Le surréalisme de 1929 exposé à Pise: une bonne idée, une moins bonne réalisation


Compte rendu de l'exposition '1929: le grand surréalisme du Centre Pompidou. De Magritte à Duchamp" à Pise, Palazzo Blu, du 11 octobre 2018 au 17 février 2019.

L’année 1929 est entrée dans l’histoire de l’art comme l’année décisive pour le destin du surréalisme dans son ensemble. Cette année-là, le mouvement fondé en 1924 par André Breton (Tinchebray, 1896 - Paris, 1966) est confronté à des événements cruciaux qui marqueront son histoire de manière indélébile: on peut dire que l’un des tournants s’est produit à la mi-février, lorsque Breton et Louis Aragon (Paris, 1897 - 1982) ont envoyé une lettre à divers représentants du mouvement surréaliste (ou, d’une manière ou d’une autre, liés au surréalisme) afin de connaître leur position idéologique en vue d’éventuelles actions collectives que le groupe allait entreprendre sous peu. Ce sont les prémices de la scission interne du groupe qui se produira dans les semaines suivantes. Le poète et critique d’art, membre du Parti communiste français depuis 1926, souhaitait que l’ensemble du groupe s’engage politiquement dans le sens des idéaux que Breton lui-même avait embrassés: de nombreux artistes surréalistes manifestèrent un profond désaccord avec les intentions de Breton et se détachèrent du groupe, donnant lieu à de nouvelles expériences. Mais l’histoire du surréalisme a connu bien d’autres moments forts la même année: Au printemps, Salvador Dalí (Figueres, 1904 - 1989) arrive à Paris et est introduit dans le mouvement par Joan Miró (Barcelone, 1893 - Palma de Majorque, 1983). Arrivé dans la capitale française, il apporte à son tour une contribution fondamentale au surréalisme dès ses débuts, en se faisant connaître en participant à la production du célèbre film Un chien andalou de Luís Buñuel (Calanda, 1900 - Mexico, 1983). En avril, l’un des dissidents, Georges Bataille (Billom, 1897 - Paris, 1962), publie le premier numéro de la revue Documents et, un mois plus tard, le roman-collage de Max Ernst (Brühl, 1891 - Paris, 1976) La femme 100 têtes, tandis qu’en juin a lieu la première exposition du groupe Le Grand Jeu. Vers la fin de l’année, un désaccord entre Breton et René Magritte (Lessines, 1898 - Bruxelles, 1967) convainc le peintre belge de retourner dans son pays natal, et le 15 décembre paraît le dernier numéro de La Révolution surréaliste.

Les événements brièvement résumés au début (ainsi que d’autres évoqués ci-dessous) font l’objet d’une exposition à Pise, au Palazzo Blu, intitulée 1929: le grand surréalisme du Centre Pompidou. De Magritte à Duchamp et qui, à partir d’un ensemble de chefs-d’œuvre provenant (en bloc) du Centre Pompidou de Paris, se propose de faire le point sur cette année très importante pour le surréalisme et, par conséquent, pour l’histoire de l’art du XXe siècle. Dès lors, l’idée de l’exposition dont le commissaire est Didier Ottinger, directeur adjoint du Musée national d’art moderne, ne peut que sembler bonne, et bien qu’une vaste bibliographie ait été produite sur le thème du “Surréalisme en 1929”, une exposition capable de synthétiser les études et les recherches dans un bon projet de vulgarisation pour le grand public, capable de dépasser l’habituelle perspective de blockbuster dans laquelle tombent souvent les expositions consacrées à Dalí et à ses compagnons, ne pouvait qu’être accueillie favorablement dès son annonce. Il est cependant dommage que l’exposition de Pise n’atteigne que partiellement ses objectifs et ne se présente pas comme une exposition réellement incisive, capable de réaliser ses intentions: et les lacunes sont évidentes dès le titre, puisque les “Magritte” et “Duchamp” inclus dans le titre ont pour seul but de présenter deux noms étranges pour le public, puisqu’ils ne sont pas les principaux protagonistes de l’exposition et qu’ils ne peuvent être pris comme points de référence pour tracer une trajectoire à l’intérieur de l’année 1929. Paradoxalement, il aurait été plus logique d’inclure le nom de Dalí dans le titre, peut-être évité pour ne pas donner l’impression d’avoir trop succombé à la logique commerciale, étant donné la surexposition médiatique de l’artiste catalan, mais certainement approprié pour donner l’idée de l’importance de sa contribution au mouvement en 1929.

