrer sur le marché des images de biens culturels. C’est ce qui ressort de l’acte d’adresse concernant l’identification des priorités politiques à mettre en œuvre en 2023 et pour la période triennale 2023-2025 (décret ministériel n° 8 du 13 janvier 2023). 8 du 13 janvier 2023), ainsi que des "lignes directrices pour la détermination des montants minimaux des droits et redevances pour la concession de l’utilisation des biens confiés aux instituts et lieux de culture de l’État du ministère de la culture (décret ministériel n° 161 du 11 avril 2023)"3. L’espoir est de drainer de l’argent pour renflouer les caisses du secteur public. Peu importe (pour les promoteurs du droit exclusif à l’image des biens culturels) que cette opération se fasse au prix d’un piétinement des principes juridiques fondamentaux et en contradiction avec les politiques d’ouverture du patrimoine culturel. Une telle opération entraîne en effet

  1. l’évaporation du domaine public par le biais d’un monstre juridique (une pseudo-propriété intellectuelle qui échappe à l’équilibre législatif propre aux droits exclusifs sur les biens incorporels) ;

  2. viole le principe du nombre fermé de droits de propriété intellectuelle ;

  3. entre en conflit direct avec le droit de l’Union européenne et le droit international ;

  4. multiplie de manière exponentielle les coûts de transaction ;

  5. ne garantit pas plus de bénéfices qu’un régime de libre utilisation, comme l’a relevé la Cour des comptes il y a seulement un an (Résolution n° 50/2022/G) ;

  6. elle est très vague et interfère avec les droits et libertés fondamentaux tels que le droit à la culture et à la science et la liberté d’expression et d’information.

Les vicissitudes italiennes du droit à l’image du patrimoine culturel peuvent être relues à l’aune de l’hétérogénéité la plus classique des finalités. Les normes publicistes réglementant la reproduction par l’image des biens culturels visaient à contrôler l’utilisation rivale des espaces dans lesquels se trouvent ces mêmes biens et conservent une finalité de protection de l’intégrité physique du bien lorsque les nouvelles technologies n’offrent pas d’alternative au contact physique avec l’objet matériel. À ces fonctions s’ajoute le pouvoir de l’État de demander des redevances et des taxes lorsqu’un service à valeur ajoutée tel que la fourniture d’images à haute définition à des particuliers est offert. Dans tous ces cas, la raison d’être de la règle reste valable. La tentative acrobatique de dériver une pseudo-propriété intellectuelle ou un pseudo-droit d’exploitation commerciale de la notoriété du bien culturel, afin de contrôler (également) la reproduction indirecte ou la copie de la copie (comme mentionné ci-dessus, la reproduction d’une image publiée sur Wikipedia) n’a aucun fondement solide ni dans le droit positif ni dans la politique du droit.

Si le droit à l’image du bien culturel devait être consolidé dans notre système juridique, il en résulterait une restriction indue du domaine public de l’humanité et des biens communs de la connaissance, une distanciation de notre pays par rapport au mouvement planétaire promouvant l’accès ouvert à la culture, et un bruit interprétatif inutile annonciateur de coûts transactionnels, administratifs et juridictionnels. Sans compter que la compatibilité de ce droit avec les cadres réglementaires internationaux (en référence au droit à la culture et au droit à la science) et européens (en référence aux politiques sur la science ouverte, le droit d’auteur et l’ouverture des données du secteur public) reste quelque peu douteuse.

On ne peut qu’espérer. Il doit bien y avoir un juge à Berlin... pardon, à Rome, à Luxembourg et à Strasbourg.

Notes

1 Sur les affaires Ravensburger et GQ, voir R. Caso, Il David, l’Uomo Vitruviano e il diritto all’immagine del bene culturale : verso un’evaporazione del pubblico dominio ? in Foro it. 2023, I, 2283.

2 Pour plus de détails, voir. Manacorda D., M. Modolo (eds.), Le immagini del patrimonio culturale

Un’eredità condivisa ?, Pacini Editore, 2023 ; G. Resta, L’immagine dei beni culturali pubblici : una nuova forma di proprietà ?, ibid., 73.

3 Sur le décret ministériel 161 de 2023, voir les contributions rassemblées dans le n° 3 de 2023 de la revue Aedon: <https://aedon.mulino.it/archivio/2023/2/index223.htm>.

Cette contribution a été initialement publiée dans le n° 20 de notre revue Finestre sull’Arte on paper. Cliquez ici pour vous abonner.


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