À propos de la "Conversion de saint Paul" du Caravage


La Conversion de saint Paul du Caravage, dans la chapelle Cerasi, est l'une des œuvres les plus célèbres de l'artiste lombard: reconstituons son histoire et ses événements.

En ce qui concerne la célèbre Conversion de saint Paul de Caravage (Milan, 1571 - Porto Ercole, 1610) dans la chapelle Cerasi, tableau qui est l’un des chefs-d’œuvre les plus connus et les plus discutés de l’artiste lombard, il existe une interprétation qui est trop souvent considérée comme allant de soi: le peintre aurait peint l’œuvre après s’être vu refuser une première version, celle qui appartient actuellement à la famille Odescalchi, parce qu’elle n’était pas considérée comme décente par les héritiers du commanditaire, Monseigneur Tiberio Cerasi. Le Caravage aurait donc peint une deuxième version, celle que l’on peut encore admirer aujourd’hui à l’intérieur de la chapelle, considérée comme encore plus irrévérencieuse, car elle avait pour protagoniste principal le cheval (ou plutôt: son derrière) au lieu du saint.

Roma, Santa Maria del Popolo
Rome, la basilique Santa Maria del Popolo à l’intérieur de laquelle se trouve la chapelle Cerasi
La décision de donner à l’animal le rôle de protagoniste principal n’était cependant pas une nouveauté: d’autres peintres s’étaient essayés à des opérations tout à fait similaires. Nous en trouvons un exemple dans la Conversion de Moretto (Brescia, vers 1498 - 1554) conservée dans l’église Santa Maria presso San Celso de Milan: une œuvre à laquelle Michelangelo Merisi a certainement pensé, ne serait-ce que par le fait qu’elle se trouve (et se trouvait à l’époque) dans un édifice sacré de sa ville natale. Nous pouvons également imaginer que Moretto n’était pas le seul à représenter le cheval en position dominante si, dans les années 1580, un peintre et éminent auteur de traités comme Giovanni Paolo Lomazzo (Milan, 1538 - 1592), dans son Trattato dell’arte della pittura, scultura ed architettura, écrit que “dans les lieux religieux, les façades et les panneaux doivent être placés de manière à se conformer à la noblesse des yeux, comme pour dire que les parties postérieures des chevaux et des autres animaux ne doivent pas être vues de face, mais par derrière, comme une partie indigne d’être vue, mais qu’il faut montrer le devant, et laisser derrière les parties qui pourraient offenser les yeux”. En somme, l’instruction de Lomazzo ressemblait un peu à “il faut peindre les chevaux à l’arrière-plan, et éventuellement en montrant le museau à l’observateur, et non l’arrière-train”.

Moretto, Conversione di san Paolo
Moretto, Conversion de saint Paul (1540-1541 ; huile sur toile, 306 x 136 cm ; Milan, Santa Maria presso San Celso)
L’hypothèse selon laquelle l’œuvre du Caravage aurait pu être considérée comme inconvenante est donc fondée: nous en trouvons la confirmation dans les paroles mêmes de Lomazzo, datant d’une vingtaine d’années avant le tableau de la chapelle Cerasi, qui doit être daté d’après 1601 (nous reviendrons sur la datation dans un instant). Nous avons dit, cependant, que les événements entourant le tableau ont souvent fait l’objet de simplifications excessives, alimentées également par les propos souvent venimeux des rivaux de l’artiste milanais. En effet, c’est Giovanni Baglione (Rome, v. 1573 - 1643), peut-être l’ennemi le plus acharné du Caravage, qui a répandu la rumeur selon laquelle les responsables de l’Ospedale della Consolazione, héritiers de Tiberio Cesari, avaient rejeté la première version de l’œuvre, celle qui se trouvait dans la collection Odescalchi: Se référant à la version finale, Baglione écrit que “ces peintures ont été travaillées par lui d’une autre manière, mais comme le Maître ne les aimait pas, le cardinal Sannesio les a prises, et Caravage lui-même a fait celles que l’on peut voir aujourd’hui, en peinture à l’huile, parce qu’il n’a pas travaillé d’une autre manière”. Le fait qu’aucune autre source contemporaine ne rapporte la même version des faits devrait nous alerter sur la véracité des propos de Giovanni Baglione: c’est pour cette raison que de nombreux chercheurs ont dérisoirement qualifié le récit de Baglione de simple calomnie peu fiable.