Une salle de l'exposition 1929: le grand surréalisme du Centre Pompidou. De Magritte à Duchamp
Une salle de l’exposition 1929: le grand surréalisme du Centre Pompidou. De Magritte à Duchamp


Une salle de l'exposition 1929: le grand surréalisme du Centre Pompidou. De Magritte à Duchamp
Une salle de l’exposition 1929: Le grand surréalisme duCentre Pompidou. De Magritte à Duchamp


Une salle de l'exposition 1929: le grand surréalisme du Centre Pompidou. De Magritte à Duchamp
Une salle de l’exposition 1929: Le grand surréalismedu Centre Pompidou. De Magritte à Duchamp" />

L’exposition démarre bien (mais sans apports particulièrement originaux) en proposant un bref rappel historique du mouvement à l’attention d’un public qui ne connaîtrait pas l’histoire du surréalisme. Le visiteur est d’abord confronté à la définition du surréalisme telle que formulée par Breton dans son manifeste de 1924 (un “automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, tant verbalement que de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale”), et pour mieux expliquer le concept, un petit groupe d’exquis de Cadavre créés par le jeu de certains surréalistes est exposé dans le couloir qui constitue en fait l’introduction de l’exposition: Comme on le sait, le “cadavre exquis” était un passe-temps consistant à créer une histoire par un groupe de joueurs, dont chacun ne pouvait connaître que le dernier mot écrit avant son tour (il en allait de même pour les images: il s’agissait de créer un dessin, et chaque joueur faisait couvrir la feuille, ne laissant visible que la dernière partie exécutée avant son tour). C’est une pratique à laquelle les surréalistes ont eu recours pour démontrer ce “véritable fonctionnement de la pensée”, activé par l’inconscient et sans les limites imposées par la raison, que les membres du mouvement entendaient mettre en évidence, en utilisant l’association libre et aléatoire d’éléments comme clé pour révéler les mécanismes générés par la psyché. Une fonction introductive est également réservée à la salle suivante, qui entend présenter aux visiteurs quelques œuvres des précurseurs du surréalisme, surtout les artistes du mouvement Dada, fondé à Zurich en 1916: avec les dadaïstes, les surréalistes auraient partagé la tendance à l’action collective et à la participation du groupe, ainsi que des intentions subversives, tandis qu’ils auraient été divisés par la manière de concevoir l’action artistique (qui pour les dadaïstes avait un caractère destructeur, tandis que pour les surréalistes l’action était toujours constructive). La présence d’une œuvre clé du mouvement Dada telle que L.H.O.Q. de Marcel Duchamp (Blainville-Crevon, 1887 - Neuilly-sur-Seine, 1968) marque une différence profonde entre Dada et le surréalisme: alors que le premier était dans la dérision et le rejet total, le second continuait à se tourner vers la tradition. Il est intéressant de rappeler comment, dans les années 1950, l’un des principaux artistes du mouvement surréaliste, Yves Tanguy (Paris, 1900 - Woodbury, 1955), en énumérant ses artistes préférés, indiquait quelques noms d’illustres peintres de la Renaissance (Cranach, Bosch, Paolo Uccello), ainsi que celui d’un contemporain, Giorgio De Chirico (Volos, 1888 - Rome, 1978), observé avec intérêt par Breton et ses compagnons car les associations d’objets inattendus dans ses œuvres étaient d’une certaine manière conformes à l’esthétique et à la pensée du surréalisme (“dans sa jeunesse”, déclarait Breton en 1928, “De Chirico a accompli ce qui fut pour nous le voyage le plus extraordinaire jamais entrepris”: à savoir le voyage dans le domaine du rêve et de l’inconscient). L’attitude de De Chirico à l’égard du peintre d’origine grecque est cependant ambivalente, car des œuvres comme la Lutte Antique présentée dans l’exposition (qui fait partie des œuvres sur le thème des gladiateurs) sont ouvertement méprisées, et bientôt les relations entre De Chirico et les surréalistes se détériorent de manière irrémédiable (l’artiste italien, dans son autobiographie, les décrira comme “[TRADUCTION] un groupe de dégénérés, hargneux et sans scrupules”).un groupe de dégénérés, de voyous, d’enfants du père, d’oisifs, d’onanistes et d’abrutis qui s’intitulaient pompeusement “surréalistes” et parlaient même de “révolution surréaliste” et de “mouvement surréaliste”").

