Gianni Papi et Federico Fischetti ont le mérite d’avoir porté et partagé avec le public les recherches les plus récentes sur la phase italienne du peintre hollandais Hendrick ter Brugghen (La Haye, 1588 - Utrecht, 1629) en réalisant la première grande exposition en Italie consacrée à l’artiste. Ce n’est pas un hasard si la Galleria Estense de Modène a été choisie pour accueillir l’exposition Ter Brugghen. De la Hollande à l’Italie sur les traces du Caravage, ouverte jusqu’au 14 janvier 2024, car c’est ici que tout a commencé. L’année dernière, en effet, la même galerie de Modène avait présenté la petite exposition thématique Indagini intorno a Giovanni Serodine (1600-1630). I santi eremiti della Galleria Estense e della Certosa di Pavia, organisée par Fischetti et Emanuela Daffra, sur la restauration du Saint appartenant à la collection du musée, et c’est précisément à cette occasion, comme le révèle Gianni Papi dans le catalogue de l’exposition d’aujourd’hui, qu’ont mûri rapidement certaines idées qui ont poussé le musée modénais à mettre en chantier cette “ambitieuse exposition”. En effet, c’est en voyant le tableau restauré de Modène, exposé comme une œuvre de Giovanni Serodine, et le Saint Jean-Baptiste du Musée de la Chartreuse de Pavie, exposé comme une copie de Giuseppe Vermiglio et que Papi voyait pour la première fois, restauré, que l’érudit lui-même a eu la passionnante révélation: "le langage stylistique ne laissait aucun doute sur l’autographie de Ter Brugghen pour le Saint écrivant sur Modène“, écrit le commissaire de l’exposition. ”Les coups de pinceau curvilignes qui structurent la robe sont très clairs, de même que les mains sans équivoque, construites par touches directes, sans pétrissage, sans dessin". Et en observant également, poursuit-il en se référant à Saint-Jean-Baptiste, “la grande qualité de la manipulation confiante de la fourrure des jambes du saint, des mains du magnifique agneau, il ne fait aucun doute que l’œuvre autographe du peintre hollandais se trouvait également dans ce tableau”. Et encore, écrit Papi, "avec deux toiles dans la Chartreuse attribuables au peintre d’Utrecht, il était raisonnable de penser que le Saint Paul l’Ermite cachait aussi une image du même artiste (de nombreux éléments le suggéraient, à commencer par le visage et en continuant avec les jambes et les pieds incomparables)".Pour ce dernier tableau, il reconnaît toutefois que la qualité n’est pas suffisante pour affirmer qu’il s’agit d’une peinture autographe, mais plutôt d’une copie révélant un original (aujourd’hui perdu) de Ter Brugghen. Face à ces nouvelles attributions par Gianni Papi de trois œuvres (dont une copie) de Ter Brugghen pour la Chartreuse de Pavie, avec lesquelles Fischetti est également entièrement d’accord, l’idée d’une exposition, la première en Italie, sur le séjour de Ter Brugghen dans notre pays et donc sur sa production italienne, a donc été lancée, rendue possible grâce au soutien de la directrice des galeries Estense Martina Bagnoli et du responsable du musée Federico Fischetti en personne.
Dans son essai Per la ricostruzione del soggiorno di Hendrick Ter Brugghen in Italia, Papi rappelle qu’il avait déjà abordé la jeunesse du peintre en Italie en 2015 et 2020, jetant les bases de la reconstruction du corpus de l’artiste, mais que très peu de données sont connues: sa date de naissance est inconnue, mais on suppose qu’il est né en 1588, année que son fils Richard a inscrite dans la dédicace du cadre des Évangélistes du musée De Waag à Deventer ; selon les biographes De Bie et Houbracken, le peintre a séjourné en Italie pendant dix ans et a rencontré Rubens à Rome ; Ter Bie et Houbracken ont écrit que le peintre était né en 1588, mais qu’il n’était pas né en 1588. Ter Brugghen lui-même déclare le 1er avril 1615 qu’il a séjourné plusieurs années dans la péninsule et qu’à l’été 1614 il se trouvait à Milan, d’où il est reparti à l’automne de la même année pour retourner à Utrecht où il était arrivé le 1er octobre.
