Andrea Mantegna, la Vierge à l'Enfant de Poldi Pezzoli: l'histoire d'une restauration


La Vierge à l'enfant d'Andrea Mantegna au Poldi Pezzoli de Milan avait été fortement altérée au XIXe siècle: la restauration effectuée entre 2019 et 2020 lui a redonné sa valeur d'origine. Voici comment s'est déroulée cette importante intervention.

Une restauration du XIXe siècle avait altéré l’aspect de la Vierge à l’Enfant d’Andrea Mantegna (Isola di Carturo, 1431 - Mantoue, 1506) conservée au musée Poldi Pezzoli de Milan, au point qu’il était particulièrement difficile d’en juger. L’œuvre a été restaurée par l’un des plus grands peintres italiens du début du XIXe siècle, Giuseppe Molteni (Milan, 1800 - 1867), qui était cependant intervenu sur l’œuvre de manière si invasive qu’il était impossible de déterminer la période d’activité de Mantegna au moment où le tableau a été peint. Il s’agit de l’une des œuvres les plus intimes de l’artiste vénitien, faisant partie d’une production destinée à la dévotion privée: la Vierge tient l’Enfant sur ses genoux, le prenant doucement dans ses bras pour qu’il ne tombe pas, le caressant et penchant la tête pour toucher celle de son fils, avec un regard qui semble presque perdu, mélancolique, comme si la Vierge présageait le destin de l’Enfant. Celui-ci, joufflu, les joues rougies, enveloppé d’un voile blanc (autre préfiguration de ses derniers jours, puisqu’il ressemble à un linceul), s’est endormi, bouche bée. Les volumes sculpturaux, les plis nets et rigides de la draperie et les visages arrondis sont des caractéristiques indéniables du style d’Andrea Mantegna.

Au XIXe siècle, le tableau faisait partie de la collection de l’historien de l’art Giovanni Morelli (Vérone, 1816 - Milan, 1891), l’un des plus grands connaisseurs de son temps: c’est lui qui, pour rembourser une dette de jeu, avait vendu le tableau en 1861, pour 2 000 lires à l’époque (l’équivalent d’environ 5 000 euros aujourd’hui), à Gian Giacomo Poldi Pezzoli (Milan, 1822 - 1879). Depuis lors, l’œuvre n’a jamais quitté la collection familiale et dès 1879, année de la mort de Gian Giacomo Poldi Pezzoli, la valeur du tableau inscrite dans l’inventaire de ses biens était fixée à 15 000 lires (environ 62 000 euros d’aujourd’hui), selon l’estimation de Giuseppe Bertini, premier directeur du musée Poldi Pezzoli.



Andrea Mantegna, Vierge à l'enfant (1490-1499 ; tempera maigre sur toile, 35,5 x 45,5 cm ; Milan, Museo Poldi Pezzoli). Avant restauration
Andrea Mantegna, Vierge à l’enfant (1490-1499 ; tempera maigre sur toile, 35,5 x 45,5 cm ; Milan, Museo Poldi Pezzoli). Avant la restauration

Peu après l’achat, Gian Giacomo Poldi Pezzoli a fait restaurer l’œuvre par Giuseppe Molteni, alors directeur de la galerie d’art de Brera et ami de la famille. Molteni n’était pas seulement un peintre habile, mais aussi un restaurateur très recherché, car il était en mesure de proposer à ses clients des restaurations intégratives complexes capables d’améliorer l’aspect des tableaux anciens, parfois même en modifiant les œuvres d’une manière qui nous semblerait excessive aujourd’hui: pour l’époque, cependant, il s’agissait d’une pratique normale et, en fait, conforme au goût du temps et aux tendances des mécènes. Ainsi, Molteni enrichit la robe de la Vierge de nombreux rehauts dorés, repeint le manteau bleu, étire arbitrairement les bras de Marie sur les bords pour donner l’impression que les personnages se tiennent devant une fenêtre, ce qui a pour conséquence d’altérer le cadre que Mantegna avait donné à la composition et à l’agencement perspectif de l’œuvre. Il s’agissait donc d’une intervention d’amélioration, selon les canons de l’époque: l’œuvre ancienne devait s’adapter au goût des mécènes. Enfin, Molteni a peint la surface, assombrissant ainsi les tons originaux et modifiant également l’équilibre des couleurs, en particulier dans l’espace entre le fond et le manteau de la Vierge, qui est devenu beaucoup moins compréhensible.

