Les cueilleurs de bois qui ne savaient pas qu'ils avaient créé le paysage italien moderne


L'un des textes fondamentaux de la peinture paysagère italienne moderne est une œuvre de Nino Costa (Giovanni Costa ; Rome, 1826 - Marina di Pisa, 1903) représentant des femmes ramassant du bois sur la côte d'Anzio.

En 1919, Giorgio De Chirico, âgé de 31 ans, publie dans Valori Plastici un compte rendu féroce de sa visite de ce qui est aujourd’hui la Galleria Nazionale d’Arte Moderna e Contemporanea à Rome. Pour le jeune peintre, il s’agit probablement d’une expérience angoissante et masochiste, une sorte de voyage dans une galerie des horreurs (ou plutôt: un “bedlam d’imbécillité picturale”, selon sa propre expression), dont le simple souvenir lui provoque encore des spasmes gastro-entériques, du moins à en juger par les stimuli physiques qu’il déclare avoir dû réprimer en écrivant l’article. Bien sûr, le jugement de De Chirico, et surtout celui du De Chirico polémique, susceptible et volage qui écrivait à l’époque dans Valori Plastici, doit être pris avec toute la prudence nécessaire, mais il est néanmoins intéressant de parcourir rapidement cet article pour comprendre ses orientations de l’époque et, si l’on est amateur du genre, pour s’amuser à lire les coups de fouet bruyants, brutaux et souvent gratuits que l’artiste réservait à ses confrères.

Ainsi, les Trois âges de la femme de Klimt sont une “naissance satanique” vue dans la salle des “paillardes étrangères”, un “pélage d’obscénités” rempli d’œuvres de “crétins français, anglais, allemands, russes ou américains”. L’Oreste de Franz von Stuck "fait penser à une publicité pour les pneus Pirelli“. Ignacio Zuloaga est un Espagnol ”faux et mauvais“. Chez les Italiens, des coups de gueule contre des peintres comme Vittorio Corcos, Giulio Bargellini, Stefano Ussi. Mais il y a aussi ceux qui ont survécu aux violents coups de fouet: Fattori par exemple, ou Camuccini, mais aussi des artistes aujourd’hui presque oubliés, comme Pietro Gagliardi, un peintre académique de sujets sacrés, ou Armando Spadini, une sorte de Renoir italien très retardé que même De Chirico, un an plus tôt, avait défini comme ”un impressionniste stupide, de ceux qui sont vraiment minables et inutiles". Quoi qu’il en soit, l’un des rares tableaux sauvés du bombardement dechirien est l’un des textes fondateurs du paysage italien moderne: il s’agit d’une peinture de Nino Costa, Donne che imbarcano legna nel porto di Anzio (Femmes chargeant du bois dans le port d’Anzio).

Nino Costa, Femmes chargeant du bois dans le port d'Anzio (1852 ; huile sur toile, 73 x 147 cm ; Rome, Galleria Nazionale d'Arte Moderna e Contemporanea, inv. 1232)
Nino Costa, Femmes chargeant du bois dans le port d’Anzio (1852 ; huile sur toile, 73 x 147 cm ; Rome, Galleria Nazionale d’Arte Moderna e Contemporanea, inv. 1232)

“Magnifique”, pour De Chirico: “une composition empreinte de la plus douce poésie, maintenue au-dessus d’un ton gris d’une douceur indéfinissable ; le sol peint avec une habileté de géologue ; les femmes posées dans de belles attitudes classiques”. Et avec une autre note magistrale dans la “barque amarrée et entourée des eaux les plus claires du rivage”. Il s’agit de l’une des œuvres les plus connues de l’artiste romain, la plus importante du début de sa carrière: il l’a peinte alors qu’il n’avait que vingt-six ans, après avoir réalisé plusieurs études d’après nature sur la côte romaine.

Depuis 1849, Nino Costa vivait à Tivoli, où il s’était rapproché d’un groupe de peintres bien connus, tous à peu près de son âge. Des noms qui, aujourd’hui, ne disent pas grand-chose à la plupart des gens: Enrico Gamba, Raffaele Casnedi, Alessandro Castellani et d’autres encore. Il y a de fortes chances que Costa ait également rencontré à la même époque Arnold Böcklin, qui s’était installé à Rome en 1850 et qui deviendrait plus tard son ami. Et puis encore des Anglais, comme Frederic Leighton, George Howard, Charles Coleman, et l’Américain Elihu Vedder. De ces rencontres, Costa développera la sensibilité qui le conduira plus tard à devenir le père italien du paysage-état de l’âme: une sensibilité que l’on peut déjà apprécier in nuce dans ce tableau, à mi-chemin entre l’étude du naturel (et Costa a toujours cultivé une forte passion pour le naturel, ainsi que pour la nature) et la suggestion classique et mythologique, avec des références claires au répertoire antique et la médiation du sentiment de l’artiste, autonome et enfin libre de se promener dans la nature.artiste, autonome et enfin libre de parcourir les champs et les bois, pour citer John Ruskin, à la connaissance duquel Costa a certainement été introduit dans cet environnement si riche en idées nouvelles.

