A propos des vitrines de la colonne de Trajan. Bruno Zanardi parle


La semaine dernière, Italia Nostra a lancé un appel pour protéger la Colonne de Trajan et la Colonne de Marc Aurèle avec des vitrines afin d'arrêter le processus de dégradation qu'elles subissent. Le restaurateur Bruno Zanardi, qui a travaillé sur la Traiana, donne son avis sur la question dans cette interview.

La semaine dernière, à l’occasion de Noël à Rome, Italia Nostra a lancé un appel aux institutions pour qu’elles protègent la Colonne de Trajan et la Colonne de Marc Aurèle avec des vitrines afin d’arrêter le processus de dégradation qu’elles subissent: Cet appel a été lancé après la présentation du volume Lectures on Trajan’s Column, consacré à la colonne de Trajan et édité par Cinzia Conti, qui donne un aperçu des résultats des recherches et des restaurations effectuées au cours des trente dernières années. Parmi ceux qui ont travaillé sur la colonne Trajane, on trouve le restaurateur Bruno Zanardi: nous lui avons demandé son avis sur le sujet.

La colonne de Trajan. Photo: Wikimedia Commons/NikonZ7II
La colonne Trajane. Photo: Wikimedia Commons/NikonZ7II
La colonne de Trajan. Photo: Wikimedia Commons/Bgabel
La colonne Trajane. Photo: Wikimedia Commons/Bgabel

SR. Aujourd’hui, on parle beaucoup de protéger les monuments du Forum impérial avec des vitrines. En particulier la colonne de Trajan. Une protection souhaitée car, dit-on, la pollution fait perdre chaque année des millimètres de marbre aux reliefs. Qu’en pensez-vous, vous qui avez restauré la colonne Trajane entre 1985 et 1993 ?



BZ. Je vous réponds comme n’importe quel spécialiste de la publicité pourrait le faire. Désigner la pollution comme la cause principale de la dégradation du patrimoine artistique à l’extérieur, c’est facile, ça ne coûte rien et ça donne toujours l’impression d’être un expert". Ce qui explique l’alarmisme actuel. Il n’en reste pas moins que la solution des vitrines est la seule qui puisse donner des résultats concrets et durables en matière de conservation. On pense à la parfaite fonction protectrice du pavillon construit en 1938 par l’architecte Vittorio Ballio Morpurgo pour contenir l’Ara Pacis. Une solution qui fonctionne encore mieux aujourd’hui grâce au nouveau sanctuaire par lequel Richard Meier a remplacé le premier en 2006. Mais ne nous faisons pas d’illusions: concevoir et construire un sanctuaire pour protéger un monument est une affaire simple. On appelle l’architecte, on lui fait dessiner un petit bâtiment en verre, on le monte, puis le public se divise rituellement entre ceux qui disent que c’est moche et ceux qui disent que c’est beau, après quoi on s’habitue à le voir et c’est fini.

Signification ?

La colonne Trajane fait partie intégrante de l’espace du Forum impérial. Le sujet des vitrines doit donc être étudié en essayant d’abord d’établir exactement quelles sont aujourd’hui les interactions de conservation entre l’environnement et les pierres constitutives du monument. Il s’agit de comprendre si l’état actuel de conservation des marbres de la Colonne est un cas isolé ou s’il concerne également les autres monuments situés dans la zone des Forums Impériaux. Plus précisément, comprendre l’origine et la signification des deux mystères de conservation qui pèsent sur les reliefs de la Colonne. Ceux que j’avais signalés en vain au monde des études lors de la restauration, puis il y a trente ans, puis au maire de Rome Marino, qui m’avait demandé un avis sans jamais avoir de réponse, et enfin à l’actuel surintendant lorsque, il y a quelques années, j’ai lu qu’il voulait restaurer la colonne Trajane.

Quels sont ces deux mystères ?

Le premier est la présence sur l’ensemble de la colonne de fines couches plus ou moins fragmentaires d’oxalate de calcium dont les couleurs vont du jaune d’or au noir en passant par le rougeâtre. Des couches également présentes sur presque tous les monuments en pierre à l’air libre, des reliefs antélamiques du baptistère de Parme à la façade de la cathédrale d’Orvieto. À tel point que le premier à les avoir identifiées comme telles fut un célèbre chimiste suisse, Justus von Liebig, appelé à Londres au milieu du XIXe siècle par des archéologues du British Museum pour analyser ce qui semblait être des traces d’une polychromie originale présente dans les marbres d’Elgin de Phidias et que Liebig avait au contraire correctement identifiée comme étant de l’oxalate de calcium.