Sans qu’on lui propose un parcours qui approfondisse les développements du mouvement, le spectateur est immédiatement catapulté dans medias res avec l’arrivée de Salvador Dalí à Paris en 1929: Les images d’Un chien andalou, film né “de la rencontre de deux rêves”, comme l’écrira Buñuel dans son autobiographie, et qui, par sa charge agressive, et “soutenu par une logique onirique”, écrit Philippe-Alain Michaud dans l’essai du catalogue consacré au film, “visait à frapper ou à inquiéter le spectateur par des images bizarres ou choquantes plutôt qu’à le séduire”, défilent sur un écran. Dalí a participé à l’écriture du film (on lui doit par exemple l’image de la main pleine de fourmis) et a élaboré avec Buñuel un produit qui, malgré sa violence transgressive, continue à utiliser une structure conventionnelle, peut-être parce que, comme le suppose Michaud, l’intention des deux artistes espagnols était de rejeter les expériences conceptuelles pour s’adresser directement et exclusivement à la sensibilité du public, comme Buñuel lui-même l’affirmera par la suite. Dalí est immédiatement apprécié par les surréalistes parisiens, qui louent le caractère totalement nouveau de son art, sa capacité à s’ouvrir à l’onirisme et la puissance de sa verve. L’exposition de Pise présente quelques œuvres centrales pour contextualiser la fascination exercée par Dalí sur ses collègues: une œuvre comme L’Âne pourri est directement liée à Un chien andalou, où apparaît l’image de carcasses d’ânes en décomposition (“la putréfaction”, écrivait le commissaire Ottinger en 2006, “devient l’instrument privilégié d’une critique implacable de l’idéalisme”), tandis que Dormeuse, cheval, lion invisibles est une composition qui s’inspire de l’œuvre de Dalí. lion invisibles est une composition qui révèle les fondements de la méthode de Dalí, qu’il aurait lui-même décrite, dans un article publié dans la revue Le Surréalisme au service de la révolution (et intitulé précisément L’Âne pourri), comme “une méthode spontanée de connaissance irrationnelle basée sur l’association interprétative-critique de phénomènes délirants”, et enfin Hallucination partielle. Six imagenes de Lénine sur un piano est un rêve avec lequel l’artiste de Figueres ironise sur les relations entre le surréalisme et la politique, ce qui l’a d’ailleurs directement impliqué dans les suites de l’indignation exprimée par les communistes français après la publication de l’article de Dalí intitulé Rêverie dans Le Surréalisme au service de la révolution.