L’exposition de la Galleria Estense de Modène présente donc de nombreux tableaux dont l’attribution est due au commissaire Gianni Papi, y compris les trois œuvres mentionnées jusqu’à présent liées à la Chartreuse de Pavie ; cependant, il s’agit d’une exposition qui avance par hypothèse, comme le déclare explicitement et prudemment le commissaire, tant dans le catalogue que dans l’exposition: “L’exposition de Modène est une exposition pionnière, avec plusieurs hypothèses, parce qu’il y a très peu de données de départ ; j’ai donc dû me fier surtout au contenu linguistique des peintures, aux analyses stylistiques, qui, comme nous le savons, peuvent rencontrer l’aversion de ceux qui ne les comprennent pas complètement et préfèrent par conséquent nier les résultats”.
Le coup d’envoi de l’exposition est donné par le Saint Writing appartenant à la collection de la Modenese Gallery, une œuvre qui, comme prévu, a été fondamentale pour la naissance de l’exposition monographique elle-même. Attribuée en 1943 par Roberto Longhi à Giovanni Serodine et presque unanimement acceptée par les spécialistes, cette attribution centenaire laisse en suspens, du moins pour le moment, la question iconographique, puisqu’on ne sait pas clairement quel saint est représenté (saint Jérôme ? saint Augustin ?). Dans le catalogue, l’essai de Federico Fischetti se concentre sur le tableau naturaliste de l’ancienne galerie ducale de Modène et plus précisément sur l’histoire de la collection de l’ œuvre, ses anciennes attributions, pour arriver à l’hypothèse selon laquelle le Saint qui écrit est identifié au Saint Augustin du Caravage, un tableau mentionné pour la première fois en 1657 dans les collections des Estensi par Francesco Scannelli dans son Microcosme de la peinture, un traité également présenté au début de l’exposition. Au milieu du XVIIe siècle, le palais ducal commandé par le duc François Ier d’Este contenait un noyau de peintures caravagesques, témoignage du rôle important joué par la peinture naturaliste à cette époque et dans ce contexte. Dans le traité de Scannelli, dédié au duc lui-même, on peut lire dans les pages consacrées au Caravage: “Dans l’extraordinaire Galeria del Serenissimo Duca di Modana, on peut observer une peinture d’un S. Agostino di meze figure al naturale, il quale sta rivolto con la penna in mano in atto spiritosissimo, che palesa vividness e verità veramente insolita e rara”. Serait-ce le saint décrit par Scannelli dans la collection ducale ? En 1663, il est inventorié dans les salles du noyau le plus ancien du palais ducal, où Scannelli a également remarqué au-dessus d’une porte “un tableau au cadre doré posé sur toile par Michel Angelo da Caravaggio. Il représente saint Augustin en train d’écrire”. Le catalogue présente également une contribution de Gianluca Poldi sur les recherches diagnostiques effectuées sur le Saint écrivant à l’occasion de sa restauration pour l’exposition de 2022: les recherches ont permis une comparaison avec la base de données diagnostique des œuvres sur toile de Sérodine qui montrait plus de discordances que de cohérence. En l’absence d’archives similaires de données techniques sur les œuvres de Ter Brugghen, des observations visuelles des œuvres qui lui sont définitivement attribuées et des comparaisons avec le peu de matériel de diagnostic disponible ont été effectuées.
