L'histoire de Lucrèce, le viol qui a radicalement changé la politique de la Rome antique


L'histoire de Lucrèce est l'un des mythes fondateurs de la Rome antique. À la Renaissance, elle a exercé une forte fascination sur de nombreux artistes, à commencer par Sandro Botticelli, qui a élevé Lucrèce au rang de symbole de la fidélité conjugale, de la vertu et de la liberté républicaine. Un rapide excursus à travers la Lucrèce de la Renaissance.

L’histoire de Lucrèce est tragique. C’est l’histoire d’un viol dans la Rome antique, mais aussi d’un honneur bafoué. Et c’est une histoire qui se termine en tragédie parce que la honte est si forte à l’idée d’être injustement considérée comme une femme adultère, elle qui était entièrement dévouée à son union conjugale et extrêmement vertueuse, qu’elle préfère se donner la mort, se suicidant en se plantant un couteau dans la poitrine. “À partir de ce jour, aucune femme, à l’exemple de Lucrèce, ne vivra dans le déshonneur”, telles furent les dernières paroles qu’elle prononça avant de se donner la mort, comme le raconte l’un des plus célèbres historiens de son temps, Tite-Live, dans son Ab Urbe condita libri, dans lequel l’histoire de Rome est racontée depuis sa fondation en 753 avant J.-C. jusqu’à la mort de Drusus en 9 avant J.-C.

Nous sommes à la fin du VIe siècle avant J.-C. et Rome est gouvernée par une monarchie, avec Lucius Tarquinius le Fier , le dernier dirigeant de la ville, dont le règne est considéré comme tyrannique et oppressif. L’un de ses fils, Sextus Tarquinius, joue un rôle central dans l’histoire de Lucrèce, la belle matrone romaine qui est devenue un symbole de la vertu féminine et dont on se souvient comme de l’une des figures féminines les plus importantes de la Rome antique, à tel point qu’elle a provoqué un changement politique radical, à savoir la fin de la monarchie et la naissance de la République romaine.

Fille de Spurius Lucretius Tricipitinus et épouse de Lucius Tarquinius Collatinus, Lucrèce était connue pour sa beauté, mais surtout pour sa loyauté et sa rectitude morale. Selon la légende rapportée par Tite-Live, lors du siège d’Ardea, les fils du roi et certains nobles romains se disputaient pour savoir laquelle de leurs épouses était la plus vertueuse. Parmi eux se trouvait Lucius Tarquinius Collatinus, le mari de Lucrèce. Pour savoir qui avait raison, ils décidèrent de rentrer de nuit à Rome et dans leurs maisons respectives, et une fois arrivés, ils découvrirent que Lucrèce se distinguait des autres : même en l’absence de son mari, ils la trouvèrent occupée tard dans la nuit à filer de la laine, entourée de ses servantes, contrairement aux épouses des fils du roi qu’ils avaient trouvées en train de s’adonner à des banquets et à des luxes entre pairs. La conduite exemplaire de Lucrèce suscite donc immédiatement l’admiration de Sextus Tarquinius, fils du roi Tarquin l’Orgueilleux.

Sandro Botticelli, Histoires de Lucrèce (vers 1498 ; tempera sur panneau, 80 x 130 cm ; Boston, Isabella Stewart Gardner Museum)
Sandro Botticelli, Histoires de Lucrèce (vers 1498 ; tempera sur panneau, 80 x 130 cm ; Boston, Isabella Stewart Gardner Museum)

