Toutes les contradictions de la Charte de Catane: pas d'abdication hâtive devant la sphère privée


La Charte de Catane a introduit en Sicile la possibilité de concéder à des particuliers, pour une période de deux à trois ans, des œuvres et des objets provenant des dépôts des musées publics. Quels sont les problèmes? Nous en discutons avec un juriste, Sergio Foà, et un archéologue, Clemente Marconi.

Le 12 novembre dernier, la commission de la culture de l’assemblée régionale sicilienne s’est réunie pour entendre le conseiller régional pour le patrimoine culturel et l’identité sicilienne, Albero Samonà. Il s’agit de la “Charte de Catane”, le décret par lequel la Région sicilienne veut céder à titre onéreux les biens culturels qui se trouvent dans ses entrepôts à des particuliers. L’audition a donc été reportée à mardi prochain, à la demande des parlementaires du M5S, afin d’écouter les voix autorisées des techniciens qui ont exprimé de fortes inquiétudes.

Après l’interview de Settis, qui l’a rejetée, et les critiques de Legambiente, Italia Nostra, Associazione Nazionale Archeologi, Associazione Ranuccio Bianchi Bandinelli di Roma, vous me reconnaissez? Je suis un professionnel du patrimoine culturel, la coordination sicilienne de l’ICOM Italie s’est jointe au débat, et la question a rebondi dans"Il Fatto Quotidiano“ et à plusieurs reprises dans ”La Repubblica".

Le seuil d’alerte doit être maintenu élevé, car ce ne serait pas la première fois que la compétence exclusive en la matière et le pouvoir législatif primaire permettraient à la Région autonome sicilienne de s’écarter du diktat du Code des biens culturels ou de l’interpréter de manière “créative”. Dans un sens péjoratif, bien sûr. Parmi les précédents les plus récents, la discipline des prêts a été modifiée de manière à renvoyer la décision à l’organe politique (l’Assessore dei beni culturali), en le soustrayant à l’organe technique, comme le prévoit au contraire le Code (art. 48). Voilà pour le principe du système juridique selon lequel les fonctions publiques se distinguent en organes de politique et de contrôle, d’une part, et en organes d’exécution et de gestion, d’autre part.

Pour en revenir à la “Charte de Catane”, compte tenu de la confusion non négligeable créée par les trois documents (la Charte proprement dite, le premier décret du 30 novembre 2020 et les “lignes directrices” du 10 décembre 2020), le rapport de "La Repubblica“ (”La Sicile, l’autre visage des musées: Les trésors invisibles conservés dans les dépôts") a eu le mérite de clarifier une fois pour toutes que les dépôts siciliens ont toujours été ouverts à d’importantes découvertes, mettant parfois en œuvre les expositions permanentes, sans avoir besoin de lois et de légendes ad hoc ; qu’il s’agit de biens qui ont toujours été à la fois prêtés à d’autres lieux et un point de référence pour les érudits. Nous lisons encore que la Région a toujours “prêté des objets pour des expositions temporaires dans des musées du monde entier”.

Mais si les “prêts” à partir de dépôts ont toujours eu lieu dans le passé, pourquoi une nouvelle règle était-elle nécessaire? Le fait est que, autre conséquence de cette confusion, elle réglemente les concessions en usage, et non les prêts. Et comme le même conseiller qui a signé le décret ne semble pas avoir les idées claires sur ce point, nous avons décidé d’entendre l’avis d’un juriste qui fait autorité, Sergio Foà, professeur de droit administratif à l’université de Turin. Samonà, en effet, dans"La Repubblica“ déclare que grâce à la Charte, les biens peuvent être ”prêtés pour des expositions temporaires“, c’est-à-dire pour des expositions qui ne durent que quelques mois, pour lesquelles sont préparées des pratiques de prêt et non de concession d’usage. Le décret parle en effet d’une concession ”d’une durée de deux à sept ans, renouvelable une fois par tacite reconduction".

En outre, un exemple de la façon dont on peut réussir sans avoir à inventer quelque chose qui n’existe pas déjà vient de Catane elle-même. Au château d’Ursino, on a profité de la fermeture imposée par le procès Covid pour procéder à une réorganisation sans précédent des dépôts, en faisant appel au personnel municipal habituellement employé dans les musées de la ville actuellement inaccessibles, et en envisageant l’agrandissement du musée civique et du réseau muséal de la ville.