L’une des sections les plus intéressantes de l’exposition de Palazzo Blu est celle qui porte le titre La peinture au défi, tiré de l’essai du même nom que Louis Aragon consacra au thème du collage en 1929. Défi “au statut métaphysique de la peinture, médium qui par nature n’est certainement pas éternel” (William Jeffett), le collage, inventé dans la sphère cubiste (certaines œuvres de Picasso sont présentes dans l’exposition, même s’il s’agit d’huiles sur toile), devient pour les surréalistes un moyen supplémentaire d’exploration de l’inconscient. C’est Aragon lui-même qui a clarifié les raisons du recours au collage et établi les différences entre le collage cubiste, le collage dadaïste et le collage surréaliste. Cette technique, selon Aragon, confrontait l’artiste au problème de l’entrée du réel dans l’art, mais en même temps, en tant que moyen de créer une nouvelle réalité, elle établissait aussi une rupture avec le réel, ainsi que l’entrée de la dimension du merveilleux dans l’œuvre d’art: merveilleux qui, pour Aragon, “est la contradiction qui apparaît dans le réel”. Et c’est sur cette base que se fonde la différence entre le collage cubiste et le collage surréaliste: "pour les cubistes, écrit-il, le cachet de la poste, le journal, la boîte d’allumettes que le peintre colle sur le tableau, ont la valeur d’un test, d’un instrument de contrôle de la réalité du tableau lui-même. L’objet collé exprime un lien avec le monde réel, et le collage cubiste est lui-même présence réelle et représentation. Le collage surréaliste, au concept de présence, oppose celui de transformation: dans l’œuvre d’un artiste comme Ernst (pour lequel Aragon parlait de "collage polémique"), le choc d’éléments réels appartenant à des sphères différentes et assemblés dans un même espace est capable de créer une nouvelle réalité. Max Ernst est présent dans l’exposition, aussi bien avec quelques planches de La femme 100 têtes, le roman-collage qui entendait réviser le concept même de roman, qu’avec une œuvre comme Loplop présente une jeune fille, où l’alter ego de l’artiste (“Loplop”, sorte de monstre-oiseau qui revient dans plusieurs de ses œuvres) fait un caméo (la jeune fille) pour remettre en question les intentions imitatives du tableau. Et si Le phare de Tanguy nous transporte dans une dimension onirique, l’innovante Peinture-objet de Miró de 1931 illustre l’un des nouveaux intérêts du groupe surréaliste, celui de la peinture en tant qu’objet, qui aura des échos des décennies plus tard.

Joan Miró, Max Morise, Man Ray, Yves Tanguy, Cadavre exquis (1927 ; encre, mine de plomb, crayon de couleur et collage d'un fragment de papier argentique sur papier, 36 x 23 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne)
Joan Miró, Max Morise, Man Ray, Yves Tanguy, Cadavre exquis (1927 ; encre, mine de plomb, crayon de couleur et collage d’un fragment de papier argentique sur papier, 36 x 23 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne)


Greta Knutson, Tristan Tzara, Valentine Hugo, Cadavre exquis (1929 ; crayon de couleur sur papier, 32,7 x 25 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne)
Greta Knutson, Tristan Tzara, Valentine Hugo, Cadavre exquis (1929 ; crayon de couleur sur papier, 32,7 x 25 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne)


Marcel Duchamp, L.H.O.Q. (1930 ; graphite sur support photographique, 61,5 x 49,5 cm ; image 48 x 33 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne)
Marcel Duchamp, L.H.O.Q. (1930 ; mine de plomb sur support photographique, 61,5 x 49,5 cm ; image 48 x 33 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne)


Giorgio De Chirico, Lutte antique (huile sur toile, 73 x 100 cm ; image 48 x 33 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne)
Giorgio De Chirico, Lutte antique (huile sur toile, 73 x 100 cm ; image 48 x 33 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne)


La projection d'Un chien andalou à l'exposition du Palazzo Blu
La projection d’Un chien andalou à l’exposition Palazzo Blu


Salvador Dalí, L'âne pourri (1928 ; huile, sable et gravier sur carton, 61 x 50 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne)
Salvador Dalí, L’âne pourri (1928 ; huile, sable et gravier sur panneau, 61 x 50 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne)


Salvador Dalí, Dormeuse, cheval, lion invisibles (1930 ; huile sur toile, 50,2 x 65,2 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne)
Salvador Dalí, Dormeuse, cheval, lion invisibles (1930 ; huile sur toile, 50,2 x 65,2 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne)


