"La plus belle peinture sur panneau d'Ambrogio Lorenzetti existante": la Madone du lait à Sienne


En 1879, le jeune Charles Fairfax Murray la décrivait comme le "plus beau panneau existant" d'Ambrogio Lorenzetti (Sienne, vers 1290 - 1348): il s'agit de la délicate Madonna del Latte du Museo Diocesano de Sienne, un chef-d'œuvre très original et novateur.

C’est au milieu de l’hiver 1879 que Charles Fairfax Murray pénètre dans l’église San Francesco de Sienne avec l’intention précise d’aller voir une œuvre d’Ambrogio Lorenzetti qui y est conservée, dans la chapelle du séminaire de l’archevêque. Murray n’a que trente ans, mais il est déjà en Italie depuis huit ans: peintre préraphaélite ayant une solide connaissance de l’art italien, il est venu de Londres pour faire des copies d’œuvres italiennes afin de les envoyer à John Ruskin. Puis il s’était arrêté: après avoir épousé une Italienne et s’être installé à Florence, il avait commencé à collaborer avec Giovanni Battista Cavalcaselle. Et c’est précisément en 1879 qu’il voyage en Toscane, dans le but de dresser un catalogue des œuvres de Pietro et Ambrogio Lorenzetti pour Cavalcaselle.

On peut imaginer l’étonnement de Murray lorsqu’il vit la Madone de lait devant lui, étant donné les tons enthousiastes avec lesquels il décrit l’œuvre dans une lettre qu’il envoie à son collègue le 20 janvier, après avoir fait une copie de la peinture sur toile: Pour le jeune Anglais, la Madone du lait était “le plus beau panneau d’Ambrogio existant”, et l’opinion de Murray a évidemment convaincu Cavalcaselle d’inclure l’œuvre dans sa Storia della pittura in Italia, un fait qui la rendrait plus tard bien connue des études d’histoire de l’art, et qui était la condition préalable pour qu’elle devienne l’une des images les plus reconnaissables et emblématiques de l’art d’Ambrogio Lorenzetti.

Dans la monumentale entreprise historiographique que l’historien de l’art vénitien a rédigée avec Joseph Archer Crowe, la Madone au lait est décrite comme “une gracieuse peinture sur panneau”, qui “représente en grandeur nature la demi-figure de la Madone avec le Putto à son sein en train de téter, qui, avec une main sur son sein, se tourne de manière ludique vers le spectateur”. Et c’est peut-être précisément l’adjectif “ludique” qui est l’une des clés pour comprendre cette merveilleuse peinture, malgré l’apparente gravité de la Madone. Elle a encore un profil assez duccioesque, bien que les traits de cette Vierge soient plus nobles que ceux des Madones de Duccio: les yeux en amande, le profil légèrement allongé, les sourcils finement arqués, le teint tendre et diaphane. Elle porte, comme le veut la tradition, un mapphorion bleu outremer, avec une bordure dorée décorée de motifs géométriques, recouvrant un voile blanc enveloppé de plis très fins, dessinés avec une certaine virtuosité, et se terminant par un ourlet doré qui semble presque continuer la ceinture, serré sur la tunique écarlate à la hauteur de la poitrine. Sa figure est tracée selon une disposition spatiale inhabituelle, comme l’a souligné le jeune chercheur catalan Ireneu Visa Guerrero: “Marie et Jésus sont décalés par rapport à l’axe central, une position qui permet à Ambrogio de prétendre qu’ils se trouvent au-delà de l’espace circonscrit par le cadre, qui, à son tour, fait certainement allusion à un trône”.

Ambrogio Lorenzetti, Vierge au lait
Ambrogio Lorenzetti, Madone au lait (vers 1325 ; tempera et or sur panneau, 96 x 49,1 cm ; Sienne, Museo Diocesano)


Ambrogio Lorenzetti, Vierge au lait, particolare
Ambrogio Lorenzetti, Madone de lait, détail

Sur ce trône, auquel la forme très cuspidée du panneau fait référence, l’Enfant ne se sent évidemment pas à l’aise, car il n’est pas aussi calme que sa mère. Au contraire, il s’agite, donne des coups de pied, saisit avidement le sein de la Vierge avec ses mains pour suggérer du lait, mais détourne son regard d’une manière presque méfiante. Et la mère doit le maintenir fermement, pour l’empêcher de glisser de la couverture rose dont il se libère, avec l’action des jambes qui ne trouvent pas de pose et sont prises par le peintre dans une position bizarre, inhabituelle, nouvelle: elles sont pliées, presque croisées l’une sur l’autre, le talon gauche reposant sur le genou droit et la plante du pied poussant sur le bras de la mère. Observez le détail réaliste de l’index et du majeur de la main droite de la Vierge, qui s’écartent pour mieux saisir la terga de l’Enfant: c’est à partir d’un tel détail que l’on peut déduire le naturel inhabituel de la peinture d’Ambrogio Lorenzetti. Et c’est justement en observant l’attitude de l’Enfant, tout à fait originale pour la peinture siennoise, que Cavalcaselle l’a qualifié d’“enjoué”.