Pour comprendre comment les choses se sont réellement passées, il est peut-être nécessaire de comparer les deux tableaux. La Conversion d’ Odescalchi, chronologiquement antérieure, nous présente un mouvement tourbillonnant, toujours de matrice maniériste: dans cette scène convulsive, nous voyons Saul (le futur saint Paul) jeté à terre et littéralement aveuglé par la lumière émanant de l’apparition de Jésus-Christ, qui apparaît dans le coin supérieur droit. Une lumière qui investit Saul (qui, comme on le sait, était un juif qui persécutait les chrétiens) avec une telle force qu’il est contraint de se faire un paravent avec ses mains, tandis que Jésus prononce à son égard les célèbres paroles "Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? L’épisode est raconté dans les Actes des Apôtres: immédiatement après, Jésus ordonne à Saul d’entrer dans la ville de Damas, où il achèvera sa conversion au christianisme, devenant ainsi l’un des premiers évangélisateurs. Dans le tableau, le cheval, effrayé par l’apparition divine, est retenu par un palefrenier qui tient une lance et un bouclier pour se protéger de la lumière. Pour compléter la liste des protagonistes, nous avons un autre soldat et un ange qui assiste Jésus en le tenant d’un seul bras.

Caravaggio, Conversione di san Paolo Odescalchi
Caravage, Conversion de saint Paul (vers 1600-1601 ; huile sur panneau, 237 x 189 cm ; Rome, collection Odescalchi)

Dans la Conversion de la chapelle Cerasi, l’atmosphère est tout à fait différente (et à certains égards opposée). Les personnages sont moins nombreux, puisque Jésus, l’ange et le second soldat ont disparu. Saul est toujours à terre, terrassé par la lumière, mais il ne cherche plus à résister, au contraire: il ouvre grand les bras comme pour accueillir la lumière divine. Enfin, la charge de pathos violent qui imprégnait la Conversion d’ Odescalchi a été considérablement réduite: le cheval semble désormais calme, et même le palefrenier, qui adopte une attitude posée et sereine, a beaucoup plus de facilité à l’éloigner de Saul pour éviter que l’homme ne soit piétiné par l’animal. Le fait est que Michelangelo Merisi choisit de représenter, dans ce tableau, le moment qui suit immédiatement celui de l’apparition: Jésus a déjà prononcé ses paroles, il s’est retiré en laissant derrière lui les derniers éclats de lumière et il a laissé Saul à terre, comme électrocuté. Il s’agit là de l’invention la plus originale du Caravage: il a évité de représenter le point culminant de l’épisode et s’est concentré sur le suivant.

Caravaggio, Conversione di san Paolo, Cappella Cerasi
Caravage, Conversion de saint Paul (vers 1601-1605 ; huile sur toile, 230 x 175 cm ; Rome, Santa Maria del Popolo, chapelle Cerasi)

Nous pouvons donc prendre un peu de recul et nous demander pourquoi Caravage a modifié son œuvre de manière aussi radicale: d’une peinture très dramatique et plus chargée à une peinture plus sereine et, surtout, caractérisée par la nouveauté mentionnée plus haut. Des chercheurs comme Luigi Spezzaferro et Rossella Vodret ont émis l’hypothèse que c’est le Caravage lui-même qui a décidé de modifier le tableau au cours de l’œuvre. En effet, Tiberio Cerasi avait non seulement commandé les peintures, mais aussi le réaménagement architectural de la chapelle, confié à Carlo Maderno. Comme le constate quiconque entre dans la chapelle, Maderno a conçu un espace étroit et réduit, peut-être dans le but d’impliquer émotionnellement l’observateur: probablement le Caravage, voyant l’avancement des travaux de réaménagement de la salle, a estimé que ses tableaux (rappelons qu’en plus de la Conversion, on lui avait commandé une Crucifixion de saint Pierre, dont la première version a été perdue), destinés aux murs latéraux de la chapelle, n’étaient pas adaptés à l’espace de la salle. étaient mal adaptées aux espaces prévus par Maderno et ne pouvaient pas non plus dialoguer efficacement avec la splendide Assomption d’Annibale Carracci (Bologne, 1560 - Rome, 1609), grand chef-d’œuvre du peintre bolonais, qui avait peut-être déjà été installée sur le mur du fond. L’artiste aurait donc pensé à deux nouveaux tableaux qui, avec celui d’Annibale, contribueraient à donner au spectateur l’illusion d’être devant un espace réel. Il est en effet évident que Caravage a réalisé son tableau avec un observateur contraint de le regarder de côté, dans un espace confiné, d’où l’adoption d’un point de vue oblique, également suggéré par les diagonales du corps et de la tête du cheval d’un côté, et du bras droit du saint de l’autre, qui convergent vers le centre sur le côté droit de l’œuvre (et, inversement, sur le côté gauche, les diagonales divergent). L’hypothèse d’un Caravage choisissant de manière autonome d’exécuter de nouvelles versions de ses tableaux pour les adapter à la chapelle permettrait également d’avancer leur exécution: probablement vers 1605 (coïncidant ainsi avec l’année où ils ont été placés sur les murs, que nous connaissons grâce aux documents), une date qui expliquerait également l’écart stylistique considérable entre la Conversion Odescalchi et celle de la chapelle.