Salvador Dalí, Hallucination partielle. Six images de Lénine sur un piano (1931 ; huile et peinture sur toile, 114 x 146 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne)
Salvador Dalí, Hallucination partielle. Six images de Lénine sur un piano (1931 ; huile et peinture sur toile, 114 x 146 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne)


Max Ernst, Loplop présente une jeune fille (1930/1966 ; huile sur bois, plâtre et objets, 194,5 x 89 x 10 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne)
Max Ernst, Loplop présente une jeune fille (1930/1966 ; huile sur bois, plâtre et objets, 194,5 x 89 x 10 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne)


Yves Tanguy, Le phare (1926 ; huile sur toile avec collage d'allumettes, bateau en bois et papier, 61 x 50 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne)
Yves Tanguy, Le phare (1926 ; huile sur toile avec collage d’allumettes, bois et bateau en papier, 61 x 50 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne)


Joan Miró, Peinture-objet (1931 ; peinture blanche, huile et peinture au sable sur panneau de bois fixé sur une grille de fer, 36 x 26 x 3 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne)

Le rythme rhapsodique de l’exposition conduit le public dans une salle consacrée à l’histoire du Grand Jeu, groupe singulier formé à Reims au début des années 1920 à l’initiative de quelques lycéens (René Daumal, Roger Gilbert-Lecomte, Robert Meyrat et Roger Vailland), tous poètes ou écrivains désireux d’explorer empiriquement les recoins les plus intimes de l’inconscient: Des “anges rebelles”, écrit David Liot dans son essai de catalogue, “prônent l’innocence de l’enfance et se nomment ”simplistes“, expérimentent le ”dérèglement des sens“ et les états extrêmes de l’existence (privation de sommeil, somnambulisme, drogue, alcool, etc.), n’hésitant pas à jouer le jeu du ”jeu de l’inconscient“.), n’hésitant pas à jouer à la roulette russe ou à marcher pendant des heures les yeux bandés pour avoir la sensation d’être à la frontière entre deux mondes”. Leur rejet de la réalité trouve son origine dans les bouleversements provoqués par la Première Guerre mondiale et, par une communauté d’intentions, les rapprochera bientôt du groupe des surréalistes: entre-temps, le Grand Jeu s’enrichira de quelques représentants qui en incarneront l’âme artistique, comme Maurice Henry (Cambrai, 1907 - Milan, 1984) et Josef Šíma (Jaromê&rcaron ;, 1891 - Paris, 1971). Šíma, en particulier, initie les quatre jeunes rémois à la peinture et donne corps, par ses tableaux, aux visions quasi mystiques de ses compagnons d’aventure: on trouve dans l’exposition un de ses Double Paysage, tempête électrique où l’on observe le même paysage, qui apparaît aux yeux du spectateur flou comme dans un rêve, reproduit deux fois. Tableau faisant référence à un événement qui a marqué l’imaginaire de Šíma (la vision d’un éclair lors d’une nuit d’orage), son Double Paysage transfigure une scène réelle en une dimension métaphysique à laquelle le peintre, qui comme ses amis du Grand Jeu est à la recherche d’une “métaphysique expérimentale”, peut accéder après une expérience directe. Plus conforme aux idéaux du groupe de Breton est l’art de l’histrionique Henry, dont les dessins surréalistes et sarcastiques (tels que Le suicide est-il une solution? ou À Longchamp) est, parmi les représentants du Grand Jeu, celui qui se rapproche le plus des surréalistes, et sera l’un des rares à rester en contact avec Breton après la réunion des surréalistes de mars 1929, au cours de laquelle l’expulsion des membres du ’Grand Jeu’ sera décrétée (officiellement, en raison d’un éditorial de Vailland considéré comme proche des positions réactionnaires, en réalité parce que les idées des deux mouvements se sont révélées inconciliables).

