Les nuits du Corrège. La découverte surprenante d'un chef-d'œuvre allègre


Qu'est-ce qui rend les peintures nocturnes du Corrège si particulières? Le professeur Adani nous le dit dans cet article, qui relate également la découverte de l'un des chefs-d'œuvre de l'artiste.

On peut se demander si les Nuits du Corrège ont quelque chose en commun avec les Nuits de Cabiria. Ne restez pas bouche bée ! L’héroïne de Fellini (qui transmet tant de choses sur son auteur) est vivement imprégnée d’une joie très humaine, d’une expression radieuse d’un bonheur effervescent, recherché pour elle-même et pour les autres, mais langoureusement rattrapée par un mystérieux afflux d’échecs et de mort. Nous ne tenterons pas de le décrypter ici, bien que nous y soyons invités par cette fin perfide, mais nous rappellerons prudemment au lecteur un dualisme presque similaire présent dans le caractère de l’art de Correggio, observé tout au long de sa carrière.

Antonio Allegri, le peintre de la joie, a toujours (depuis Vasari) ébloui tous les critiques par la splendeur de sa peinture, par l’éclat béatifiant de ses tableaux, par l’imprégnation de lumière de ses retables, de ses fresques baignées de splendeur. On a dit du Corrège: “c’est le midi de l’art”. Pour qui connaît la plaine du Pô, le midi de la haute saison est une extase de chaleur, un bain total et presque insupportable de luminosité dans la voûte céleste. Oui, celui qui s’est signé plusieurs fois “laetus” a transposé la lumière comme élément dominant de ses compositions, et comme premier élément de la palette des couleurs. Sur l’échafaudage de la restauration de la coupole de la cathédrale de Parme, Renato Pasqui nous a montré le “principe de lumière” du processus de Correggio: un départ non seulement technique, mais certainement intellectuel et psychique. Un choix fondamental qui imprégnera toute l’œuvre, en se préservant toujours.

Mais pourquoi “les nuits”? Curieusement, nous pouvons noter que les deux retables les plus célèbres de Nostro s’appelaient “Le jour” et “La nuit”. Voici donc l’autre facette, qui fait en réalité du Pittor delle Grazie un maître extraordinaire, capable d’extraire de sa palette des audaces lumineuses inédites et jugées auparavant impossibles (indéchiffrables, dirait Eugenio Riccomini). Nous nous référons explicitement à des compositions nocturnes, donc privées de toute source de lumière naturelle. Pour cette raison, et pour la redécouverte d’un chef-d’œuvre, il nous est venu à l’esprit d’étudier ces exceptions dans le corpus général d’Allegri, qui se situent dans un certain nombre de moments créatifs assez éloignés les uns des autres. N’oublions pas non plus que la personnalité très forte du peintre était déjà formée dans sa prime jeunesse, et pleine d’outils toujours prêts à s’adapter à ses inspirations.

Et voici ce lien mystérieux avec la ballade amère de la joie fragile de Fellini: dans toutes les “Nuits” du Corrège, la mort se profile, immédiate ou dans une latitude tremblante, mais présente. Et c’est une mort sacrée.

Correggio, Il Giorno (Madonna del San Girolamo) (huile sur panneau, 205 x 141 cm ; Parme, Galleria Nazionale)
Correggio, Il Giorno (Madonna del San Girolamo) (huile sur panneau, 205 x 141 cm ; Parme, Galleria Nazionale)

C’est l’un des paradigmes de la plénitude picturale solaire, loué au fil des siècles.

Vers 1510, après son apprentissage auprès de Mantegna, Antonio Allegri (1489 - 1534) s’était consacré à de nombreux voyages et à une étude approfondie des maîtres de différentes régions ; il fut certainement frappé par les expériences nordiques d’effets de lumière artificielle et voulut s’essayer très tôt à ce nouveau caractère qui semblait avoir été ignoré en Italie. Ainsi, le petit panneau qui fait aujourd’hui la fierté du musée des Beaux-Arts de Strasbourg devient pour lui un exercice passionnant sur un thème que le peintre s’était fortement restreint: la mise à mort d’Holopherne par Judith. L’épisode, tiré du livre de Judith (Jdt. 13, 18), est celui de la mise à mort du féroce général de Nabuchodonosor qui s’apprêtait à détruire les Israélites, mais qui, séduit par l’audacieuse femme pour sauver son peuple, l’accueille dans sa tente pendant la nuit et se fait décapiter par elle dans son sommeil. L’héroïne juive, accompagnée de sa servante, met la tête de l’ennemi dans un sac et s’enfuit. Cet événement a déterminé le salut biblique d’Israël. Donc, la nuit et la mort !

