Le silence de Giorgio Kienerk comme réponse à la dureté de la réalité


Il Silenzio (Silence) est l'une des œuvres les plus significatives de Giorgio Kienerk et nous transporte au début du XXe siècle, lorsque les artistes exploraient l'insondable pour tenter de mieux supporter les difficultés de la réalité.

"Dans l’Antiquité, les religions et les philosophies ne vivaient que de silence: elles connaissaient et observaient la nécessité du silence. Ceux qui se dérobaient à cette nécessité étaient toujours incompris, déformés, profanés, avilis. Dans son Livre secret, Gabriele D’Annunzio a souligné le rôle que jouait le silence dans les sociétés anciennes. Il suffit de rappeler ce qu’Aulus Gellius a écrit sur l’école de Pythagore: le silence que, selon l’écrivain romain, les disciples du grand mathématicien devaient observer pendant au moins deux ans avant de pouvoir s’approcher de ses enseignements est devenu proverbial. Et même pour ceux qui s’approchent d’une œuvre d’art, le silence est souvent une exigence qui, paradoxalement, comme l’a rappelé André Chastel dans un de ses mémorables essais sur le Signum harpocraticum, dément le vieux stéréotype sur les œuvres considérées comme particulièrement réussies: que ces chefs-d’œuvre de perfection, surtout en matière de sculpture, ne manquent que de mots. L’essence d’une œuvre d’art est dans le silence. Et il y a un silence qui renvoie à une dimension d’attente, d’angoisse, de mystère insondable, de douleur, de mort.

Les âmes du silence sont toutes enfermées dans une image troublante que Giorgio Kienerk a peinte en 1900, au début du nouveau siècle. Il s’agit d’une femme vêtue d’une robe sombre, abaissée jusqu’à dévoiler son torse, reposant ses coudes sur ses genoux, couvrant ses seins avec ses avant-bras et portant ses mains à sa bouche pour la fermer. Pas de signum harpocraticum, donc, mais un geste beaucoup plus brutal et violent, évoquant des scénarios résolument menaçants. A tel point que le regard est angoissé, presque effrayé. Autour d’elle, le cercle mystique, à ses pieds, un crâne. L’artiste florentin intitule cette œuvre Il Silenzio (Le Silence ) et la présente à la Biennale de Venise en 1901: le succès est tel que l’artiste expose le tableau dans divers contextes internationaux. Dans ses intentions, Il Silenzio devait faire partie d’un triptyque, avec Piacere et Dolore. Mais tant que Kienerk a vécu, il n’a jamais réussi à exposer les trois œuvres ensemble: ce n’est qu’à partir de 1913 qu’il a commencé à emmener La Tristesse en tournée, tandis que Le Plaisir est toujours resté dans son atelier. Aujourd’hui, les trois œuvres sont exposées ensemble au Musei Civici di Pavia, mais c’est Il Silenzio (Le Silence ) qui capte le plus l’attention du spectateur. C’est un tableau magique, un tableau qui suscite des sentiments contradictoires, qui attire et repousse, qui captive et éloigne, qui fascine et déstabilise. C’est aussi un tableau qui n’est pas dépourvu d’accents érotiques.Eros vit dans le silence, et le silence a sa propre dimension érotique. Joséphin Péladan, l’excentrique fondateur de l’Ordre kabbalistique de la Rose-Croix, dans son ouvrage À cœur perdu , avait réussi à résumer la charge érotique du silence en quelques lignes qui viennent immédiatement à l’esprit lorsqu’on observe le Silence de Kienerk: “Silence des lèvres, sans paroles et sans baisers, silence des mains sans caresses, silence des nerfs détendus, silence de la peau desélectrisée et froide ; et tout ce silence glaçant une vierge enflammée par la douleur de l’amplexion et qui attend le plaisir enfin” (silence des lèvres, sans paroles et sans baisers, silence des mains sans caresses, silence des nerfs détendus, silence de la peau dépourvue d’électricité et froide ; et tout ce silence glaçant une vierge enflammée par la douleur de l’amplexion et qui attend le plaisir enfin).

