Beauté féminine et élégance vestimentaire: Giovanni Boldini et la mode à l'honneur à Ferrare


Compte rendu de l'exposition "Boldini et la mode", à Ferrare, Palazzo dei Diamanti, du 16 février au 2 juin 2019.

La fascination des femmes pour la mode est connue pour être irrésistible: aujourd’hui comme hier, les créateurs dictent les nouvelles tendances en matière de glamour et de mode, incitant le beau sexe à s’approprier ce qui figure dans les magazines de mode les plus accrocheurs. Si aujourd’hui les créations des stylistes sont visibles dans les pages des magazines modernes presque uniquement par le biais de photographies, derrière lesquelles se cache tout un monde de décors photographiques, d’éclairages, de maquillages et de coiffures, il fut un temps où c’étaient des artistes, des peintres, qui représentaient les vêtements à la mode portés par tel ou tel mannequin dans les magazines de glamour de l’époque. Car si aujourd’hui on passe des castings pour devenir mannequin, autrefois ce sont les femmes les plus célèbres de l’époque qui étaient représentées dans de belles robes: princesses, femmes de la haute société, mais surtout celles qui appartenaient au monde du spectacle, comme les actrices et les danseuses célèbres. Une sorte de cercle vertueux s’est ainsi créé: les artistes collaboraient avec les stylistes en faisant le portrait de ces derniers dans les magazines (souvent, les portraits n’étaient pas commandés par les protagonistes eux-mêmes, mais c’était plutôt l’artiste lui-même qui choisissait les personnalités les plus célèbres de l’époque), et toutes les parties y trouvaient leur compte: l’artiste avait la possibilité de toucher de nombreux clients potentiels et de faire connaître ses dessins et ses peintures par l’intermédiaire des magazines, tandis que les stylistes faisaient connaître leurs créations et que les femmes du show-biz se faisaient connaître auprès de leur public.

L’une de ces revues de mode s’intitule Les Modes et commence à paraître en janvier 1901 grâce à l’idée de Michel Manzi, ingénieur d’origine italienne et ami de Giovanni Boldini (Ferrare, 1842 - Paris, 1931), d’Edgar Boldini et d’autres artistes. Paris, 1931), Edgar Degas (Paris, 1834 - 1917) et Robert de Montesquiou (Paris, 1855 - Menton, 1921), de célébrer les “beautés françaises et étrangères les plus en vogue à Paris”. L’intention du magazine était de faire représenter la femme élégante par les artistes les plus en vogue afin de mettre en évidence, mieux qu’une photographie, le lien entre la beauté féminine et la beauté des tissus. Manzi décide de faire écrire par Montesquiou, poète et esthète, le premier article de la rubrique Les Peintres de la Femme, en hommage à son ami Boldini: à cette occasion, il exalte l’art du peintre qui, d’ailleurs, quelques années plus tôt, en 1897, l’avait représenté avec une canne dans une pose de dandy. Ce tableau est conservé au musée d’Orsay et est désormais visible jusqu’au 2 juin 2019 à Ferrare, au Palazzo dei Diamanti, où se tient l’exposition Boldini et la mode.

Dans la chronique du premier numéro des Modes, le poète écrit: "Ces artistes exclusifs, en plus d’être sensibles à toutes les formes de beauté, sont fascinés [...] par la fleur enivrante, l’arôme complexe et la séduction multiple, la manifestation de l’éternel féminin que l’on pourrait appeler le féminin universel: la Parisienne ! Oui, Parisienne, modernité, voilà les deux mots que le maestro de Ferrare a inscrits sur chaque feuille de son arbre de science et de grâce [...].La modernité, signe séculaire du temps grâce à l’ornementation, ce qu’était le rang de perles d’un Coëllo, la collerette d’un Pourbus, le pli d’un Watteau, et ce que sera le corsage de Boldini". Giovanni Boldini collabore donc étroitement avec les grands couturiers, tels que Worth, Doucet et Paquin, qui habillent les femmes représentées par l’artiste ; ses tableaux, en plus de reproduire les splendides robes ornées de paillettes, de voiles, de tulles et de dentelles, sont un tourbillon de mouvements, de véritables explosions de lignes et de couleurs, comme en témoigne Firework, une œuvre réalisée entre 1892 et 1895 et aujourd’hui conservée au musée Giovanni Boldini de Ferrare. Il est intéressant de noter que de nombreuses œuvres exposées proviennent de ce même musée: une invitation à explorer un aspect fondamental de sa production artistique à travers une exposition organisée dans sa ville d’origine.