Il est important de souligner que dans ce tableau, exécuté principalement pour lui-même, Correggio se lie exactement au moment de l’événement (c’est-à-dire l’obscurité à l’intérieur de la tente) sans chercher les échappatoires que nous appellerions atmosphériques chez d’autres peintres de l’époque. Tout est extrêmement concentré, comme on peut le voir, et la seule source de lumière est celle, réelle, de la torche qui souligne la vipère aristocratique et le profil très élégant de Judith, ainsi que le cri déformé de la servante et la tête macabre qui plonge dans le sac. Il s’agit probablement du premier véritable nocturne de l’art italien, aux couleurs précises et clignotantes, plein de trouble et de pathos.

Corrège, Assomption de Marie, détail (fresque de la coupole de la cathédrale de Parme)
Corrège, Assomption de Marie, détail (fresque de la coupole de la cathédrale de Parme)

Perçant leciel d’une éblouissante lumière surnaturelle, le Christ descend vers la Mère.


Correggio, Judith et sa servante avec la tête d'Holopherne (huile sur panneau 27 x 20 cm ; Strasbourg, musée des Beaux-Arts)
Corrège, Judith et sa servante avec la tête d’Holopherne (huile sur panneau 27 x 20 cm ; Strasbourg, musée des Beaux-Arts)

Il s’agit du premier témoignage de la peinture italienne en nocturne absolu.Il s’agit d’une despremières réalisations d’un peintre désireux d’expérimenter toutes les possibilités de langage et d’adhésion à la vérité historique.

Le Corrège privilégiera par la suite plusieurs œuvres extrêmement élaborées, dont les “demi-lumières”, qui feront de lui le plus grand peintre du clair-obscur, mais il reviendra à l’immersion nocturne entre 1516 et 1517 lorsqu’il peindra la célèbre “Zingarella”. Un autre petit panneau dont le sujet naît de la pensée intime d’une scène aimée, d’un choix qui ne peut que découler d’une méditation personnelle sur le thème de la Fuite en Égypte et qui veut concentrer la contemplation exclusivement sur la maternité de Marie. Une maternité consciente de la divinité de son Fils, et tremblante de sa destinée humaine, au point que cette Mère rassemble tout pour nicher et défendre son enfant, avec une intensité d’amour qui frappe alors tous les proches. Une composition très singulière et touchante dans un décor arboricole totalement ombragé après le coucher du soleil, où seul un esprit angélique assiste silencieusement aux deux présences du moment évangélique, tandis que l’innocent lapin les admire.

La fortune de cette icône fut immense et des copies furent immédiatement réalisées et diffusées. En effet, la profonde spiritualité qui s’en dégage est frappante ; dès le début, elle fut reconnue comme un prélude à la future Pietà, puisque l’idée préalable de la passion et du sacrifice du Fils y est véritablement perçue. Le Caravage, fervent admirateur du Corrège, l’a transposé directement dans son Repos pendant la Fuite en Égypte de la galerie Doria Pamphili.

Correggio, La Zingarella (huile sur toile, 46,5 x 37,5 cm ; propriété privée, Munich)
Corrège, Le Gitan (huile sur toile, 46,5 x 37,5 cm ; Munich, collection privée)

Tous les éléments originaux ont été conservés dans cet exemplaire. Après le coucher du soleil, Marie tient son enfant dans ses bras pour la nuit qui descend.


Caravage, Repos pendant la fuite en Égypte (huile sur toile, 135,5 x 166,5 cm ; Rome, collection Doria Pamphilj)
Caravage, Repos pendant la fuite en Égypte (huile sur toile, 135,5 x 166,5 cm ; Rome, collection Doria Pamphilj)

Le Caravage reprend la poésie mystique de la Zingarella et désigne le Corrège comme sa source d’admiration.