Quelques jours plus tard, Sextus Tarquinius retourne avec un compagnon dans la maison de Lucrèce à Collatia, à l’insu de son mari Collatino, et y est reçu avec bienveillance par la femme, comme il est d’usage chez les nobles, mais elle ignore tout des véritables intentions de Sextus. Après le déjeuner, alors que tout le monde semblait dormir, Tarquinius entra dans la chambre de Lucrèce et la menaça d’une épée dégainée, en lui pressant la poitrine de la main gauche : “Ferme ta bouche ! Je suis Sextus Tarquinius. Je suis Sextus Tarquinius, j’ai mon épée à la main, tu mourras si tu dis un seul mot”. Et il ajouta la honte à la peur de Lucrezia, qui voyait la mort sur son visage. Si elle ne s’était pas donnée à lui, il l’aurait tuée et aurait fait passer la scène pour un adultère, salissant son honneur même dans la mort ; il aurait dit qu’il l’aurait déposée à côté d’un serviteur tué et nu pour qu’on puisse dire qu’elle avait été tuée dans un sordide adultère. Menacée et seule, la femme a été violée. Spurius Lucretius arrive avec Publius Valerius, tandis que Collatinus arrive avec Lucius Junius Brutus, qu’il a rencontré par hasard dans la rue après avoir entendu les nouvelles de sa femme. Ils trouvèrent Lucrezia assise tristement dans sa chambre. Elle raconta en pleurant ce qui s’était passé sans rien omettre et dit ensuite à son mari : “Comment une femme qui a perdu son honneur peut-elle s’en sortir ? Dans ton lit, Collatino, il y a les traces d’un autre homme : seul mon corps a été violé, mon cœur est pur, la mort en sera témoin. Mais jure-moi que l’adultère ne restera pas impuni. C’est Sextus Tarquinius : c’est lui qui est venu ici la nuit dernière et qui, rendant l’hostilité en échange de l’hospitalité, m’a agressée à main armée et par la force. Si vous êtes de vrais hommes, que ce rapport soit fatal non seulement à moi, mais aussi à lui”. L’un après l’autre, ils jurent et tentent de la consoler en affirmant d’abord que la faute incombe à l’auteur de ce crime et non à elle qui en a été la victime, puis que s’il y a absence d’intention, il ne peut être question de culpabilité. Mais elle n’a écouté les affirmations de personne et a conclu en disant : “C’est à vous d’établir ce qu’il mérite. Quant à moi, même si je me déculpabilise, cela ne veut pas dire que je ne serai pas punie. Et désormais, aucune femme, à l’exemple de Lucrezia, ne vivra dans le déshonneur !”. Elle saisit alors un couteau qu’elle gardait caché sous sa robe et se poignarde dans la poitrine, préférant la mort à la vie dans le déshonneur. Le geste désespéré et noble de Lucrèce trouve un écho puissant. Brutus, tenant le couteau encore ensanglanté, jure de se venger et incite le peuple romain à la révolte, après quoi il transporte le corps de Lucrèce sur le forum, où de nombreuses personnes ont afflué. Il y prononça un discours sur la violence et la luxure de Sextus Tarquinius, l’horrible viol et le suicide de Lucrèce, et le deuil de Tricipitinus. C’est l’apogée d’un mécontentement déjà latent à l’égard du despotisme des Tarquins: Brutus exhorte la multitude enragée à abolir la monarchie et à exiler le roi Tarquin l’Orgueilleux avec sa femme et ses enfants. Deux d’entre eux suivirent leur père, qui avait été exilé à Cere contre les Étrusques, tandis que Sextus Tarquinius, qui était parti pour Gabii, fut tué par des vengeurs de vieilles rancunes, qu’il avait lui-même provoquées par des meurtres et des vols. C’est ainsi que la monarchie prit fin et que la République romaine fut instaurée à sa place. Les deux premiers consuls élus sont Lucius Junius Brutus et Lucius Tarquinius Collatinus.

L’histoire de Lucrèce, figure légendaire devenue le symbole de la fidélité conjugale, de la vertu et de la liberté républicaine, est décrite en détail dans l’œuvre éponyme de Sandro Botticelli, aujourd’hui conservée auIsabella Stewart Gardner Museum de Boston. En effet, sous les yeux du spectateur se déroule toute l’histoire des violences qui ont conduit à la révolte, divisée en trois épisodes. À l’extrême gauche se trouve l’épisode initial : Lucrèce est surprise et menacée sur le pas de sa porte par Sextus Tarquinius, contrairement à l’histoire racontée par Tite-Live qui situe la violence dans la chambre à coucher de la femme, la surprenant pendant son sommeil. Dans le tableau, l’homme, armé d’un poignard, la domine d’un regard vorace et déterminé. Lucrezia n’a pas d’issue, elle lève les mains pour se protéger, mais le pouvoir entre déjà dans sa maison, pour violer son corps et détruire son destin. La deuxième scène est visible à l’extrême droite du tableau, en miroir de la première. La femme, pâle et humiliée, s’effondre devant sa famille, honteuse de ce qui s’est passé. La douleur est concentrée dans le geste : son corps s’affaisse et tombe en avant, le visage penché vers le sol, les bras ballants. Autour d’elle, un groupe de quatre hommes la soutiennent : ce sont des membres de sa famille venus à son secours ainsi que deux connaissances qui réagissent avec indignation et consternation. C’est ici que Botticelli dépeint l’intimité d’un deuil qui, peu de temps après, deviendra un fait public et politique. Dans le troisième épisode, au centre de la composition, la scène s’élargit : le corps de Lucrèce, allongé sur une dalle et portant encore le couteau dans la poitrine, devient un corps politique, le premier terrain de rébellion. Brutus en armure lève son épée et harangue le peuple, qui a déjà afflué sur la place. Certains commentent l’incident, d’autres brandissent des épées, d’autres encore lèvent la tête en signe de chagrin et de désespoir. Le geste de Lucrèce a déjà produit ses effets : sa mort a déjà allumé le feu de la révolte. C’est un passage narratif et symbolique décisif, car le chagrin privé devient justice publique, l’honneur offensé engendre un profond changement politique. D’ailleurs, la scène centrale se déroule sous une haute colonne au sommet de laquelle se trouve la statue de David victorieux avec la tête de Goliath à ses pieds, le héros biblique symbole de Florence qui renvoie à la naissance de la République florentine après la fin du pouvoir des Médicis (c’est pourquoi la célèbre statue de David se trouve juste devant le Palazzo Vecchio dans la capitale toscane). Un parallélisme donc entre l’expulsion des Tarquini dans la Rome antique et la fin de la seigneurie des Médicis, qui conduit dans les deux cas à la naissance de la République.