Giorgio Kienerk, Le silence (1900 ; huile sur toile, 170,5 x 94 cm ; Pavie, Musei Civici)
Giorgio Kienerk, Le silence (1900 ; huile sur toile, 170,5 x 94 cm ; Pavie, Musei Civici)

Mais il y a aussi un sentiment d’oppression, d’angoisse craintive: Il Silenzio est un tableau froid et lugubre, qui se déroule dans une nuit lugubre et désolée, et la présence de ce crâne aux pieds de la femme qui se bouche la bouche rend l’observateur encore plus mal à l’aise. Kienerk explore l’un des thèmes les plus chers au symbolisme, l’opposition entre eros et thanatos: la sensualité de la femme nous apparaît ainsi lointaine, inaccessible, niée par le memento mori qui la présente au spectateur, comme si elle venait d’un monde qui n’est pas celui des hommes, une créature de l’au-delà, une vision qui apparaît dans une nuit froide.

Par ailleurs, les intérêts ésotériques de Giorgio Kienerk sont bien connus, sa passion pour l’occultisme et la théosophie, tous ouvertement déclarés dans une lettre qu’il envoya en mai 1901 à Mario Novaro, fondateur de la revue La Riviera Ligure. Kienerk avait séjourné à plusieurs reprises en Ligurie depuis 1891, et Gênes était l’un des centres moteurs de l’occultisme et de la doctrine théosophique en Italie: la ville, qui avait changé de visage pendant la révolution industrielle, comme tous les grands centres européens qui, à la fin du XIXe siècle, avaient connu une croissance urbaine rapide et un développement industriel et économique brusque, manifesta son inquiétude face aux réalisations de la science et de l’industrie en s’immergeant dans le monde de la science et de l’industrie.Le silence est l’une des formes les plus mûres de l’activité scientifique et industrielle, en s’immergeant dans l’intangible, en sondant l’insondable, en remettant en cause la pensée positiviste par l’exploration continue d’une réalité au-delà de ce qui peut être perçu par les sens. Le silence est l’un des fruits les plus mûrs et les plus significatifs de ce tempérament culturel. Ainsi, l’image du silence à laquelle Kienerk donne forme finit par constituer, comme l’a écrit Piero Pacini, “la réponse immédiate des états d’âme et des impulsions souterraines qui accompagnent l’expérience quotidienne”.

On se rend compte, cependant, que ce Silence de Kienerk se déplace sur la frontière esthétique entre le vérisme de sa formation, évident dans le visage de la jeune fille, dans ses bras si bien formés, dans ce regard si réel, et un sens très envahissant de l’abstraction, à partir d’un sens très réel et irréaliste du sujet.Une abstraction très envahissante que l’on retrouve, pour reprendre les termes de l’universitaire Elena Querci, “dans l’idée du cercle” qui isole la jeune fille, “dans la couleur inhabituelle, acide, presque désagréable du fond, enfin dans l’idée de faire flotter la figure, en laissant indéfini le support sur lequel elle repose”: c’est ici que “les composantes abstraites du tableau sont enfermées”. Cette opposition semble presque être la traduction esthétique des dissensions d’un artiste qui, pourtant, malgré ses tourments ésotériques, semble plus agité par un malaise existentiel que par un désir d’explorer l’inexploré. Il est donc intéressant de revenir au titre que Kienerk avait imaginé pour le triptyque dont Le Silence aurait été le panneau central, et qui nous est parvenu des notes autographes de l’artiste: L’Enigme humaine.

Douleur, silence, plaisir: trois moments de la vie de chaque être humain au centre d’un triptyque médité et réfléchi, loin d’une élaboration impulsive et irréfléchie du mystère de la vie. Pour lire Le Silence , il faut donc revenir aux lectures qui ont accompagné les journées de Kienerk au début du siècle, qui l’ont orienté vers la philosophie et en particulier vers la philosophie ésotérique et l’occultisme indiens: on sait, par exemple, que parmi ses livres figurait La Philosophie ésotérique de l’Inde de Jagadish Chandra Chatterji, une synthèse agile des disciplines ésotériques indiennes, spécialement conçue pour un public occidental. Pour Kienerk, ces voyages continus dans l’ésotérisme avaient un but: ils étaient pour lui, et il l’a lui-même déclaré à Novaro, “tout ce qui élève l’âme et tend à nous faire supporter calmement les adversités que, par la loi des causes, nous nous créons à nous-mêmes dans chaque existence”. Et probablement, suggère Querci, Kienerk devait aussi connaître la pensée de la Rose-Croix, pour qui le silence jouait le rôle de médiateur entre la douleur et le plaisir, permettant à la première de vaincre le second: c’est la dimension évoquée par les propres mots de Péladan sur l’éros du silence. Pour Kienerk, plonger dans les abîmes de l’occultisme signifiait trouver des réponses aux problèmes les plus dramatiques et les plus profonds de la réalité.


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