À la fin de la gigantesque et ingénieuse entreprise des fresques de San Giovanni Evangelista, à Parme, entre 1524 et 1525, Antonio Allegri se consacre à quelques passages des derniers événements de la vie du Christ. Il n’est pas inutile de rappeler la profonde formation chrétienne de ce peintre émilien, ainsi que son indépendance dans le choix de ses œuvres: en effet, on a presque toujours l’impression qu’il a précédé la commande et, pour ainsi dire, qu’il l’a emporté sur elle: il a parlé et démontré avec une grande autorité ! Abordons donc deux thèmes très rares que Corrège a préparés dans cette phase de sa vie laborieuse que l’on pourrait appeler la “compassio Christi”. Nous sommes entre 1524 et 1525 et quelques scènes particulières de la Passion de Jésus figurent en bonne place dans son catalogue, abordant des passages évangéliques peu fréquentés avant lui.

Dans cet ordre, nous voyons l’Oraison au jardin: d’autres peintres, suivant à la lettre les textes de Matthieu et de Luc, ont placé le Christ plus loin et les trois apôtres endormis plus près, ou ont cherché des solutions un peu plus alignées, mais le dialogue atroce du Nazzareno avec le Père “éloigne de moi cette coupe, s’il est possible...” et le triplé de l’Apocalypse sont des scènes de la Passion de Jésus.et le triple appel aux disciples endormis, et enfin la descente de l’ange pour le réconforter depuis le ciel, exigeaient une proximité absolue dans ce dernier moment où Jésus accepte ouvertement l’immense sacrifice et la mort, qu’il connaissait déjà bien. Et c’est ici que le Corrège, après la plus grande angoisse du Dieu incarné, place l’imminence de l’Ange suspendu qui irradie prodigieusement son Seigneur dans la nuit et le réconforte dans sa sublime acceptation. La composition extrêmement difficile et ingénieuse nous offre presque la frontalité des deux protagonistes, mais c’est dans la force lumineuse qui transperce la nuit que tout ce chef-d’œuvre impressionnant se tient, saisissant nos âmes.

Dans le jardin de Gethsémani, immédiatement après l’oraison, se déroulent les événements de la terrible nuit, et Corrège en saisit un mineur, avec un soin extrême, en peignant un sujet jamais abordé directement par d’autres peintres, à savoir Le jeune homme qui échappe à la capture du Christ. La toile, qui n’est pas grande mais qui est connue et admirée à travers des copies depuis le XVIe siècle, a été récemment redécouverte en excellent état, à tel point que cette récupération doit être considérée comme un événement sensationnel dans le contexte de la culture artistique internationale.

Un joyau qui, avec un fort attrait, doit être préservé pour l’Italie !

Correggio, L'oraison de Jésus au jardin (huile sur panneau, 37 x 40 cm ; Londres, Hapsley House)
Corrège, L’oraison de Jésus au jardin (huile sur panneau, 37 x 40 cm ; Londres, Hapsley House)

Un nocturne complet, résolu par l’ange comme un radiateur de lumière.Larencontre montre la brillante maîtrise des corps dans la sphéricité de l’espace, dont Vasari a fait l’éloge.


Correggio, Jeune homme échappant à la capture du Christ (huile sur toile, 56 x 46 cm ; propriété privée)
Corrège, Jeune homme échappant à la capture du Christ (huile sur toile, 56 x 46 cm ; propriété privée)

Une scène unique dans le contexte de l’art italien, merveilleusement composée en mouvement sur plusieurs plans. Malgré sa taille, l’extrême habileté et la spontanéité piquante de l’auteur sont ici condensées.