Cappella Cerasi
La chapelle Cerasi avec le tableau d’Annibale Carracci sur le mur du fond et ceux du Caravage sur les murs latéraux. Crédit

À cela s’ajoute une interprétation proposée par Maurizio Calvesi, qui expliquerait également, dans une clé allégorique, l’importance accordée au cheval. La chapelle Cerasi se trouve à l’intérieur de la basilique Santa Maria del Popolo, siège de l’ordre des Augustins. Nous savons que saint Augustin a été l’un des principaux théoriciens de la grâce divine, qui représente le concept principal de son système philosophique, en tant que moyen permettant à l’humanité de se sauver et, évidemment, de s’élever au-dessus du péché, dont l’homme fait nécessairement l’expérience au cours de son existence. La lumière, dans le tableau, symbolise la Grâce divine, tandis que le cheval joue un rôle central car, selon cette interprétation, il deviendrait le symbole du péché et de son irrationalité (le cheval, en tant qu’animal, n’est pas doué de raison).

Vue ainsi, l’œuvre n’apparaîtrait donc plus comme le produit d’un peintre qui n’aurait voulu que se moquer de la pensée dominante de son temps: il s’agirait au contraire d’une œuvre profondément méditée, réalisée avec l’approbation des commanditaires. Cette vision contribue-t-elle à dissiper le mythe, très en vogue ces dernières années, du peintre maudit, constamment anticonformiste et peu enclin à respecter les règles? La réponse ne peut être que négative, car nous connaissons bien les excès auxquels l’artiste lombard était habitué: mais il est certain que les hypothèses concernant la Conversion de saint Paul contribuent à une reconstitution plus réaliste et plus complète des événements complexes que le tableau a vécus. Sans pour autant altérer l’aura qui entoure la figure du Caravage.

Bibliographie de référence

  • Luigi Spezzaferro, Caravaggio (édité par Paolo Coen), Silvana Editoriale, 2010
  • Rossella Vodret, Le Caravage. Les œuvres complètes, Silvana Editoriale, 2009
  • Maurizio Calvesi, Le Caravage, Giunti, 2009
  • Francesca Cappelletti, Laura Bartoni (eds.), Caravaggio and the Caravaggeschi: Orazio Gentileschi, Orazio Borgianni, Battistello, Carlo Saraceni, Bartolomeo Manfredi, Spadarino, Nicolas Tournier, Valentin de Boulogne, Gerrit van Honthorst, Artemesia Gentileschi, Giovanni Serodine, Dirck van Baburen, Caravaggio, E-ducation.it, 2007
  • Rossella Vodret (ed.), Il Caravaggio Odescalchi: le due versioni della ’Conversione di san Paolo’ a confronto, catalogue d’exposition (Rome, Santa Maria del Popolo, 10 novembre - 25 novembre 2006), Skira, 2006
  • Ferdinando Bologna, L’incredulità del Caravaggio e l’esperienza delle “cose naturali”, Bollati Boringhieri, 2006
  • Mina Gregori, Andrea Bayer (eds.), Pittori della realtà. Le Ragioni di una Rivoluzione. Da Foppa e Leonardo a Caravaggio e Ceruti, catalogue d’exposition (Crémone, Museo Civico Ala Ponzone, 14 février - 2 mai 2004 et New York, The Metropolitan Museum of Art, 27 mai - 15 août 2004), Electa, 2004
  • Maria Grazia Bernardini, Caravaggio, Carracci, Maderno: la Cappella Cerasi in Santa Maria del Popolo in Rome, Silvana Editoriale, 2001


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