Botticelli situe en effet les Histoires de Lucrèce non pas dans une Rome antique idéalisée, mais au milieu de colonnes, de loggias, d’arcs et d’une architecture Renaissance aux panneaux dorés, rappelant explicitement la Florence de son époque.

Le tableau, réalisé à la détrempe et à l’huile sur panneau vers 1500, a été conçu à l’origine pour décorer un palais florentin à l’occasion d’un mariage. Elle a probablement été commandée pour Giovanni di Guidantonio Vespucci et Namicina di Benedetto Nerli, dans le cadre d’un espalier à la Casa Vespucci. Le paradoxe n’est qu’apparent : à la Renaissance, les scènes tragiques comme celle de Lucrèce étaient souvent choisies pour décorer les coffres de mariage, ces grands coffres qui contenaient le trousseau de la mariée. Et la figure de Lucrèce, modèle de vertu extrême, était particulièrement adaptée pour être représentée sur ces coffres habituellement placés dans les chambres à coucher.

Dans le cadre de l’acquisition de la Casa Vespucci, l’œuvre a été achetée en 1533 par Piero Salviati ; elle a ensuite été transmise par héritage à Lucrezia Salviati et à son mari Giovanni de Bardi di Vernio, musicien et écrivain. Il est ensuite documenté dans la collection de Bertram Ashburnham, dans le Sussex, jusqu’en 1894, date à laquelle le tableau est acheté pour 3 400 livres sterling à Isabella Stewart Gardner par l’intermédiaire du célèbre historien de l’art Bernard Berenson, et où il se trouve encore aujourd’hui.

Il convient également de noter que l’œuvre a été associée à une autre œuvre de Botticelli, peinte vers 1505, dont le thème est pendant à celle de Boston, à savoir l’Histoire de Virginia Romana, aujourd’hui conservée à l’Accademia Carrara de Bergame, qui a été acquise grâce au legs de l’historien de l’art Giovanni Morelli en 1891. Cette histoire est également racontée par Tite-Live et raconte lemeurtre de Virginia, une jeune et belle plébéienne d’une honnêteté irréprochable, par son père pour préserver son honneur, car le décemvir Appius Claudius était tombé amoureux d’elle et avait chargé Marcus Claudius de se faire passer pour le maître de la jeune fille en prétendant qu’elle était en fait son esclave. Devant un tribunal présidé par Appius Claudius, la jeune fille est déclarée esclave. Le père, appelé du camp militaire, accourt désespéré et comprend qu’il n’y a aucun moyen de sauver sa fille de l’abus de pouvoir. Pour défendre l’honneur de sa fille, il la tue au milieu de la douleur de sa famille et des citoyens, qui expulsent les decemvirs de Rome. Une fois de plus, Botticelli introduit donc dans l’une de ses œuvres l’histoire d’une jeune femme qui, tout en payant de sa vie, défend la vertu et l’honneur féminins.