L’exposition se poursuit avec de grands tableaux que l’on peut situer dans la période italienne du peintre, comme la Négation de saint Pierre de la collection Spier, d’abord connue scientifiquement par Gianni Papi, qui l’a exposée comme une œuvre certaine de Ter Brugghen lors de l’exposition consacrée à Gerrit van Honthorst aux Offices en 2015 et qui, cinq ans plus tard, l’a identifiée avec un tableau figurant dans l’Inventaire des biens du marquis Vincenzo Giustiniani de 1638 comme une œuvre supposée être de la main d’Henri d’Anvers. Dans ce cadre nocturne, la seule source de lumière de la composition provient du feu de bois dans le coin inférieur gauche, qui éclaire puissamment le visage de la servante et permet d’apercevoir les autres personnages dans l’obscurité. Notez le turban blanc de la servante, qui constitue un précédent du turban de Pilate dans le tableau de Lublin représentant Pilate en train de se laver les mains. Une proximité avec la première phase de l’activité de Gherardo delle Notti en Italie peut également être décelée dans la Négation : elle pourrait avoir fortement influencé les premières expériences luministes de ce dernier, bien que moins chargées. Aux premières années de la production de Ter Brugghen à Rome, entre la fin de la première et le début de la deuxième décennie du XVIIe siècle, Papi rattache également la Dérision du Christ de Lille, l’Adoration des bergers et Salomé recevant la tête du Baptiste, toutes deux issues de la collection Spier, et l’Incrédulité de saint Thomas, provenant d’une collection privée.Thomas d’une collection privée, exposée pour la première fois au public et qui présente, selon Papi, des similitudes évidentes de dessin et de physionomie entre les apôtres au fond de ce tableau et les bergers à l’arrière-plan à gauche de l’Adoration des bergers de Spier. Autant d’œuvres que le visiteur peut admirer dans la première partie du parcours de l’exposition. Viennent ensuite le Portrait d’un jeune homme (peut-être un autoportrait de l’artiste) de la Galerie Jacques Leegenhoek à Paris et le Saint Étienne de la collection Koelliker, qui sont à ce jour les seuls portraits en demi-figure se rapportant à la phase italienne de Ter Brugghen. Des similitudes dans les traits somatiques d’un berger de l’Adoration des bergers de Spier ont également été reconnues dans ce dernier. Enfin, la paternité du Saint Jean l’Évangéliste, ici exposé, a été redécouverte de manière décisive en 2020 par Gianni Papi à Ter Brugghen: ce tableau aussi, comme le Saint qui écrit, avait été attribué par Roberto Longhi à Sérodine (l’œuvre a eu une histoire d’attribution controversée). Pour le conservateur, le Saint Jean l’Évangéliste de la Galleria Sabauda présente des correspondances évidentes avec l’Adoration des Bergers de Spier et la Négation de Saint Pierre, mais surtout, il note des affinités avec les toiles de la Certosa de Pavie et reconnaît une physionomie proche de la production hollandaise du peintre.
Enfin, c’est également grâce à Papi qu’il a reconnu la main d’un autre peintre que le Hollandais dans le Saint Jean-Baptiste de la Chartreuse de Pavie, prêté à l’occasion de l’exposition: Giulio Cesare Procaccini , qui, selon l’érudit, a peint le visage, aux traits plus correggioïques, en contraste avec le corps peint par Ter Brugghen. À la suite de cette révélation, Papi avance à nouveau l’hypothèse d’une collaboration entre les deux peintres, y compris dans la Cène à Emmaüs exposée ici et au Kunsthistorisches Museum de Vienne, car la différence de main entre la figure du Christ, en particulier le visage, et les disciples serait évidente. Dès 1999, Alessandro Morandotti a émis l’hypothèse d’une collaboration en 1614 entre Ter Brugghen et Procaccini pour la figure du Christ. Parmi les rares informations certaines sur la vie du Hollandais, il y a sa présence à Milan en 1614. Compte tenu de cette collaboration, ainsi que de la réalisation des toiles pour la Certosa de Pavie, il est probable que le séjour du peintre en Lombardie ait été plus important qu’une apparition fugace au cours de l’été 1614 sur le chemin du retour vers Utrecht.