Reprenons l’histoire: après l’épisode de la prière ardente, les gardes conduits par Judas arrivent bientôt pour arrêter le Christ, qui se livre librement en obtenant que ses disciples soient relâchés. Le groupe se dirige ensuite vers la maison de Caïphe, tandis que les apôtres se dispersent, mais l’évangile de Marc rapporte un épisode rapide: un jeune homme suit de près le groupe de Jésus, de sorte que les gardes essaient de l’attraper, mais lui, qui n’était vêtu que d’un manteau, laisse son manteau entre leurs mains et “s’enfuit tout nu” (Marc 14,50-52). Nous ne savons pas qui était ce jeune homme, mais il a certainement ressenti un lien très fort avec le Seigneur: cette vérité a particulièrement frappé Corrège, qui a peint la fuite de l’adolescent tandis qu’à l’arrière-plan, Jésus reçoit un baiser de Judas et rattache à Malchus l’oreille que Pierre lui avait coupée. Il s’agit d’un épisode nocturne, dans l’obscurité la plus complète, comme en témoignent les faciès portés par les gardes, prélude à la mort divine suprêmement acceptée. Le Corrège crée ici une composition scalène en mouvement, imbriquée dans le chiasme, et il est obligé d’offrir directement un éclair mystique qui irradie la jeunesse nue, puis découvre l’armurier avec ses masques, et se perd dans le lointain: et c’est l’éclair de la foi. Voilà la dialectique avec les ténèbres du mal.

En 1530, Antonio Allegri présenta à la chapelle de la famille Pratonieri, dans l’église de San Prospero à Reggio Emilia, ce que l’on peut appeler “la Nuit des Nuits”. La “Nuit” par excellence, qui l’a occupé depuis 1522 avec des essais et des pauses, des intuitions et des pensées: et c’est la “Nuit Sainte”, le moment de la naissance de Jésus ! Le thème avait enveloppé l’âme du peintre et l’avait conduit à la vérité sublime de Dieu se faisant homme, du Rédempteur descendant pour apporter la Grâce au monde, de l’immensité de cet acte sur toute la création, et de ce don infini qui engageait la Trinité à travers Marie. Connaissant la formation de Correggio, sa pratique monastique, son enthousiasme chrétien qui se traduisait continuellement dans ses visions pré-imaginées, ses formes, ses couleurs, on peut croire que ce panneau (défini plus tard par beaucoup comme le plus beau tableau du monde) a été le fruit d’une grâce particulière.

Et c’est une “Nuit” qui entre dans notre thème car l’Incarnation du Verbe a pour but l’offrande suprême de la mort sur la Croix. Mais tout ici est splendeur, tout est lumière qui naît de l’Enfant, d’un corps humain, comme personne ne l’avait jamais pensé ni fait en peinture: un prodige du Maître du Ciel ; une épiphanie de lumière de celui qui déclarera “ Je suis la lumière du monde ” (Jean 8, 12). Et c’est l’âme même du Corrège qui exulte, qui s’illumine.

Oui, c’est une naissance, et c’est une naissance pour mourir ! Mais alors, que signifie cette folle allégresse des anges du ciel? Elle signifie la gloire de Celui qui sera le Ressuscité ! La nuit et la lumière se confondent ainsi avec la mort et la résurrection salvatrices.

Les Nuits du Corrège ont eu un suiveur dans la plaine du Pô d’une puissance inégalée: Michelangelo Merisi, connu sous le nom de Caravaggio.

Pour terminer dans la modernité, nous pourrions rappeler l’appel d’un rocker né précisément à Correggio, Luciano Ligabue, qui, avec sa guitare, nous incite dans la vie à ne pas nous reposer, à toujours chercher, à atteindre et à comprendre les choses: “Certaines nuits, la route ne compte pas, et ce qui compte, c’est de sentir que l’on va”.

Correggio, La Notte (Adoration des bergers) (huile sur panneau, 256,5 x 188 cm ; Dresde, Gemäldegalerie)
Correggio, La Notte (Adoration des bergers) (huile sur panneau, 256,5 x 188 cm ; Dresde, Gemäldegalerie)

Unchef-d’œuvre absolu où le bonheur d’Allegri s’épanouit au plus haut point avec l’incroyable “inventio” d’un corps d’enfant qui génère de la lumière dans le monde et dans les cieux.


Correggio, La Notte, détail du corps rayonnant.
Correggio, La Notte, détail du corps rayonnant.

Vasari, profondément impressionné, cite la réalité de la lumière provenant de la protection des yeux de la jeune bergère, venue à la crèche de Bethléem.


Correggio, La nuit, les anges.
Corrège, La nuit, les anges.

Même les anges sont illuminés par le tendre Enfant divin. Cette totalité rend l’incarnation du Verbe véritablement surhumaine, comme le voit Corrège en extase.


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