Sandro Botticelli, Histoires de Virginie (vers 1498 ; tempera sur panneau, 86 x 165 cm ; Bergame, Accademia Carrara)
Sandro Botticelli, Histoires de Virginie (vers 1498 ; tempera sur panneau, 86 x 165 cm ; Bergame, Accademia Carrara)
Filippino Lippi, Histoires de Lucrèce (vers 1478-1480 ; tempera sur panneau, 42 x 126 cm ; Florence, galeries des Offices, Palazzo Pitti, galerie Palatine)
Filippino Lippi, Histoires de Lucrèce (vers 1478-1480 ; tempera sur panneau, 42 x 126 cm ; Florence, galeries des Offices, Palazzo Pitti, galerie Palatine)
Titien, Tarquin et Lucrèce (vers 1571 ; huile sur toile, 188,9 x 145,1 cm ; Cambrige, Fitzwilliam Museum)
Titien, Tarquin et Lucrèce (vers 1571 ; huile sur toile, 188,9 x 145,1 cm ; Cambrige, Fitzwilliam Museum)

En plus d’avoir inspiré William Shakespeare pour son poème Le viol de Lucrèce écrit en 1594, de nombreux autres artistes, tels que Filippino Lippi, ont dépeint l’histoire de la matrone romaine. À l’instar du tableau de Botticelli, Lippi a représenté l’histoire quelques années plus tôt, entre 1478 et 1480 environ, mais dans ce cas à travers deux épisodes cruciaux dans la même œuvre au lieu de trois. À gauche, on voit la jeune femme mourante soutenue sur le pas de la porte, tandis qu’au centre de la scène, on la voit allongée, entourée de nombreuses personnes venues assister à l’événement tragique, au moment où Brutus, au milieu de la foule et sous la colonne sur laquelle se dresse la statue d’un jeune héros, incite à la vengeance, à la rébellion et à l’éviction du roi. Il s’agit d’uneœuvre précoce de Filippino Lippi, aujourd’hui conservée à la Galleria Palatina de Palazzo Pitti, mais qui faisait à l’origine partie de la décoration d’une chambre nuptiale d’un palais florentin de la Renaissance, avec une autre œuvre représentant les Storie du Virginia, aujourd’hui conservée au Louvre à Paris.

Parmi les œuvres les plus célèbres traitant de ce sujet figure certainement celle du Titien conservée au Fitzwilliam Museum de Cambridge. Si, dans les tableaux mentionnés jusqu’à présent, Botticelli et Filippino Lippi ont représenté l’ensemble de l’événement en divisant la scène en deux ou trois épisodes principaux, Titien, dans Tarquinio e Lucrezia, dépeint précisément le moment du viol, lorsque le fils du roi fait violemment irruption dans la chambre de la jeune femme qui était allongée nue dans son lit, vêtue uniquement de ses bijoux. Tarquinio saisit Lucrezia par le bras tandis que de l’autre main il brandit son épée vers elle ; la femme tente de se défendre et de repousser l’homme avec la seule force d’une main contre sa poitrine. Son regard est effrayé, sa bouche entrouverte, ses joues rougies ; sur son visage se lit la terreur d’une violence qui va bientôt se produire et la certitude qu’elle ne peut pas l’arrêter. Un homme émerge de derrière les grands rideaux, peut-être se précipite-t-il pour voir ce qui se passe ou peut-être fait-il le guet pour Tarquin, mais dans aucun des deux cas il n’est mentionné dans le texte de Tite-Live. Il s’agit en tout cas d’une présence qui semble secondaire et qui n’intervient en rien pour empêcher le geste. Peint vers 1571, le tableau s’inscrit stylistiquement dans la peinture vénitienne du XVIe siècle et a probablement été commandé par Philippe II d’Espagne pour rester dans la collection royale espagnole jusqu’en 1813, date à laquelle Joseph Bonaparte, frère aîné de Napoléon, l’a emporté en France.

De nombreux autres artistes l’ont plutôt représentée au moment du suicide, seule et les seins nus, un poignard à la main, prête à se poignarder, dans une attitude plus posée ou plus théâtrale : de Lucas Cranach l’Ancien à Albrecht Dürer, d’Artemisia Gentileschi à Guido Reni en passant par Parmigianino, de Guido Cagnacci à Leandro Bassano, de Carlo Maratta à Paolo Veronese.

Victime innocente et en même temps auteur d’un acte qui allait radicalement changer la politique de la Rome antique, Lucrèce s’est inscrite dans l’imaginaire collectif comme l’incarnation de la vertu conjugale et de la pureté morale. Son mythe a traversé les siècles, faisant irruption dans les tableaux des grands maîtres, chacun à travers son époque et sa sensibilité. Son geste a provoqué un brusque passage de la douleur privée à la révolte ; Lucrezia n’est pas restée prisonnière du rôle de victime sacrificielle, mais est devenue l’emblème d’une éthique qui fait passer la vérité de soi avant l’injustice du pouvoir, refusant de céder au déshonneur.


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