D’un bond de Paris à Bruxelles, l’exposition introduit la figure de René Magritte: 1929 est l’année où le peintre belge se fait connaître en paraissant dans la revue Varietés, le mensuel fondé l’année précédente par Paul-Gustave van Hecke (Gand, 1887 - Elsene, 1967) et assez proche des positions de Breton, malgré l’hostilité ouverte de van Hecke à l’égard de l’écrivain français (il le considérait comme un “dictateur”, ce qui ne l’empêcha pas de faire éditer par Breton le numéro de juin 1929, un numéro spécial consacré au surréalisme). Le flair de Magritte se distingue par une interprétation originale du surréalisme, visant à établir des liens entre les images et les mots: dans l’un de ses articles, justement intitulé Les mots et les images (publié dans La révolution surréaliste, également en 1929), l’artiste aurait lui-même explicité ses idées par un texte accompagné d’images explicatives, semblables à celles que l’on trouve dans les livres pour enfants (“un objet un objet”, écrit-il en marge de l’image d’une feuille à côté de laquelle est apposé “le canon”, “ne tient pas tellement à son nom qu’on ne puisse lui en trouver un autre plus convenable”, ou qu’“un objet nous fait supposer qu’il y en a d’autres derrière lui”, ou encore qu’“un objet n’accomplit jamais la même tâche que son nom ou son image”). Ces relations (qui anticipent de plusieurs années l’art conceptuel et les recherches d’un maître comme Joseph Kosuth) sont approfondies dans la pratique picturale: l’exposition présente la Querelle des Universaux de 1928, une peinture énigmatique qui reprend dans son titre la quaestio de universalibus (la querelle des universaux de la scolastique médiévale, qui concernait précisément la relation entre les objets et le langage, et notre capacité à exprimer pleinement la réalité avec les termes du mot), et où une étoile grise à cinq branches divise quatre mots (“canon”, “feuillage”, “miroir”, “cheval”) qui remplacent les éléments qu’ils représentent et se combinent pour composer un paysage aliénant qui stimule la capacité de l’observateur à relier le mot à son objet de référence. Un autre tableau typique de la poétique de Magritte est Le Double Secret, portrait d’un homme qui enlève son masque extérieur et révèle un intérieur vide, nous incitant ainsi à remettre en question notre perception de la réalité.

Josef Šíma, Double Paysage, tempête électrique (1928 ; huile sur toile, 67 x 137 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne)
Josef Šíma, Double Paysage, tempête électrique (1928 ; huile sur toile, 67 x 137 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne)


Maurice Henry, Le Suicide est-il une solution? (1929 ; encre de Chine sur papier, 26,9 x 21,1 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne)
Maurice Henry, Le Suicide est-il une solution? (1929 ; encre de Chine sur papier, 26,9 x 21,1 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée National d’art moderne)


Maurice Henry, À Longchamp (1931 ; mine de plomb et encre de Chine sur papier, 23,4 x 13,8 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne)
Maurice Henry, À Longchamp (1931 ; mine de plomb et encre de Chine sur papier, 23,4 x 13,8 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne)


René Magritte, Querelle des Universaux (1928 ; huile sur toile, 53,5 x 72,5 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne)
René Magritte, Querelle des Universaux (1928 ; huile sur toile, 53,5 x 72,5 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne)


René Magritte, Le double secret (1927 ; huile sur toile, 114 x 162 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne)
René Magritte, Le double secret (1927 ; huile sur toile, 114 x 162 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne) " />