Mais l’inventaire des biens et des œuvres d’art présenté dans le rapport met également en évidence une autre chose: il ne s’agit pas des biens visés par la Charte sicilienne. En effet, pour être concédés, les biens doivent être “acquis par confiscation” ou “d’acquisition plus ancienne dont la documentation est perdue” ou sans “référence à leur contexte d’appartenance” (art. 3 du décret n° 74 du 30/11/2020). Qu’en est-il alors des treize mille tombes fouillées à Himera, dont le contexte de provenance est connu? Ou le Christ portant la croix de Mario Minniti, qui n’appartient même pas au Musée régional de Messine, étant en dépôt à la Fondation Lucifero de Milazzo? Comment la Région pourrait-elle mettre à disposition un bien dont elle n’est pas propriétaire ! Un “trésor” qui n’est pas tout à fait “invisible” puisqu’il a été mis en dépôt pour une exposition à Tokyo et Okazaki en 2001 et 2002 et à Messine en 2017. Mais quels sont donc, à titre d’exemples concrets, les biens qui seront concédés? Pour l’instant, on ne le sait pas. Mais il faut déjà avoir quelque chose en tête, sans attendre que des étudiants ou des volontaires établissent les listes prévues par le décret.

Pour tenter de mettre de l’ordre et de mieux comprendre, nous avons écouté cette fois Clemente Marconi, professeur à l’Institut des Beaux-Arts de l’Université de New York et professeur titulaire à l’Université de Milan, qui collabore depuis 2006 avec le Département régional des Biens culturels et de l’Identité sicilienne pour la mission qu’il dirige à Sélinonte, et qui a découvert dans les dépôts du musée Salinas de Palerme plus de 200 précieux fragments de métopes provenant précisément de Sélinonte.

Un autre exemple, qui va comme un gant, de l’incontournable nécessité d’un regard “expert” pour inspecter le patrimoine à concéder, est offert par la reconnaissance par une fonctionnaire du département régional, Lucia Ferruzza, des boucles appartenant à la Tête d’Hadès, en dépôt depuis les années 1970, d’abord dans les entrepôts d’Agrigente, puis dans ceux d’Aidone. L’une de ces boucles avait été publiée dans le mémoire de fin d’études de Serena Raffiotta, alors étudiante, qui sans la confrontation avec la fonctionnaire ne serait pas parvenue à cette reconnaissance, prélude à la restitution de l’œuvre en 2016 par le Getty Museum de Malibu.

La nécessité d’un regard expert doit également avoir été comprise au sein du département, à tel point que dans les lignes directrices publiées peu après notre entretien avec Settis, en plus des stagiaires universitaires, ont été ajoutés des “volontaires d’associations culturelles ayant des qualifications appropriées”. Ciel ouvert, une fois la rustine mise en place, un gouffre s’est ouvert sur les fortes inquiétudes concernant l’hypothèse de l’exploitation de spécialistes qualifiés, exprimées notamment par l’Ana, l’Association Nationale des Archéologues, et le groupe Mi riconosci.

Nous avons également demandé à Samonà de répondre aux critiques. Le journaliste conseiller a préféré nous envoyer, par l’intermédiaire de son attaché de presse, une demi-ligne laconique, dans laquelle il nous renvoie à la lecture des deux décrets, “en soulignant leur adhésion à l’esprit et au contenu du Code du patrimoine culturel”. Pour en avoir le cœur net, passons la parole au professeur Foà.

L'Antiquarium de Himera. Ph. Crédit Davide Mauro
L’Antiquarium d’Himera. Ph. Crédit Davide Mauro


Mario Minniti, Christ portant la croix (huile sur toile, 125 x 95 cm ; Messine, musée régional, prêt de la Fondation Lucifero de Milazzo)
Mario Minniti, Christ portant la croix (huile sur toile, 125 x 95 cm ; Messine, Musée régional, prêt de la Fondation Lucifero de Milazzo)

L’avis de Sergio Foà, professeur de droit administratif à l’université de Turin

Nous avons demandé à Sergio Foà de commenter l’éventuelle contradiction, dans les décrets du conseiller en question (numéros 74 et 78 de 2020), entre les références à la discipline des prêts et la référence à l’institution de la concession pour l’utilisation des biens culturels. En particulier, nous avons constaté que les mesures sous examen se réfèrent à des décrets d’assesseur antérieurs(de 2013 sur la “sortie du territoire régional” et de 2019 sur les prêts temporaires) qui réglementent la matière des prêts, alors que l’objet du décret est la concession pour l’utilisation des biens culturels (art. 106 du décret législatif 42/2004).