Boldini et salon de la mode
Salle de l’exposition Boldini et la mode


Boldini et salon de la mode
Salle d’exposition Boldini et la mode


Boldini et salon de la mode
Salle de l’exposition Boldini et la mode

Le point d’appui de cette modernité à laquelle Montesquiou se réfère dans ses écrits est certainement Paris dans les années entre la fin du siècle et la Belle Époque, c’est-à-dire entre les années 1880 et la Première Guerre mondiale. La capitale française était la métropole moderne où s’opérait un profond renouvellement tant sur le plan social, avec l’émergence d’une nouvelle classe dont l’accession au pouvoir était due à la prospérité économique et non à des origines nobles, que sur le plan culturel, car une lente mais progressive émancipation de la figure féminine était en cours, notamment dans le monde du spectacle: les actrices, les chanteuses et les danseuses célèbres étaient devenues des objets d’admiration et d’émulation. Et surtout, Paris est considérée comme la capitale de l’élégance et de la mode, grâce à l’essor des couturiers et de leur prêt-à-porter, à la diffusion des magazines de mode et à la naissance des grands magasins. Les rues de la métropole sont de véritables podiums à ciel ouvert, où l’on regarde et où l’on est regardé, un lieu d’exposition permanente de vêtements, de coiffures, de maquillages. Le symbole de l’émancipation et de la mode était la Parisienne : charmante, séduisante, extrêmement élégante, la Parisienne était la personnification parfaite de la mode elle-même. Dans l’exposition, elle est illustrée dans le tableau de Giuseppe De Nittis (Barletta, 1846 - Saint-Germain-en-Laye, 1884), Il ritorno dalle corse, où la femme se promène avec assurance en compagnie de son chien, vêtue de noir et coiffée d’un chapeau avec un voile sur les yeux. Comme nous le verrons plus loin, le noir était en effet devenu un emblème d’élégance et de raffinement, ainsi que de mode.

L’exposition de Ferrare met l’accent sur le lien profond de Boldini avec la mode, une composante remarquablement importante de son art pictural, qui l’a accompagné tout au long de sa production et qui a également été à l’origine de nombreuses critiques à son égard. Souvent, la représentation de ces femmes, ou dans certains cas de simples enfants, clignant de l’œil, dans des poses séduisantes, apparemment naturelles mais en réalité étudiées dans les moindres détails, avec des bretelles tombantes et des décolletés, a été interprétée comme un peintre s’arrêtant à l’apparence, à la superficialité, peignant “[u]n bruissement d’étincelles et de paillettes”.un bruissement d’étoffes scintillantes enveloppant des corps de femmes voluptueuses qui perdent leur identité pour devenir simplement la femme de Boldini", selon les termes d’Albert Flament, qui ajoute que l’artiste s’est limité à une production en série; il lui reconnaît néanmoins une grande maîtrise et une virtuosité inégalée dans l’exécution picturale de ses portraits. En réalité, Boldini représente à travers la mode non seulement le goût et la mode de l’époque, mais surtout les grands changements de la société de son temps. En d’autres termes, grâce à ses portraits, il a pu immortaliser sur la toile les transformations sociales et culturelles de son époque, cette modernité si réelle dans la ville de Paris qui incluait l’art, la littérature et le théâtre. Il a su capter la fascination des femmes de l’époque pour tout ce qui était apparence, faste, prestige et l’a dépeint avec un style si moderne et effervescent qu’il inspire encore aujourd’hui les créations de certains stylistes, comme Christian Dior, John Galliano, Alexander McQueen. C’est d’ailleurs sur ce lien entre passé et présent que s’ouvre l’exposition en question: d’un côté la peinture de Madame Charles Max de Boldini datant de 1896 et de l’autre une merveilleuse robe en tulle gris brodé avec un corset en trompe-l’œil de couleur nude créée par John Galliano en 2005 pour Christian Dior.