La mer d’Anzio, argentée, calme dans le calme, s’étend au-delà d’une dune parsemée çà et là de quelques arbustes typiques du maquis et d’où émerge, au centre, un crâne de buffle, à demi caché dans le sable, note de blanc parmi les tons terreux du rivage sablonneux, et rappel des bucranes des anciennes décorations. Sur la droite, quelques chèvres endormies se reposent. Au centre, le bateau amarré que De Chirico aimait tant. À gauche, les protagonistes: trois femmes qui ramassent le bois ramené de la mer et un homme qui les aide dans leur tâche ingrate. L’une d’entre elles s’est assise un instant sur la dune pour se déchausser, référence au Spinario Capitolina, tandis que les autres avancent la tête baissée, alourdies par les fagots qu’elles tiennent levés au-dessus de leur tête. Ils les conduisent vers la barque qui se trouve non loin du rivage. Le garçon, derrière eux, porte un tronc plus lourd et les observe presque rêveusement, sous un ciel gris aux effets atmosphériques intenses.

Je suis allé à Porto d’Anzio“, se souviendra plus tard Nino Costa, ”où j’ai fait l’esquisse du tableau que je conserve du “manaid”, qui se trouve au centre de ce tableau. Après une nuit pluvieuse, au matin, alors que le ciel s’ouvrait, j’ai vu des femmes portant d’étranges fardeaux sur la tête, dont j’ai appris plus tard qu’il s’agissait de racines d’arbres avec lesquelles elles chargeaient un bateau. J’ai eu une grande impression et j’ai commencé le tableau, qui a été achevé en 1852". L’artiste, dans ses écrits, a indiqué Les femmes chargeant du bois dans le port d’Anzio comme un tableau exemplaire de sa pratique, qui consistait à faire d’abord une “esquisse d’impression” d’après nature, qui était aussi rapide que possible, et toujours d’après nature pour faire en même temps des études de détails. Et enfin définir la composition en atelier, sans jamais quitter des yeux “l’éternelle esquisse, je l’appelle ”éternelle“ parce qu’elle s’inspire de l’éternel vrai”. L’“éternel vrai”, donc, à opposer aux récits, certes réalistes mais pas “vrais”, de la peinture d’histoire: les intentions de Costa, pour l’Italie, sont nouvelles, très originales, tirées des expériences transalpines de Corot, mais mises à jour selon les suggestions sentimentalistes venues d’Angleterre. Les femmes d’Anzio sont parmi les premiers sujets humbles pris sur le vif à peupler la peinture italienne du XIXe siècle, et l’étude d’après nature s’ajoute à la lecture que le sentiment suggère au peintre: pour l’art italien de l’époque, il s’agit d’une intention inédite, que Costa reprendra avec conviction et une approche encore plus moderne dans les années 1970, décennie à laquelle remontent certains de ses “paysages d’ambiance” les plus importants.

Ce n’est pas un hasard si Costa a toujours été très attaché à ce tableau. Il l’a longtemps gardé dans son atelier, l’a exposé à plusieurs reprises, l’a présenté au Salon de Paris en 1863, et ce n’est qu’en 1903, après sa mort, qu’il l’a vendu, à la suite d’une exposition à la Biennale de Venise cette année-là. Nino Costa lui-même a raconté que Giovanni Fattori, visitant l’atelier de son collègue romain et ayant admiré les femmes chargeant du bois dans le port d’Anzio, avait été impressionné. L’expérience de Costa, qu’il comprit davantage en Toscane qu’à Rome, sa ville natale, fut d’ailleurs fondamentale pour les Macchiaioli: l’érudite Silvestra Bietoletti écrit que ce tableau est un exemple d’une “manière absolument originale de rendre picturalement les différentes tonalités lumineuses et chromatiques d’un paysage en plein soleil, en lui insufflant le ton calme et solennel du classicisme”. Elle fait partie des œuvres qui ont suscité l’intérêt expérimental des Toscans pour une peinture qui “néglige le contenu au profit du rendu formel”. Et dire que ces femmes, si accablées par leur charge de bois, ne se rendaient même pas compte qu’elles écrivaient l’un des chapitres fondamentaux de l’histoire de l’art italien.


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