Les réflexions de nature juridique, entrelacées avec d’autres de nature économique et politique, confirment notre thèse.

“Pour cadrer le thème, explique Foà, il est nécessaire de comprendre la portée exacte des institutions juridiques de référence. L’objectif poursuivi par les décrets eux-mêmes est littéralement la valorisation et la jouissance publique des biens de l’État et du patrimoine stockés dans les entrepôts régionaux (articles 1 et 5 du décret n° 74 et toute la structure du décret n° 78, sur les ”lignes directrices" de l’avis de concession d’utilisation). Or, il ne fait aucun doute que la valorisation des biens publics des instituts et lieux culturels et leur affectation à l’usage du public est l’expression d’un service public, ainsi qu’il ressort du Code du patrimoine culturel lui-même (article 101, paragraphe 3). Le service public est obligatoire, il oblige donc l’organisme titulaire à mettre les biens à la disposition de la communauté, en choisissant la forme de gestion du service jugée la plus appropriée parmi celles offertes par le système: lorsque le choix se porte sur la gestion indirecte, le service de valorisation sera confié par le biais d’une concession à un tiers, à l’issue d’une procédure publique. Cette obligation de service public s’applique à tous les biens culturels détenus par l’entité, elle ne peut donc pas être exclue pour les dépôts. Dans le cas présent, en revanche, le choix opéré est différent, car l’institution visée par le décret du premier conseiller est la concession d’utilisation des biens culturels, et non la concession du service d’exploitation. La différence est importante car elle révèle un choix: pour les biens des dépôts des musées, on ne choisit pas un concessionnaire pour les valoriser au sein de l’institut culturel, mais un sujet qui s’engage, à travers un projet de valorisation, à les valoriser ailleurs pour une période comprise entre deux et sept ans, prorogeable une fois, moyennant une redevance. Il s’agit donc d’un renoncement à une forme de valorisation de la part de l’institut culturel et de la Région: le fait que les biens ne soient pas actuellement destinés à être exposés au public n’implique pas, en effet, qu’il n’y ait pas non plus une obligation de les valoriser et, donc, de les rendre principalement utilisables in situ, même “privés de toute référence à leur contexte d’appartenance”.

En d’autres termes, la Région a choisi de transférer ses responsabilités à des personnes privées, au lieu de rendre la compétence aux institutions . Le juriste passe ensuite aux lacunes et aux contradictions des décrets: "Le choix qui a été fait, poursuit M. Foà, est donc de réglementer une concession d’utilisation des biens et non une concession du service de valorisation, mais les références normatives contenues dans les décrets ne correspondent pas. En effet, il est fait référence à l’article 106 du Code du patrimoine culturel (Utilisation individuelle des biens culturels), qui prévoit la possibilité de concéder l’utilisation des biens culturels en dépôt, à des fins compatibles avec leur destination culturelle, à des demandeurs individuels moyennant paiement (contre redevance). Cependant, la discipline dédiée à la concession est celle du service de valorisation (on se réfère aux articles 112 et 115 du Code: art. 5 du décret n° 74 et art. 2 du décret n° 78). S’il est vrai que dans la pratique il peut y avoir des cas de contrats de concession à objet mixte, dans notre cas les deux institutions sont différentes, car les règles dictées par le Code du patrimoine culturel sont différentes et les buts poursuivis sont différents(une valorisation du bien en tant que service public est tout à fait différente d’une concession de l’usage à un tiers extérieur à l’institution culturelle). Les références faites par les décrets examinés à la discipline de la valorisation tendent sans doute à atténuer cette aporie et cette faiblesse du choix opéré, qui repose sur le présupposé que la concession des réserves du musée à un tiers est le seul moyen de valoriser le bien".