Londres, British Museum, Phidias, ancienne figure du fronton du Parthénon ( Londres, British Museum, Phidias
, déjà présent dans le fronton du Parthénon (“marbre d’Elgin”)
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Londres, British Museum, Phidias, ancienne figure du fronton du Parthénon ( Londres, British Museum, Phidias, figure déjà présente dans le fronton du Parthénon (
“marbre d’Elgin”), détail où la présence de couches brunâtres d’oxalate de calcium est évidente dans la contre-dépouille de la draperie
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Rome, colonne Trajane, figure d'un naseux lançant des pierres depuis un fortin en bois (fonte 1862). Des phénomènes d'alvéolisation sont évidents.
Rome, colonne Trajane, figure d’un naseux lançant des pierres depuis un fortin en bois (coulée en 1862). Des phénomènes d’alvéolisation sont évidents
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Rome, colonne de Trajan, même chiffre qu'en 1995. L'augmentation de la taille de l'alvéolisation est évidente.
Rome, colonne Trajane, la même figure en 1995. L’augmentation de la taille de l’alvéolisation est évidente
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Et pourquoi ces couches endommagent-elles les marbres ?

Parce qu’il s’agit de néoformations rigides et imperméables qui, lorsqu’elles sont restées continues, ont parfaitement préservé le relief ancien. Mais lorsqu’elles se sont “cassées”, ce qui est très fréquent, elles deviennent la cause déterminante de la perte du modelé du relief. En effet, l’eau, qu’elle soit météorique ou de condensation, s’infiltre par ces cassures sous les couches d’oxalate et atteint le marbre. Ensuite, lorsque la lumière du soleil chauffe les surfaces, l’eau veut s’évaporer mais en est empêchée par ces couches imperméables. La pression de vapeur finit donc par faire tomber à la fois la couche d’oxalate de calcium et la couche de marbre sous-jacente. Ces dégâts nous incitent à être très prudents en matière de restauration. Il faut éviter que les restaurateurs n’appliquent des couches artificielles de résines ou d’autres substances sur le marbre, au risque de créer les mêmes problèmes que ceux causés par les couches d’oxalate de calcium.

Comment avez-vous travaillé sur la Traiana ?

Nous avons nettoyé les reliefs de la Traiana avec un simple jet d’eau et, ensuite, nous avons soigneusement évité de les imprégner de résines ou de toute autre substance consolidante. En d’autres termes, nous avons évité d’adopter une solution qui fonctionne à court terme mais qui peut s’avérer néfaste à long terme. N’oublions pas, cependant, que nous travaillions avec un grand surintendant, Adriano La Regina, et que nous étions également suivis de près par Giovanni Urbani et Salvatore Settis, et que de jeunes universitaires comme Giovanni Agosti et Vincenzo Farinella montaient souvent sur les échafaudages.

Cependant, vous avez évoqué deux mystères. Le premier est la formation des couches d’oxalate. L’autre ?

Le deuxième mystère vient du fait que la colonne de Trajan est le seul monument à ciel ouvert - je dis bien à ciel ouvert - à avoir été calciné plusieurs fois à l’époque préindustrielle.

Calcifiée par qui et quand ?

La première calcination a peut-être été effectuée par Primaticcio lorsqu’il s’est rendu à Rome en 1540 pour réaliser des moulages de sculptures antiques pour le compte de François Ier de France. Des moulages dont il reste quelques fragments à la Pinacothèque Ambrosienne, qui proviennent probablement de la collection de Leone Leoni et qui auraient été achetés par le Cardinal Federigo. Le deuxième moulage a été réalisé par Colbert pour le compte de Louis XIV en 1667, la date est graffitée sur la colonne, une entreprise dont il ne reste que quelques fragments abîmés à Rome, à l’Académie de France. La troisième et dernière est celle exécutée en 1862 par les calfats de Pie IX pour le compte de Napoléon III. Une réplique de la colonne entière est reproduite dans plusieurs spécimens, dont l’un se trouve dans le magnifique et malheureusement peu visité musée de la civilisation romaine à l’EUR.