L’artiste a peint le panneau vers 1325: c’est ce que suggèrent les comparaisons avec d’autres œuvres de l’époque, en premier lieu le cycle de fresques qu’Ambrogio a peint avec son frère Piero à San Francesco au début des années 1320 (et qui ont été redécouvertes sous une couche d’enduit une vingtaine d’années avant que Murray ne visite l’église), où les personnages ont des connotations assez proches de celles de la Madonna del Latte. Nous ne savons pas exactement où elle se trouvait à l’origine: l’œuvre est attestée pour la première fois en 1439, à l’ermitage augustinien de Lecceto, près de Sienne, et y est restée jusqu’en 1866, date à laquelle elle a été déplacée dans la chapelle du séminaire de San Francesco, avec son cadre du XVIIe siècle, qui a été enlevé par la suite. Déplacée à nouveau en 1966 au palais archiépiscopal de Sienne, elle fait aujourd’hui partie de la collection du musée diocésain de la ville toscane.

Dans l’exécution de sa Virgo lactans, sa Madone prise dans l’acte intime et tendre d’allaiter l’Enfant, Ambroise avait repris la tradition byzantine de la Vierge Galaktotrophousa, qui était déjà largement pratiquée dans le contexte siennois: Cependant, le peintre a su renouveler radicalement l’iconographie, dans le cadre du processus d’humanisation des images sacrées qui a affecté la peinture siennoise au cours de la deuxième et de la troisième décennie du XIVe siècle. Même la lumière n’est pas celle, éblouissante, des icônes byzantines: il s’agit d’une lumière ronde, intime et domestique, qui transmet un sentiment de tranquillité, de calme, de sérénité.

Dans son article publié dans The Art Bulletin en 1969, l’universitaire américain Michael Mallory écrivait qu’avec sa Madone de lait, Ambrogio Lorenzetti avait accompli quelque chose d’extraordinaire, affirmer avec conviction l’humanité du Christ à travers une scène maternelle, douce et délicate: “L’artiste s’est passé de presque tous les dispositifs symboliques et a conçu l’image exclusivement en termes de gestes et d’actions humaines. La Vierge, regardant tendrement son enfant, devient dans ce tableau l’incarnation de la maternité, à la fois humaine et divine, tandis que l’Enfant, se débattant et se tordant, affirme l’élément humain de la double nature du Christ”. Pour Mallory, l’esprit d’Ambroise était bien en avance sur son temps, allant jusqu’à anticiper certaines méditations de la Renaissance comme la Madonna Litta de Léonard de Vinci.

Mais même sans vouloir attribuer au peintre siennois une clairvoyance biséculaire, on ne peut que reconnaître que la Madonna del Latte représente un nouveau chef-d’œuvre de la peinture siennoise. Murray et Cavalcaselle furent les premiers à le remarquer: l’Anglais eut le mérite de l’indiquer, mû par une émotion sincère et naturelle, et le Vénitien celui d’en reconnaître l’importance. L’innovation d’Ambroise n’a pas été saisie par ses successeurs: les peintres siennois opteront plutôt pour une sorte d’union entre les lactaires et le type iconographique de la Madone de l’humilité. On le voit bien dans un tableau donné à Lippo Memmi ou à son entourage, et conservé à la Gemäldegalerie de Berlin. Mais lorsque nous voyons cette Madone du lait au Museo Diocesano de Sienne, nous sommes conscients d’assister à un événement sans précédent, l’une des plus hautes expressions du sens de la maternité dans une peinture du XIVe siècle, l’une des premières œuvres à évoquer des sentiments d’affection familiale apaisante pour souligner la nature humaine de l’enfant de Dieu. Une peinture “ludique” en somme. Ici, il n’y a plus la hiératique Reine du ciel et l’impérieux Enfant bénissant: nous avons achevé le parcours qui nous a conduits à voir, sur un panneau du XIVe siècle, une mère attentionnée et un nourrisson agité.


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