Mais ce n’est pas tout: le prêt est différent de la concession d’usage. "L’autre profil d’imprécision concerne les références à la réglementation sur le prêt des biens culturels, que le premier décret opère en se référant à des décrets antérieurs du conseiller“, souligne M. Foà. ”Il est bien connu que le prêt de biens culturels est une institution caractérisée par l’article 48 du Code des biens culturels, qui l’admet pour les expositions, et par l’article 66 sur la mise à disposition temporaire à l’étranger, le distinguant ainsi d’un rapport de concession de durée, comme celui pluriannuel qui est réglementé ici. Certains auteurs soutiennent que le prêt relèverait du contrat de commodat, régi par le code civil, donc essentiellement gratuit, et que ce modèle ne serait pas applicable aux biens de l’État et aux biens disponibles, avec pour conséquence que la discipline de la concession s’appliquerait également au prêt. Il s’agit d’une lecture qui met l’accent sur l’aspect économique de la valorisation, car elle vise à étendre le caractère onéreux de la concession aux cas de prêt également. L’affirmation n’est que partiellement correcte: il est en effet vrai que l’administration publique ne peut pas disposer des biens de l’État et des biens indisponibles par le biais de contrats de droit privé, mais cela ne signifie pas que le “prêt” est une institution différente de la “concession d’utilisation” du bien. En résumé, nous sommes confrontés à la “tentation”, qui n’est pas rare, de combiner les deux institutions, ce qui résulte d’une interprétation de la valorisation en termes purement économiques. Ramener l’emprunt au genre de la concession est, en effet, au moins commode car générateur de recettes.

"La même discipline du Code des Biens Culturels sur les prêts admis, conclut Foà, bien que laconique, confirme que l’institution du prêt est typée et distincte et qu’elle ne peut donc être utilisée qu’aux fins qui y sont décrites. En d’autres termes, dans notre cas, il s’agit du choix préférentiel d’une contrepartie obtenue par le concessionnaire par rapport à la valorisation du bien dans l’institut culturel ou, en tout cas, dans la Région. A cet égard également, le décret du premier conseiller examiné ici semble donc confus, car il rappelle une discipline régionale antérieure sur les prêts, en plus de la discipline sur le service de valorisation, alors que son objet est la concession pour l’utilisation de biens culturels".

Il n’est pas difficile d’imaginer comment des dispositifs réglementaires aussi approximatifs risquent de mettre l’administration régionale en difficulté en cas de jugements devant le Tribunal administratif régional, car même si l’on voulait forcer le diktat juridique pour rattacher le prêt à la concession, on se heurterait au fait incontestable que le prêt a un objet et une durée très différents de cette dernière.

Sergio Foà
Sergio Foà


Clément Marconi
Clemente Marconi

Clemente Marconi, professeur à l’Institute of Fine Arts de l’Université de New York et professeur d’archéologie classique à l’Université de Milan.

Des plis formels et normatifs, nous passons au contenu des décrets. Clemente Marconi s’attarde tout d’abord “sur quelques éléments généraux contre la ”Charte“. Le document a pour objet de réglementer la concession pour l’utilisation des biens culturels appartenant à la propriété de l’État et au patrimoine de la région sicilienne en dépôt dans des institutions périphériques, telles que les musées et les surintendances, en introduisant, en particulier, la concession à titre onéreux. Ce faisant, la ”Charte“ se réfère explicitement au Code des Biens Culturels, bien que l’article 6 de ce Code parle de la valorisation comme d’une activité destinée à promouvoir la connaissance du patrimoine culturel, ”et non à faire de l’argent", comme l’a dit Settis: dans un langage peut-être cru mais qui reflète l’accent mis par la ’Charte’ sur la rémunération de l’objet de la concession d’utilisation des biens et ses diverses modalités (voir à cet égard l’article 6, le plus long du décret)".