Rome, colonne Trajane, figure d'un ancien soldat romain encore en 1995. La sculpture est encore assez bien conservée car elle est
Rome, Colonne de Trajan, figure d’un ancien soldat romain encore en 1995.
La
sculpture est encore assez bien conservée car elle est “protégée par les couches d’oxalate de calcium” qui subsistent sur le relief et qui sont particulièrement visibles, à l’état fragmentaire, dans le pilastre en bas à droite (fonte de 1862)
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Rome, Colonne de Trajan, la même figure d'un soldat romain antique (fonte 1862). La figure est encore très bien conservée car elle est
Rome, colonne Trajane, la même figure d’un soldat romain antique (fonte de 1862).
La
figure est encore très bien conservée car elle est “protégée par les couches d’oxalate de calcium” qui subsistent sur les reliefs, une couche particulièrement évidente sous forme fragmentaire dans le pilastre ( ?) en bas à droite
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Rome, colonne Trajane, l'empereur Trajan devant le pont sur le Danube. Des couches fragmentaires d'oxalate de calcium sont visibles dans les arches.
Rome, colonne Trajane, l’empereur Trajan devant le pont sur le Danube. Des couches fragmentaires d’oxalate de calcium sont visibles dans les arcs
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Colonne de Trajan, figures barbues de soldats daciens. Les couches jaunâtres d'oxalates de calcium sont évidentes.
Colonne de Trajan, figures barbues de soldats daces.
Les
couches jaunâtres
d’oxalate de calcium sont évidentes.

Nous sommes donc en possession d’une très rare documentation sur l’état des reliefs de la colonne à une époque où la pollution n’existait pas à Rome. Mais quel est le mystère ?

Que ces moulages démontrent positivement comment tous les dommages sur les reliefs sous forme d’alvéolisation, d’érosion, de perte de modelage, de chutes de pièces, ce que nous attribuons aujourd’hui au “smog”, étaient présents dans la Colonne il y a des siècles et en particulier en 1862 quand le problème de la Rome papale était l’avènement du libéralisme et certainement pas la pollution de l’air. Mais ce n’est pas tout. Les moulages montrent que les dégâts ont très peu progressé par rapport à aujourd’hui.

Un fait technique tout à fait inattendu et d’un grand intérêt. Mais quel est le rapport avec les vitrines ?

Les vitrines entrent dans cette problématique en ce sens qu’elles peuvent et doivent être construites car elles sont le seul moyen d’assurer la pérennité des monuments extérieurs. Mais elles doivent aussi être construites sur la base d’études qui clarifient et résolvent d’abord les mécanismes de dégradation du marbre, par exemple ceux qui sont documentés dans les moulages. C’est à partir de ces études qu’un projet de construction scientifiquement fondé est élaboré.

En fait, tout le monde comprend que la construction de ces vitrines n’est pas une plaisanterie, tant sur le plan technologique que sur le plan esthétique et culturel.

Tout à fait. Pensez à la nécessité de réduire l’effet de serre créé par les vitres, au contrôle du mouvement de la poussière à l’intérieur de la thèque, ou à la surveillance de la vitesse de l’inévitable détérioration des reliefs par une intelligence artificielle, et ainsi de suite. Mais pensons aussi à la fonction qu’auraient les vitrines de réguler les flux de visiteurs, qui ne seraient certainement plus les foules qui aujourd’hui humilient et corrodent nos musées et nos “villes d’art” au nom d’une économie de la culture envahissante et fragile, mais aussi vraisemblablement vouée à ne pas durer. Celle des “grands bateaux”, des files de touristes achetant des sandwichs vendus dans les rues, des centres historiques de nos villes devenus des chambres à louer, ou des rues piétonnes à sens unique qu’il a fallu aménager dans les Cinque Terre pour permettre la circulation des personnes sur les chemins de terre.

Et sur le plan culturel ?

Sur ce plan, il faut relever un défi d’un intérêt et d’une difficulté extraordinaires. Démontrer qu’il est possible de modifier le merveilleux paysage historique des forums impériaux avec le design et la qualité technologique d’aujourd’hui. Un défi que seuls de grands architectes pourraient relever.

Qui ?

En Italie, je pense à Michele De Lucchi, mais aussi (peut-être) à Stefano Boeri, qui devraient cependant travailler avec une clientèle qui les suit de manière éduquée et intelligente, une denrée de plus en plus rare dans l’Italie du patrimoine culturel d’aujourd’hui. Pour l’économie autoproclamée de la culture, un peu de bon sens suffirait. Quant à l’aspect technique du problème, nous serions parfaitement capables d’y faire face si nous pouvions compter sur un Institut central de restauration (Icr) chargé de la recherche scientifique, de l’innovation technologique et de la formation des travailleurs, c’est-à-dire des surintendants, des professeurs, des restaurateurs, des experts scientifiques, etc. L’Icr de Brandi, Rotondi et Urbani. L’Icr vise à la conservation préventive et programmée du patrimoine en relation avec l’environnement. L’Icr qui, pendant un demi-siècle, a été un point de référence incontesté dans le monde de la restauration, de la conservation et de la protection, mais qui a été dépouillé de façon insensée au point de devenir une superintendance de plus.