Giuseppe De Nittis, Le retour des courses (1878 ; huile sur toile, 150 x 90 cm ; Trieste, Galleria d'Arte Moderna, Civico Museo Revoltella)
Giuseppe De Nittis, Retour des courses (1878 ; huile sur toile, 150 x 90 cm ; Trieste, Galleria d’Arte Moderna, Civico Museo Revoltella)


Giovanni Boldini, Madame Charles Max (1896 ; huile sur toile, 205 x 100 cm ; Paris, Musée d'Orsay)
Giovanni Boldini, Madame Charles Max (1896 ; huile sur toile, 205 x 100 cm ; Paris, Musée d’Orsay)


Boldini et salon de la mode
Salle d’exposition Boldini et la mode

L’exposition de Ferrare, très agréable et dynamique, est construite, comme nous l’avons dit, sur la base de cette relation intense et inséparable entre l’artiste et la mode, juxtaposant ainsi les portraits de Boldini avec des vêtements qui, dans leur mise en scène, ressemblent à ceux portés par les protagonistes des tableaux ; chaque section est consacrée à un thème différent, celui de la mode, de l’art et de la culture. Chaque section est donc consacrée à un thème différent, comme l’amazone, la diva, la mondaine, le portrait d’une dame et - aspect que l’auteur a trouvé très intéressant et qui dénote une grande pluridisciplinarité de la pensée - à un auteur littéraire qui, dans ses livres, a dépeint la société à travers la mode, tout comme Boldini l’a fait dans ses portraits. Nous commençons par Charles Baudelaire (Paris, 1821 - 1867), dont un portrait figure dans l’exposition, peint par ÉdouardManet (Paris, 1832 - 1883) selon la technique de l’eau-forte. Ce dernier était un ami de Boldini, tout comme Edgar Degas, tous deux fascinés par le monde de la mode. Baudelaire avait également écrit sur la mode, qu’il considérait comme un outil permettant d’apprécier la beauté particulière d’une époque, et pour lui, le vêtement était un symbole de la vie moderne à célébrer par l’art. Cette première section de l’exposition se concentre donc sur larobe noire, montrant qu’au XIXe siècle, la couleur noire dans les vêtements masculins et féminins n’est plus synonyme de deuil, mais au contraire de modernité et d’élégance. En témoignent le portrait de Théodore Duret, collectionneur et partisan de l’impressionnisme, par Manet, qui le représente coiffé d’un chapeau et muni d’une canne, et Jeantaud, Linet et Lainé de Degas, où l’artiste représente trois jeunes gens bien habillés, plongés dans leurs pensées dans un intérieur. Une femme élégante, de profil et vêtue de noir, est au contraire la protagoniste du tableau de Boldini représentant Cecilia de Madrazo Fortuny, veuve de l’artiste espagnol Fortuny i Marsal et mère du futur créateur de mode Mariano Fortuny. Ce portrait permet également de voir la tournure typique, une sous-structure utilisée jusqu’en 1887-88 pour soutenir la jupe, qui est également présente dans la robe de promenade bleu clair, placée en dialogue avec le tableau susmentionné. Noire était aussi larobe amazone, dont on peut voir un modèle, flanqué de la selle caractéristique conçue spécialement pour les amazones, car elle permettait de monter en tenant les deux jambes d’un côté, et d’une œuvre de Boldini représentant l’actrice Alice Regnault galopant dans le Bois , accompagnée d’un petit chien blanc.

Henry James (New York, 1843 - Londres, 1916) est un autre homme de lettres qui a donné au vêtement un rôle important dans ses romans, en soulignant son pouvoir, notamment dans son Portrait of a Lady (l’édition originale du célèbre roman est exposée). Pour l’écrivain, le vêtement permet d’exprimer la personnalité d’un personnage ou l’appartenance à une certaine classe sociale. À cette époque, en effet, les vêtements élégants ne sont pas seulement portés, comme par le passé, par les membres de l’aristocratie, mais aussi par les nouvelles classes aisées, qui s’en remettent entièrement aux couturiers, dont Worth, Laferrière, Pingat, lorsqu’elles doivent faire face à des moments importants de la vie sociale, tels qu’un grand bal. Le portrait de société réalisé par un artiste, où l’apparence extérieure de la femme, conçue comme uneœuvre d’art vivante, est privilégiée, devient alors significatif. Parmi les artistes qui cherchent encore à s’affirmer dans ce domaine, John Singer Sargent (Florence, 1856 - Londres, 1925). L’œuvre exposée est l’Étude pour Madame Gautreau, encore inachevée (l’œuvre finale se trouve au Metropolitan Museum of Art de New York). Elle représente l’Américaine Virginie Avegno, épouse d’un riche banquier français, Pierre Gautreau. Lorsque le tableau fut présenté au Salon, il fit sensation en raison de l’audace, tant dans la forme que dans le fond, avec laquelle le peintre l’avait représentée: les éléments provocateurs étaient en effet le visage pris de profil dans une attitude hautaine, la robe noire très décolletée et provocante, un trait encore souligné par la bretelle tombante, et la sensualité intrinsèque de la femme aux cheveux d’acajou.