En 2019, les Poldi Pezzoli ont donc décidé de récupérer le vrai Mantegna, avec une restauration confiée à l’Opificio delle Pietre Dure de Florence et rendue possible grâce au soutien décisif de la Fondation Giulio et Giovanna Sacchetti Onlus. Dirigée par Marco Ciatti et Cecilia Frosinini, avec la direction technique de Lucia Maria Bresci et la collaboration technico-scientifique de Roberto Bellucci, l’intervention de l’Opificio a été réalisée par Lucia Maria Bresci avec la collaboration de Ciro Castelli: une campagne de diagnostic approfondi a d’abord été menée, qui s’est ensuite poursuivie à chaque phase de l’intervention. Un diagnostic approfondi a également été nécessaire pour bien comprendre la technique d’exécution, l’état de conservation du tableau, l’ampleur de l’intervention de Molteni et, enfin, pour éclaircir certaines petites découvertes qui se sont révélées aux yeux des restaurateurs de l’Opificio. Par exemple, en ce qui concerne le manteau de la Vierge, les recherches avaient révélé une double version picturale: une ébauche en bleu de Prusse, un pigment très populaire à partir du XVIIIe siècle, caractérisée par des drapés dans le goût typique du XIXe siècle, qui était donc due aux retouches de Molteni ; une ébauche encore très intacte en azurite (un ancien pigment à base de cuivre), dans laquelle on pouvait reconnaître la version picturale d’origine. Les décorations dorées de la robe rouge sont également presque entièrement dues à Molteni: les coups de pinceau dorés dans la coquille avaient un caractère excessivement pictural et suivaient des schémas de fantaisie reconstructive qui n’avaient rien à voir avec la culture antiquaire et du XVe siècle de Mantegna. Enfin, le vernis mastic, avec lequel Molteni avait cherché à protéger les couches picturales, avait profondément altéré l’œuvre, la rapprochant esthétiquement d’une peinture à l’huile et rendant ainsi visibles les particularités d’une technique dans laquelle la détrempe très fine, se mêlant à la trame minutieuse du support textile, construit une morphologie caractéristique visible même à l’œil nu, qui accompagne une image aux tonalités opaques mais lumineuses.

Pour l’Opificio, il s’agissait donc d’une intervention très complexe, car la situation de conservation de la Vierge à l’Enfant de Poldi Pezzoli était complexe. En ce qui concerne les aspects de conservation, à l’exception de la découpe de la zone centrale, la toile originale était en bon état et adhérait bien au remodelage, de sorte que les restaurateurs ont décidé de conserver la doublure du XIXe siècle réalisée par Molteni, afin de ne pas courir le risque de rendre la restauration trop invasive. "Notre intervention de restauration, explique l’Opificio, visait donc à rétablir un équilibre chromatique et formel, grâce à l’élimination progressive et sélective du vernis. Il s’agissait d’un véritable défi, dont il n’existe, dans la littérature, qu’un seul autre cas de réussite partielle, réalisé sur l’Adoration des Mages, également de Mantegna, au Getty Museum de Los Angeles, par Andrea Rothe, un restaurateur de formation italienne récemment décédé. L’élimination d’un vernis ancien sur une stratigraphie naturellement très absorbante comme celle d’une toile non préparée constitue toujours un défi considérable pour tout restaurateur, un défi qui ne peut être relevé sans l’utilisation d’outils de contrôle précis et continus ; un défi rendu encore plus complexe par la nécessité d’utiliser des méthodes non basées sur l’eau en raison de la nature “mince” et très sensible de la pellicule picturale".

Andrea Mantegna, Vierge à l'enfant (1490-1499 ; tempera maigre sur toile, 35,5 x 45,5 cm ; Milan, Museo Poldi Pezzoli). Après restauration
Andrea Mantegna, Madone et enfant (1490-1499 ; tempera maigre sur toile, 35,5 x 45,5 cm ; Milan, Museo Poldi Pezzoli). Après restauration


L'œuvre au musée Poldi Pezzoli
L’œuvre au musée Poldi Pezzoli

Le nettoyage a permis d’extraire tous les résidus de peinture de la surface, en restituant les effets esthétiques recherchés par l’artiste et masqués par le vernis appliqué par Molteni. En suivant la même méthodologie philologique de la restauration, l’Opificio a ensuite décidé d’enlever les repeints du XIXe siècle du manteau de la Vierge et les décorations en faux or de sa robe. Enfin, au cours du nettoyage, les traces d’une inscription en or ont été trouvées sur le fond sombre, partiellement usées par le nettoyage passé, reconstituées grâce à la cartographie sur une macro-image de chaque fragment d’or identifié au microscope. L’inscription, qui n’est malheureusement visible qu’en photographie et sur une carte de reconstitution, correspond à un verset du Cantique des Cantiques, “Nigra sum sed formosa” (“Je suis noire, mais je suis belle”), faisant généralement référence, dans l’Antiquité, aux cultes des madones noires qui étaient déjà répandus au XVe siècle, même dans les cercles de la cour.

"Aujourd’hui, grâce à l’harmonie esthétique retrouvée et, par conséquent, au contenu du tableau, souligne l’Opificio, nous pouvons mieux comprendre l’intention presque paupériste de l’artiste de présenter une image de la maternité, intime et douce, mais loin de toute intention festive et royale, presque ennoblie par sa pauvreté même. La restauration a donc permis de redécouvrir une peinture différente de celle que nous avions l’habitude d’apprécier, qui attire mieux l’attention du spectateur sur la tendre intimité d’une mère et de son enfant, qui deviennent un symbole et une icône de la tendresse. Mais ce n’est pas tout: la restauration a également permis de formuler une datation plus précise de la Vierge à l’Enfant. En effet, certains considéraient qu’il s’agissait d’une œuvre précoce peinte dans les années de Padoue, d’autres l’attribuaient plutôt au début de la période de Mantoue (donc à une période comprise entre 1462 et 1470), et d’autres encore la considéraient comme une œuvre tardive. La restauration a permis d’orienter les critiques avec plus d’assurance vers une date située dans les années 1490, qui peut être déterminée par des comparaisons avec d’autres peintures. Voilà donc ce qu’est la restauration: une manière de retrouver l’œuvre telle que l’artiste l’a voulue, une activité qui sert à rendre une peinture plus lisible et donc à transmettre plus d’informations et de connaissances sur l’œuvre d’un auteur.


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