Colonne de Trajan, figure barbue de soldats daciens. Les couches d'oxalate de calcium, ici brunâtres comme celles que l'on trouve sur le marbre d'Elgin, sont évidentes.
Colonne de Trajan, figure barbue de soldats daciens. Les couches d’oxalate de calcium, ici brunâtres comme celles que l’on trouve sur le marbre d’Elgin, sont évidentes
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Colonne de Trajan. Signatures sous le chapiteau des formateurs de Pie IX.
Colonne Trajane. Signatures sous le chapiteau des formateurs de Pie IX
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Parme, baptistère métropolitain, figure diabolique antélamique entièrement recouverte d'une couche noirâtre d'oxalates de calcium.
Parme, Baptistère métropolitain, figure diabolique antélamique entièrement recouverte d’une couche noirâtre d’oxalates de calcium
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Orvieto, Duomo, détail de deux anges dans le pilier droit de la façade partiellement recouverte de couches d'oxalate de calcium jaunâtre.
Orvieto, Dôme, détail de deux anges dans le pilier droit de la façade partiellement recouvert de couches d’oxalate de calcium jaunâtre
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Mais aujourd’hui, l’Université forme des restaurateurs, des experts scientifiques, des surintendants, des professeurs, etc.

Certes, elle le fait en dehors de toute protection. Mais elle le fait en dehors de toute politique de protection qui donnerait à la formation de ces diplômés le sens des deux problèmes essentiels qui ont toujours plané, non résolus, sur la conservation, la restauration et la protection. D’une part, répondre à la question essentielle du sens de la présence du passé dans le monde d’aujourd’hui. D’autre part, faire de la restauration une action éminemment préventive, enfin mesurée à l’aune des besoins concrets de conservation de l’ensemble du patrimoine et de la relation de cet ensemble avec l’environnement. Si parler d’environnement signifie se mesurer à un pays de plus en plus dépeuplé, en particulier dans les Apennins et les montagnes, considérer le patrimoine dans son ensemble exige de travailler sur la base d’un catalogue dont il faut rappeler qu’il y a quelques années, le directeur de l’Institut central du catalogue a écrit un livre sur la conservation du patrimoine et sur les relations avec l’environnement.Institut Central du Catalogue écrivait il y a quelques années que les dysfonctionnements et les lacunes du catalogue national fondé en 1975, c’est-à-dire il y a un demi-siècle, proviennent de “son caractère fragmentaire, de son manque d’homogénéité et de sa faible visibilité”.

D’autres problèmes pour les vitrines ?

Permettez-moi de répondre à votre question en citant un texte de Giovanni Urbani datant de 1981. Un texte dans lequel, il y a un demi-siècle, il nous disait ce qu’il fallait entendre par économie de la culture et politique de protection. Mais une phrase restée lettre morte: “En restant dans le domaine de l’économie, une dernière considération peut peut-être nous faire entrevoir comment l’utilisation correcte de nos ressources historico-environnementales, en plus du niveau national, pourrait nous donner des avantages substantiels sur le plan international également. Bien sûr, je ne pense pas qu’il soit culturellement décent de s’attendre à ce que nos intérêts soient équilibrés par les revenus du tourisme. Mais si ce pays avait une vision un minimum éduquée de l’état actuel du monde, il devrait se rendre compte qu’il partage avec certains des plus grands pays tiers le sort d’avoir un environnement dans lequel la composante historico-culturelle est exceptionnellement importante [...]. De sorte que lorsque, sous la pression de facteurs historiques et socio-économiques certes différents des nôtres, ces pays étrangers seront néanmoins confrontés à des problèmes analogues aux nôtres pour choisir des politiques de développement qui ne sacrifient pas leur environnement historico-naturel, il ne semble pas irréaliste de penser que, de toutes les nations occidentales, la nôtre serait la mieux armée pour montrer comment la préservation du passé peut assurer, selon la formule de Platon, le salut de tout ce qui existe. [Nous sommes conscients que les preuves matérielles de ces traditions sont confrontées à une ruine qui ne peut être contrée que par des innovations technologiques bien ciblées”.


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