Édouard Manet, Théodore Duret (1868 ; huile sur toile, 46 x 35,5 cm ; Paris, Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris)
Édouard Manet, Théodore Duret (1868 ; huile sur toile, 46 x 35,5 cm ; Paris, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris)


Giovanni Boldini, Cecilia de Madrazo Fortuny (1882 ; huile sur toile, 115 x 69 cm ; Bordeaux, Musée des Beaux-Arts)
Giovanni Boldini, Cecilia de Madrazo Fortuny (1882 ; huile sur toile, 115 x 69 cm ; Bordeaux, musée des Beaux-Arts)


Boldini et salon de la mode
Salle d’exposition Boldini et la mode


Giovanni Boldini, L'Amazone ou Alice Regnault à cheval (vers 1879-1880 ; huile sur panneau, 69 x 59 cm ; Milan, Galleria d'Arte Moderna)
Giovanni Boldini, L’Amazone ou Alice Regnault à cheval (vers 1879-1880 ; huile sur panneau, 69 x 59 cm ; Milan, Galleria d’Arte Moderna)

Boldini a également représenté des jeunes femmes américaines: Emiliana Concha de Ossa, protagoniste du beau pastel blanc, et la sœur de cette dernière dans La signorina Concha de Ossa, un autre pastel dans lequel la jeune fille tient un grand éventail ouvert dans la main droite et dont la taille est entourée d’un long drapé de ruban vert. Tous deux ont appartenu à la famille du consul chilien RámonSubercaseaux. Le tableau Feu d’artifice du musée Giovanni Boldini, mentionné plus haut, appartient lui aussi à la catégorie des portraits mondains. Voici une brève mais délicieuse parenthèse consacrée au corset: un exemplaire en satin, soie et dentelle datant de 1895 - 1905 est accompagné d’un dessin de Paul Helleau (Vannes, 1859 - Paris, 1927) représentant une femme de dos portant un corset bleu et d’une huile sur toile de Boldini représentant l’actrice Alice Regnault, celle-là même que l’artiste avait peinte en robe d’amazone, sur un fond apparemment inachevé.

Oscar Wilde (Dublin, 1854 - Paris, 1900) est toujours considéré comme l’écrivain dandy par excellence, celui qui a fait de l’élégance son modèle de vie. L’auteur du Portrait de Dorian Gray était également rédacteur en chef du magazine de mode Women’s World, il était donc bien implanté dans le milieu de la mode de l’époque, en particulier en Grande-Bretagne. Dans l’exposition, Wilde est la référence de la section Réflexions, un titre qui rappelle qu’à la fin du XIXe siècle, artiste et modèle étaient complices dans l’affirmation de leur image publique, le premier choisissant un sujet spécifique jouissant d’une certaine notoriété pour valoriser son rôle et le second choisissant un portraitiste célèbre pour atteindre un but précis. Ainsi, trois portraits remarquables se distinguent dans cette salle: Lady Colin Campbell, Robert de Montesquiou et James Whistler. Trois portraits de Boldini qui personnifient respectivement la femme fatale, le dandy et l’artiste. Lady Colin Campbell était l’une des femmes les plus en vue d’Angleterre et était devenue célèbre pour avoir accusé son mari de l’avoir trompée et de lui avoir fait contracter la syphilis, entamant ainsi une procédure de divorce. La femme élégante et extrêmement séduisante est représentée regardant le spectateur avec désinvolture, d’un regard envoûtant et pénétrant, la tête reposant sur son bras ; elle porte une belle robe de soirée noire décolletée, ornée de fleurs sur son décolleté. Le peintre James Abbott McNeill Whistler (Lowell, 1834 - Londres, 1903) est représenté assis, vraisemblablement dans l’atelier de Boldini, dans une pose où il semble attendre de se rendre à une soirée de gala: il porte une robe de soirée, un tuba et la cocarde rouge de la Légion d’honneur sur la poitrine. Comme Lady Campbell, elle regarde directement le spectateur et se tient la tête avec la main. La figure du dandy est incarnée, comme nous l’avons déjà dit, par l’intellectuel et poète Robert de Montesquiou, une personnalité importante qui a permis à Boldini d’entrer en contact avec un large cercle de mécènes. Dans la même salle est également exposé le portrait de Graham Robertson par John Singer Sargent: la particularité de ce tableau réside dans le fait que le véritable protagoniste n’est pas le jeune homme représenté, qui appartient également au cercle des dandys, mais plutôt le long manteau Chesterfield qu’il porte, à travers lequel on peut percevoir l’environnement social et culturel auquel Robertson appartient.