En montant à l’étage, le parcours de l’exposition, qui apparaissait déjà assez décousu dans les sept premières salles, semble perdre encore de sa cohésion avec une salle, la huitième, intitulée Les visages du surréalisme, dont les objectifs restent assez obscurs (on parle généralement d’une “ diffusion ” du mouvement surréaliste en 1929 et l’on présente les figures de Giacometti et de Picasso, qui approchaient alors certains des représentants du groupe). Le milieu suivant se propose plutôt d’examiner les digressions érotiques des surréalistes: nous revenons au numéro spécial de juin 1929 de la revue Variétés, déjà mentionné, pour financer la publication par Aragon et Benjamin Péret (Rezé, 1899 - Paris, 1959) d’un recueil de poèmes érotiques, intitulé précisément 1929, et illustré par des photographies de Man Ray (Emmanuel Radnitzky, Philadelphie, 1890 - Paris, 1976): Plus précisément, 1929 est un volume agile d’une trentaine de pages qui vise à présenter, avec des textes irrévérencieux (qui, selon une certaine tradition française, pensez au marquis de Sade, allient l’érotisme à une bonne dose d’anticléricalisme), les meilleures positions pour chaque saison. Mais les surréalistes ont été nombreux à s’intéresser au thème de l’éros: Les exemples sont nombreux dans l’exposition, mais l’œuvre de Jindřich Štyrský (Dolní &Ccaron ;ermná, 1899 - Prague, 1942), Emilie vient à moi en rêve, un cycle de photographies décrivant un rêve érotique dans lequel le protagoniste se livre à une série de pratiques diverses (de la fellation à la masturbation avec des reproductions de phallus, du sexe saphique avec tribbing à la copulation hétérosexuelle) sur fond de visions hallucinées.

L’exposition se termine par la salle consacrée à la revue Documents, expérience née de la volonté des surréalistes dissidents exclus du groupe, en particulier Georges Bataille, qui n’appréciait pas l’orientation politique que Breton avait donnée au mouvement et qu’il confirmerait dans le Second Manifeste du Surréalisme, dans lequel l’adhésion aux exigences marxistes était ouvertement réaffirmée. Documents, publié à Paris en quinze numéros entre 1929 et 1930, se présente comme une revue anti-idéaliste visant à exalter les aspects les plus grossièrement matérialistes qui ont caractérisé l’action surréaliste: Breton et Bataille sont séparés non seulement par leurs idées sur la configuration politique à donner au mouvement, mais aussi par leurs conceptions esthétiques (la vision de Breton aurait été considérée comme trop idéaliste par Bataille, et à propos du faible matérialisme de ce dernier, Breton écrira dans le Second Manifeste: "Bataille aime les mouches. Pas nous: nous aimons la mitre des anciens évocateurs, la mitre de pur lin qui avait une lame d’or plantée devant et sur laquelle les mouches ne se posaient pas, parce qu’on avait fait des ablutions pour les chasser. [Il faut noter que Bataille fait un usage délirant des adjectifs: sale, sénile, rance, sordide, scabreux, abject, et que ces mots, loin de lui servir à décrire un état de choses insupportable, sont ceux dans lesquels il exprime le plus lyriquement sa délectation). Et si l’on considère que Bataille a beaucoup apprécié Un chien andalou, il n’est pas difficile de comprendre quel est le contenu qui lui plaît le plus: les aspects les plus bas de la réalité. Les documents regorgent ainsi d’images souvent dérangeantes, comme les photographies d’Eli Lotar (Paris, 1905-1969) représentant l’intérieur de l’abattoir de la Villette, s’attardant sur les détails les plus crus, ou celles de Jean Painlevé (Paris, 1902-1989) qui, étudiant en sciences naturelles et macrophotographe, publiait des images de détails du monde naturel grossis démesurément, suscitant chez le spectateur des sensations déstabilisantes (et pour ces raisons particulièrement appréciées par les surréalistes). La nouvelle, donnée au public avant la conclusion finale de l’exposition, que 1930 verrait la naissance de la revue Le Surréalisme au service de la révolution, est l’acte final de l’exposition, indiquant que les expériences du surréalisme ne seraient pas affectées par les événements de 1929 et que, au contraire, le groupe conserverait sa vitalité.