“Le deuxième problème que pose la ’Charte’, poursuit Marconi, est sa référence aux biens culturels ’stockés dans les entrepôts régionaux’. Comme l’indique l’article 2 du décret, ”une condition préalable essentielle à la concession d’utilisation [...] est que les biens culturels ne soient pas destinés à être exposés au public". Il est évident que toute la structure du décret est basée sur une dichotomie entre les œuvres stockées et les œuvres exposées au public et sur un modèle muséal statique. Ce modèle peut sembler très pratique et conforme aux diverses réalités locales, mais je crains qu’il ne soit également dépassé aujourd’hui. Pour rester dans mon domaine d’investigation, l’art antique, en termes de valeur à accorder aux œuvres, nous sommes aujourd’hui bien au-delà de la distinction (considérée par beaucoup comme élitiste et préjudiciable à l’étude de l’histoire de l’art antique dans le monde contemporain) entre œuvres majeures et mineures: les “chefs-d’œuvre” dans les expositions principales (et permanentes) et les œuvres “mineures” dans les dépôts, comme inutiles et encombrantes. En réalité, les œuvres “mineures” jouent souvent un rôle crucial dans la connaissance des artisans anciens, de leurs techniques et des attentes d’une grande partie du public de l’art ancien. Pour un historien de l’art dans la tradition de l’esthétique du XIXe siècle, l’exposition principale (et permanente) et les dépôts pourraient être conçus comme deux réalités séparées et imperméables ; mais pour ceux qui sont conscients de la réalité contemporaine de l’étude de l’art ancien, il ne devrait pas y avoir de barrières entre les deux espaces, rien n’est couché, et tout est en mouvement. Ce n’est pas un hasard si, au cours des deux dernières décennies, l’un des principaux problèmes de nombreux musées internationaux a été de résoudre la dichotomie entre l’exposition principale et les dépôts, dans le sens d’une mise en valeur de ces derniers. Il suffit de citer le cas de la nouvelle exposition (2007) des galeries d’art grec et romain du Metropolitan Museum, qui a réservé un grand espace à une “Study Collection” entièrement accessible au public, lui permettant d’observer des milliers d’œuvres, de la période néolithique à l’Antiquité tardive, disposées de manière compacte mais claire, avec des ordinateurs à écran tactile fournissant au visiteur toutes les informations nécessaires. Une collection d’étude, bien sûr, contiguë (à la Mezzanine) à l’exposition principale, car les œuvres de l’une renvoient immédiatement à l’autre et parlent toutes ensemble du musée, de son histoire et de son identité".

L’éminent archéologue poursuit en commentant littéralement le texte juridique. D’après mon expérience personnelle, je dois ensuite exprimer des doutes sur la liste des biens “en dépôt” destinés à la concession d’usage, qui, dans la “Charte”, semblent être divisés en trois catégories: les biens acquis par confiscation ; les biens donnés ou remis spontanément ; ou les biens “d’acquisition plus ancienne dont la documentation a été perdue et, en général, ceux qui sont privés de toute référence à leur contexte d’appartenance”. Les deux premières catégories mériteraient un commentaire séparé(la déclassification des biens soustraits au commerce clandestin ou donnés peut sembler contre-productive, à divers points de vue: certainement pour ceux qui, comme moi, travaillent depuis des années contre le trafic illicite de biens archéologiques, souvent en provenance de Sicile, vers les États-Unis), mais je me concentrerai sur la troisième, que je considère comme “véritablement problématique”.

Et c’est là que Marconi introduit son expérience personnelle avec les métopes sélinites comme exemple. "Depuis 1823, elles gisaient en centaines de fragments dans les réserves du Museo Archeologico Regionale ’Antonino Salinas’ de Palerme, et toute connaissance de leur identité s’était perdue au fil du temps. Grâce à leur attribution aux différents cycles sculpturaux de Sélinonte, plusieurs de ces fragments ont été réunis avec des œuvres exposées dans la Sala delle Metope, ainsi qu’entre eux, et plusieurs de ces réunions font maintenant partie de la nouvelle “exposition Salinas”.

Que se serait-il passé si la “Charte” avait été respectée? “Que ces matériaux, dont toute référence à leur contexte d’origine avait apparemment été perdue”, répond Marconi, "aient pu être donnés en concession d’utilisation, rendant ainsi impossible, par le démembrement conséquent du matériau, d’analyser les fragments en même temps et d’effectuer les retrouvailles. Plus généralement, je pense que l’objectif premier des musées devrait être non seulement l’organisation et l’entretien des dépôts au même titre que l’exposition principale, mais aussi l’identification de la provenance du matériel adespoti grâce à la recherche dans les archives et à l’intervention de spécialistes. Au risque de paraître paradoxal, je pense personnellement que ce sont les biens dont le contexte a apparemment été perdu, et dont le potentiel réel de recherche et de valeur n’est pas clair, qui devraient être jalousement conservés dans les dépôts. Nous sommes donc à nouveau confrontés à une autre forme de dévolution de responsabilités institutionnelles à des personnes privées. Et il ajoute: “Pour être encore plus paradoxal, en ce qui concerne la ”Charte“, je me demande alors dans quelle mesure il est possible d’établir la valeur économique réelle des biens appartenant à cette troisième catégorie”.