Le passage consacré au corset
Le passage consacré au corset


Giovanni Boldini, Gertrude Elizabeth née Boold, Lady Colin Campbell (1894 ; huile sur toile, 184,3 x 120,2 cm ; Londres, National Portrait Gallery)
Giovanni Boldini, Gertrude Elizabeth née Boold, Lady Colin Campbell (1894 ; huile sur toile, 184,3 x 120,2 cm ; Londres, National Portrait Gallery)


Giovanni Boldini, Comte Robert de Montesquiou-Fézensac (1897 ; huile sur toile, 115 x 82,5 cm ; Paris, Musée d'Orsay)
Giovanni Boldini, comte Robert de Montesquiou-Fézensac (1897 ; huile sur toile, 115 x 82,5 cm ; Paris, musée d’Orsay)


Giovanni Boldini, James Abbott McNeill Whistler (1897 ; huile sur toile, 170,8 x 94,6 cm ; New York, Brooklyn Museum)
Giovanni Boldini, James Abbott McNeill Whistler (1897 ; huile sur toile, 170,8 x 94,6 cm ; New York, Brooklyn Museum)

Même dans La recherche du temps perdu de Marcel Proust (Paris, 1871 - 1922), le vêtement joue un rôle important: même pour fournir à ses lecteurs une fresque des différents personnages du roman, avec leurs attitudes et les divers milieux qu’ils fréquentent, l’écrivain a analysé la société représentée pendant quinze ans, en fréquentant lui-même ces lieux et ces membres de la haute société contemporaine. Au fil des pages du roman, on peut donc comprendre les comportements caractéristiques de la société de l’époque et, dans certains cas, reconnaître des personnalités renommées de l’époque: Pour ce personnage, Proust s’est inspiré d’une des femmes les plus en vue de Paris, la comtesse ÉlisabethGreffulhe, à qui appartenaient des chaussures de chevreau et de velours rouge qui attiraient l’attention et qu’il était impossible de ne pas remarquer dès qu’elles étaient exposées. Ces chaussures sont mises en dialogue avec un splendide portrait de Boldini, Miss Bell: une jeune femme vêtue d’une robe rouge, assise et absorbée dans ses pensées. Dans cette section de l’exposition de Ferrare consacrée à la mondanité, on trouve des portraits fascinants de belles femmes, comme la séduisante Dame en blanc, dont la robe peinte contraste avec une extraordinaire robe de soirée blanche. la séduisante Dame en blanc, dont la robe peinte est contrastée par une extraordinaire robe de soirée blanche avec des ornements de voile similaires sur les épaules, la princesse Eulalia d’Espagne portant une exquise robe ornée de dentelle, et la Dame en rose (Olivia Concha de Fontecilla) portant une étincelante robe rose vif embellie de fleurs. Cependant, le grand protagoniste de cette salle est le double portrait de Consuelo Vanderbilt, duchesse de Marlborough, avec son fils, conservé au Metropolitan de New York. La figure élancée de la femme, sur laquelle se détache son long cou, a été chargée par l’artiste grâce à l’expédient de la torsion du cou et du torse et du bras gauche tendu vers l’arrière. Une peinture monumentale qui captive le spectateur. Curieusement, le portrait que le duc de Marlborough lui-même avait commandé à Boldini de sa maîtresse, puis épouse après son divorce d’avec Vanderbilt, Gladys Deacon, est également présent.