Jindřich Štyrský, Emilie vient à moi en rêve (1933 ; épreuve à la gélatine de sel d'argent, 24 x 18 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne)
Jindřich Štyrský, Emilie vient à moi en rêve (1933 ; épreuve à la gélatine de sel d’argent, 24 x 18 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne)


Man Ray, Été, illustration pour 1929, recueil de poèmes de Benjamin Péret et Louis Aragon, 1929 (Paris, Centre Pompidou, Bibliothéque Kandinsky)
Man Ray, Été, illustration pour 1929, recueil de poèmes de Benjamin Péret et Louis Aragon, 1929 (Paris, Centre Pompidou, Bibliothýque Kandinsky)


Eli Lotar, Aux abbattoirs de la Villette (1929 ; épreuve à la gélatine de sel d'argent, 30,4 x 52 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne)
Eli Lotar, Aux abbattoirs de la Villette (1929 ; épreuve à la gélatine de sel d’argent, 30,4 x 52 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne)


Jean Painlevé, Pince de homard ou De Gaulle (1929 ; épreuve au sel gélatino-argentique collée sur carton, 62,7 x 50,4 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d'art moderne)
Jean Painlevé, Pince de homard ou De Gaulle (1929 ; épreuve gélatino-argentique collée sur carton, 62,7 x 50,4 cm ; Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne)

L’impression qui se dégage de la visite de Palazzo Blu est celle d’avoir parcouru les salles d’une exposition qui, d’emblée, ne peut être considérée comme la plus simple pour un public non spécialisé, mais qui, dans sa tentative de créer un parcours organique et d’adapter son langage, donne lieu à un ensemble plutôt décousu et peu facile à suivre. On ne peut pas dire non plus que l’exposition surmonte la difficulté, commune à de nombreuses expositions d’œuvres provenant d’un seul musée, de ne pas disposer d’un matériel suffisant pour offrir au public une exposition complète: le Centre Pompidou possède la collection surréaliste probablement la plus importante au monde, et dans ses murs sont conservés des œuvres et des documents capables de remplir la tâche de décrire les événements qui se sont produits en 1929. De l’avis de l’auteur, il s’agit plutôt de problèmes d’approche. Deux exemples parmi d’autres: le fait que l’introduction soit suivie d’un saut de quelques années, qui entraîne déjà le public dans les événements de 1929 sans qu’un cadrage historique progressif n’ait été effectué au préalable, et la présence encombrante de Picasso, qui, dans l’exposition, semble presque forcée parce qu’elle n’est pas suffisamment contextualisée et explorée de manière adéquate. Cependant, les points positifs ne manquent pas: à cet égard, on peut certainement mentionner l’attention portée à l’affaire du Grand Jeu, certainement peu connue en Italie et qui enregistre un intérêt croissant de la part des chercheurs, ainsi que la section finale sur les Documents, probablement la plus complète de l’exposition.

Dans l’ensemble, on a le sentiment que 1929: le grand surréalisme du Centre Pompidou. De Magritte à Duchamp représente une opportunité qui n’a pas été pleinement exploitée: une opportunité parce que Palazzo Blu a intelligemment évité de proposer une exposition qui semblait toute faite et que les commissaires ont proposé un projet très valable sur le papier, mais qui ne semble pas avoir été suivi d’une mise en œuvre efficace. Une exposition avec des œuvres d’un seul musée, qui plus est d’un des musées les plus connus et les plus étudiés au monde (donc, en résumé, une exposition qui ne risque pas d’être trop innovante, mais qui peut néanmoins proposer des lectures passionnantes), devrait se concentrer avant tout sur le projet de vulgarisation, mais si ce dernier est difficile à suivre, l’exposition en pâtira. Des considérations similaires pourraient être réservées au catalogue: les courts essais qui divisent les sections fournissent un excellent cadre historique pour un public désireux de s’initier au surréalisme en 1929, et l’idée de fournir une petite anthologie des écrits des surréalistes est très intéressante, mais l’absence de notices pour toutes les œuvres (et, lorsqu’elles sont présentes, l’absence de fiches pour toutes les œuvres) n’est pas sans conséquence sur la qualité de l’exposition, Cependant, l’absence de fiches pour toutes les œuvres (et lorsqu’elles existent, il s’agit de toute façon de citations de publications antérieures), la combinaison souvent mal adaptée d’œuvres et d’essais (œuvres qui, de plus, ne suivent pas l’ordre dans lequel elles sont présentées dans les salles) et l’absence totale de bibliographie contribuent à affaiblir la qualité générale du volume.


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