Avec une nouvelle section, l’exposition se poursuit avec des œuvres de la période hollandaise de Ter Brugghen, après son retour d’Italie, mais en tout cas avant 1620. Voici donc la toile représentant Pilate se lavant les mains, déjà mentionnée plus haut pour sa référence au turban blanc sur la tête de la servante dans la Négation de saint Pierre. Celle du Muzeum Narodowe de Lublin est un tableau où l’influence du séjour italien de l’artiste, et notamment de ses œuvres lombardes, est clairement perceptible. Dans le serviteur versant de l’eau sur les mains de Pilate, on reconnaît une correspondance avec le Saint Jean l’Évangéliste de la Galerie Sabauda (notamment dans le vert de la robe du premier et du manteau du second), tandis que les mains de Pilate sont considérées comme “ une signature ” de Ter Brugghen, car on les retrouve dans le Saint Écrivain, Salomé, Saint Jean Baptiste et l’Adoration des bergers. Même l’un des chefs-d’œuvre les plus célèbres du peintre néerlandais, la Vocation de saint Matthieu, prêtée par le Musée d’art moderne André Malraux du Havre, fait une référence évidente, bien qu’inversée, au chef-d’œuvre du Caravage à Saint-Louis des Français à Rome, mais entrelace cette citation avec des éléments presque nordiques, tels que les traits de l’artiste. Des éléments nordiques, comme le chapeau à plumes ou la manche blanche du garçon au centre de la scène, les papiers froissés à l’arrière-plan à droite et le groupe qui compte les pièces de monnaie.
Enfin, l’exposition se termine par un tour d’horizon des deux artistes qui ont suscité une comparaison avec la production de Ter Brugghen, comme Procaccini et Sérodine (le premier, comme nous l’avons vu, pour l’hypothèse d’une collaboration entre les deux ; le second pour l’attribution de certains tableaux aujourd’hui attribués à Ter Brugghen), ainsi que des peintres qui montrent comment le Hollandais a été l’un des protagonistes du langage naturaliste né dans la foulée du Caravage, comme Jusepe de Ribera, Dirck van Baburen et Gerrit van Honthorst, qui se réalise surtout dans le rendu réaliste des figures et des décors et dans un rendu luministe qui joue sur le clair-obscur ou les nocturnes avec une seule source de lumière capable de créer des suggestions particulières.
Malgré le fait que l ’éclairage rende très difficile la vision claire de nombreuses peintures exposées, un problème qui ne devrait en aucun cas exister dans une exposition comme celle-ci qui se concentre précisément sur la comparaison d’éléments de peintures individuelles et dans l’un des lieux muséaux les plus importants d’Italie comme la Galleria Estense, l’exposition de Ter Brugghen à Modène nous donne l’occasion d’admirer des œuvres que nous ne pourrions autrement pas voir sur le sol italien, car beaucoup proviennent de l’étranger et de collections privées, et de voir les toiles susmentionnées pour la Chartreuse de Pavie exposées à nouveau ensemble. C’est une exposition qui vaut la peine d’être visitée, non seulement pour les chefs-d’œuvre qu’elle présente (la Vocation de saint Matthieu du Havre en est un exemple), mais aussi parce qu’elle confronte le public aux recherches les plus récentes sur un peintre dont on sait encore peu de choses, surtout sur sa phase italienne, et qui est plongé dans le vaste contexte du naturalisme caravagesque, et donc fortement influencé par la peinture italienne. Il s’agit également de la première exposition monographique en Italie consacrée à Ter Brugghen et de la première à explorer ses années italiennes, une occasion à ne pas manquer. Le catalogue qui accompagne l’exposition, le premier catalogue sur Ter Brugghen en Italie, est également utile: toutes les œuvres de l’exposition sont accompagnées de leur fiche descriptive (un élément à ne pas sous-estimer car les catalogues “modernes” ont malheureusement souvent tendance à les éliminer) ; il y a également des essais des deux commissaires, la contribution de Tommaso Borgogelli Hendrick Ter Brugghen en Italie à travers les sources et les documents, et enfin une section rédigée par Gianluca Poldi sur les recherches techniques effectuées sur le Saint. Comme l’écrit Gianni Papi, l’exposition se veut “un grand pas en avant pour définir quelques points fixes” sur l’activité italienne du peintre et ensuite “aller de l’avant” ; pour générer “de nombreux points de réflexion et de discussion et de nouvelles voies d’étude”, comme le souligne Martina Bagnoli, directrice des Galeries Estense, parce que “l’une des principales missions d’un musée d’art ancien est précisément d’ouvrir de nouvelles perspectives et d’encourager de nouvelles rencontres”. Et nous espérons que les études et les recherches sur ce peintre se poursuivront.
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