Grâce à l’aide de Gabriele d’Annunzio (Pescara, 1863 - Gardone Riviera, 1938), auteur esthète et amateur de luxe et de superflu, Boldini rencontre à Venise la marquise Luisa Casati: la divine marquise représentée de profil dans un tourbillon de coups de pinceau étire son bras droit vers l’arrière et porte une coiffe très particulière faite de plumes de paon. La Marquise clôt symboliquement l’exposition, soulignant comment, dans les dernières œuvres de Boldini, de véritables divas, ou divines, deviennent les protagonistes: des femmes émancipées, séduisantes, sûres d’elles, vénérées comme des œuvres d’art vivantes. Luisa Casati était en effet très excentrique dans ses vêtements et ses accessoires: elle portait des bijoux zoomorphes, des gants en peau de tigre, des manteaux de panthère, des pantoufles en diamant, tissées avec des fils d’argent. D’Annunzio lui demanda également de représenter l’actrice et ballerine russe Ida Rubinstein, mais le peintre n’atteignit probablement pas son but ; on la voit ici dans un portrait d’Antonio de La Gandara (Paris, 1861 - 1917), vêtue de blanc alors qu’il voulait à l’origine la représenter en guerrière.

Ces portraits de divas se caractérisent par des chapeaux voyants de toutes tailles, souvent ornés de plumes, de perles et d’une grande variété d’étoffes: Celui de Lina Bilitis, représentée avec deux Pékinois, est plus petit ; celui de la milliardaire Rita Lydig, célèbre pour sa garde-robe sans fin (elle possédait une collection de plus de cent cinquante chaussures de marque), est beaucoup plus grand. Dans le célèbre tableau de Boldini intitulé La promenade au bois de Boulogne, la diva se promène comme une reine en compagnie de son second mari, le capitaine anglais Philip Lydig.

Giovanni Boldini, Miss Bell (1903 ; huile sur toile, 205 x 101 cm ; Gênes, Raccolte Frugone)
Giovanni Boldini, Miss Bell (1903 ; huile sur toile, 205 x 101 cm ; Gênes, Raccolte Frugone)


Boldini et salon de la mode
Salle d’exposition Boldini et la mode


Giovanni Boldini, La dame en rose (Olivia Concha de Fontecilla) (1916 ; huile sur toile, 163 x 113 cm ; Ferrara, Museo Giovanni Boldini)
Giovanni Boldini, La dame en rose (Olivia Concha de Fontecilla) (1916 ; huile sur toile, 163 x 113 cm ; Ferrara, Museo Giovanni Boldini)


Giovanni Boldini, Consuelo Vanderbilt, duchesse de Marlborough, avec son fils, Lord Ivor Spencer-Churchill (1906 ; huile sur toile, 221,6 x 170,2 cm ; New York, Metropolitan Museum)
Giovanni Boldini, Consuelo Vanderbilt, duchesse de Marlborough, avec son fils, Lord Ivor Spencer-Churchill (1906 ; huile sur toile, 221,6 x 170,2 cm ; New York, Metropolitan Museum)


Giovanni Boldini, La promenade au bois de Boulogne (1909 ; huile sur toile, 228 x 118 cm ; Ferrara, Museo Giovanni Boldini)
Giovanni Boldini, La promenade au bois de Boulogne (1909 ; huile sur toile, 228 x 118 cm ; Ferrara, Museo Giovanni Boldini)

L’exposition est accompagnée d’un élégant catalogue riche en images et en contributions consacrées au contexte historique et culturel parisien dans lequel Boldini a été introduit, au rapport inéluctable entre la mode et le portrait, et auquel est lié l’essai approfondi de Michele Majer qui retrace l’histoire de la revue Les Modes déjà citée. Virginia Hill, historienne du costume et consultante en expositions, analyse le style de la haute couture parisienne, en se concentrant sur les maisons de couture préférées des femmes de Boldini, tandis que l’essai de Marie Sophie Carron de la Carrière est plus orienté vers la mode contemporaine, souvent inspirée par les vêtements représentés dans les tableaux du peintre de Ferrare.

Grâce à cet entrelacement entre art, mode et littérature, l’exposition Boldini et la mode réussit à transmettre aux visiteurs l’univers d’un passé proche fait de gentes dames et de gentilshommes, de paillettes et de cannes, de galas et d’émancipation. Un passé qui fascine et inspire également le présent. C’est une exposition qui enchante et enseigne, car cette relation incessante entre Boldini et la mode était jusqu’à présent connue mais sous-entendue ; grâce à la compétence et à la passion du commissaire et de tous ceux qui ont participé à ce projet, elle est désormais comprise dans sa signification intime.


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