Comme d’autres voix autorisées qui ont déjà exprimé de fortes inquiétudes à propos de ces décrets, Marconi émet également des hypothèses à un niveau idéal. Ayant exprimé ces doutes sur la “Charte de Catane” dans un esprit de critique constructive, je dois cependant ajouter que son point de départ, c’est-à-dire l’intention de valoriser les biens culturels dans les dépôts des instituts régionaux périphériques, me semble plus qu’appréciable et souhaitable. Les dépôts des musées siciliens sont aussi, pour reprendre les mots de Settis, “une sorte de réserve d’or de la recherche à venir” et l’engagement du Département à valoriser leurs matériaux est tout à fait méritoire".

La question de l’implication des étudiants stagiaires, en revanche, est vue sous un angle différent par Settis :“Je partage avec la ”Charte“ l’idée d’impliquer ”des étudiants universitaires dans des disciplines liées à la conservation du patrimoine culturel" enplus des catalogueurs pour le catalogage des biens dans les dépôts d’archives “. Mais en même temps, il confirme que des activités de recherche et de catalogage par des étudiants ont déjà eu lieu avant le décret de l’assesseur, sous la forme de conventions avec des universités, comme celle entre la Statale de Milan et la Salinas. Et il finit par rejoindre les préoccupations de Settis: ”Certes, le manque de personnel dans les musées doit être résolu par de nouvelles embauches, et en aucun cas l’implication d’étudiants universitaires ne peut servir de palliatif: je suis sûr que le Conseil régional est tout à fait d’accord. Mais c’est un fait que l’implication des étudiants universitaires dans des formes de stage (comme c’est souvent le cas pour les étudiants des écoles de troisième cycle) liées à la valorisation des biens dans les dépôts des musées est indispensable à leur formation, dans laquelle le dépôt devient l’équivalent d’un laboratoire de recherche. Cependant, je souhaiterais que cette implication des étudiants universitaires passe par des conventions entre les universités et les instituts régionaux, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, y compris à la Statale di Milano où j’enseigne, créant ainsi des synergies qui contribuent à la fois à la valorisation des matériaux dans les dépôts et à la formation des étudiants, dirigés dans la recherche et le catalogage par le personnel qualifié des musées et les enseignants universitaires. Sur ce dernier point, je voudrais souligner que l’activité d’inventaire et de catalogage des biens stockés dans les dépôts est loin d’être élémentaire et “innocente”, et qu’elle exige souvent un effort d’interprétation évident, qui nécessite une coordination scientifique au plus haut niveau (du côté des musées comme de l’université): l’expérience du catalogage, en soi, ne suffit pas, et encore moins la bonne volonté". Et l’on revient ici aussi à la question de l’indispensable supervision en amont de l’étudiant par un œil expert.

Marconi conclut avec"une suggestion alternative à la ’Charte de Catane’, et sur un point fondamental. Je proposerais non pas d’autres lieux publics et privés, mais précisément les instituts périphériques, comme les musées, qui hébergent les biens des dépôts régionaux. Dans cette proposition, je suis clairement conditionné par mes 20 ans de vie à New York, et par la fréquentation et parfois l’interaction et la collaboration avec des musées tels que le Metropolitan et le MoMa: dont la philosophie est de réorganiser périodiquement les expositions principales en utilisant largement les matériaux des dépôts et de proposer de nouvelles expositions, chaque année, qui mettent en valeur ces œuvres. Sur la base de cette expérience, je pense que la solution idéale pour une bonne valorisation des fonds des dépôts est que le Département encourage les instituts périphériques à proposer des réaménagements similaires ou de nouvelles expositions périodiques qui s’appuient systématiquement sur les fonds des dépôts. Un processus de métamorphose continue des collections et de nouvelles offres d’exposition, basées sur les fonds des dépôts, qui ne peut qu’avoir des effets bénéfiques sur le volume de visiteurs des instituts périphériques. Une grande opportunité dont il ne faut pas se priver, en Sicile comme à New York".

Au final, il est donc intéressant de voir comment deux spécialistes de disciplines si différentes se rejoignent: contre l’abdication hâtive au profit du secteur privé de ses responsabilités publiques, la meilleure forme de valorisation doit avoir lieu dans les instituts publics eux-mêmes, où seule cette osmose entre exposition et réserves peut être garantie.


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