La préhistoire de l'humanité selon Piero di Cosimo, relecture de Panofsky


Le cycle de la préhistoire humaine de Piero di Cosimo relu à travers l'interprétation d'Erwin Panofsky dans son célèbre essai dans Studies in Iconology.

La récente exposition sur Piero di Cosimo (1462 - 1522) aux Offices (et, avant elle, la rétrospective qui l’a immédiatement précédée à la National Gallery de Washington) a eu, entre autres, le mérite de rassembler une grande partie des peintures appartenant au cycle dit de la Préhistoire humaine, qui a fait l’objet de l’un des essais les plus célèbres de l’histoire de l’art du XXe siècle: La préhistoire humaine dans deux cycles de peintures de Piero di Cosimo, d’Erwin Panofsky (1892-1968), publié en Italie dans le volume Studi di iconologia, un véritable classique de l’histoire de l’art. L’essai, publié à l’origine en 1939, a constitué une base indispensable pour comprendre la signification de ces peintures au contenu plutôt inhabituel, mais extrêmement intéressant: Évidemment, dans les années qui ont suivi, l’essai de Panofsky a fait l’objet de critiques et de réinterprétations, notamment en raison de certaines incohérences qui semblent caractériser l’écriture, mais dans cet article, nous souhaitons nous concentrer précisément sur l’interprétation que le grand chercheur germano-américain a donnée du cycle de Piero di Cosimo, en se référant précisément à l’édition italienne publiée dans les Studi di Iconologia d’Einaudi (d’où sont tirés tous les guillemets qui suivent dans l’article, sauf indication contraire).

Panofsky part d’un constat: le sujet du tableau de Piero di Cosimo conservé au Wadsworth Atheneum de Hartford, Connecticut, ne lui semble pas pouvoir être interprété, comme on l’avait fait avant son hypothèse, comme “une représentation du mythe d’Ila et des nymphes”. Il y a trop d’incohérences avec le mythe, qui racontait comment Ila et Hercule avaient momentanément abandonné l’expédition des Argonautes, dont ils faisaient partie, afin de trouver un arbre pour construire une nouvelle rame pour Hercule: Ila, étant allé puiser de l’eau dans une rivière, fut approché par les Naïades, les nymphes de la mer qui, étant tombées amoureuses de lui en raison de son attrait, le gardèrent avec elles et ne lui permirent pas de rejoindre Hercule. Le tableau de Hartford manque de plusieurs détails qui permettraient de rattacher le sujet à ce mythe: les récipients d’eau, la rivière, l’“agression amoureuse de la part des Naïades”, la “lutte réticente de la part d’Ila”. Panofsky, remarquant les membres déformés du jeune garçon au centre de la scène (en particulier ses jambes arquées), et notant l’attention que les jeunes filles lui portent, est amené à penser que le sujet ne peut être que la découverte de Vulcain: selon le mythe, le dieu du feu a été précipité de l’Olympe (bien que les différentes versions de l’histoire ne s’accordent pas sur la raison de la chute) et, s’étant réfugié sur l’île de Lemno, il a été accueilli et soigné par les habitants de cette île. Pour Panofsky, c’est là le véritable sujet du tableau.

Piero di Cosimo, La découverte de Vulcain
Piero di Cosimo, La découverte de Vulcain (vers 1490 ; huile sur toile, 154,3 x 174 cm ; Hartford, Wadsworth Atheneum Museum of Art)

En se référant aux écrits classiques (notamment à Vitruve: nous y reviendrons), Panofsky identifie le dieu Vulcain dans une autre peinture de Piero di Cosimo, conservée à Ottawa au Musée des beaux-arts du Canada. En particulier, le dieu serait présent dans la figure extrêmement caractérisée (un détail qui a conduit Panofsky à penser que le personnage portait les traits du mécène probable, le riche Florentin Francesco del Pugliese), du forgeron qui travaille sur l’enclume dans le coin inférieur gauche de la composition. Le jeune homme à cheval au centre de la scène, qui observe l’activité de Vulcain, s’intéresse à l’objet même qu’il est en train de forger: un fer à cheval. Le vieil homme à côté de Vulcain serait le dieu Éole: l’air alimentant le feu, les anciens pensaient que Vulcain avait son atelier près de l’Etna, donc non loin de Lipari où, selon le mythe, Éole vivait. Les figures, en bas à droite, du jeune homme endormi et de la petite famille pourraient s’expliquer, selon Panofsky, sur la base d’un passage de l’Enéide de Virgile, dans lequel le poète décrit Vulcain comme un “grand forgeron” qui est déjà à l’œuvre au petit matin, alors que certains sont encore endormis (comme le jeune homme) ou se réveillent à peine, comme la petite famille. Ce détail permet également de situer le moment de la journée où se déroule la scène: précisément les premières lueurs de l’aube. C’est un détail qui n’est pas sans importance, car il aurait aussi une portée symbolique précise: il s’agit en effet de"l’aube de la civilisation“. En d’autres termes, Vulcain doit être considéré comme le ”premier maître de la civilisation humaine", le dieu qui enseigne aux hommes primitifs les arts et les métiers: ce que démontre bien le groupe, plus en retrait, qui s’emploie à construire une masure rudimentaire avec quelques outils (clous, marteaux, gourdins) à partir de poutres de bois non équarries. Le tableau d’Ottawa, qui peut être considéré comme un pendant du tableau de Hartford en raison de ses dimensions similaires et presque correspondantes, constituerait le moment du récit qui suit celui décrit dans The Finding of Vulcan(La découverte de Vulcain). Panofsky estime donc (avec la prudence qui s’impose: il considère lui-même son hypothèse comme une “matière discutable”) que les deux toiles de Piero di Cosimo appartiennent à un cycle unique, auquel l’érudit ajoute un troisième tableau représentant Mars et Vénus avec ses amants et Vulcain, que l’on croyait perdu mais qui est cité par Giorgio Vasari.

Piero di Cosimo, Vulcain et Éole Maîtres de l'humanité
Piero di Cosimo, Vulcain et Éole Maîtres de l’humanité (vers 1490 ; huile sur toile, 155,5 x 166,5 cm ; Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada)

Panofsky, cependant, va plus loin, estimant que les deux peintures de Hartford et d’Ottawa peuvent être elles-mêmes des chapitres d’un récit plus large destiné à raconter l’histoire de l’humanité primitive. Si, par conséquent, les deux œuvres susmentionnées doivent être considérées comme une "interprétation de l’ère sub Vulcanum" (sous Vulcain), il y aurait trois panneaux à considérer comme illustrant une ère ante Vulcanum (avant Vulcain): une époque où l’humanité aurait mené une existence à l’état “véritablement bestial”, élevée plus tard grâce au “progrès technique et intellectuel”. Cette conception évolutionniste de l’ histoire humaine, qui “imagine l’émergence de l’humanité comme un processus entièrement naturel, dû exclusivement aux dons innés de la race humaine, dont la civilisation aurait commencé avec la découverte du feu”, trouve un écho dans un passage de Vitruve (extrait du deuxième livre De architectura), lui-même redevable à Lucrèce, dans lequel il parle d’une humanité qui, dans l’Antiquité, menait une vie semblable à celle des bêtes: les hommes primitifs habitaient dans les forêts et les grottes et se nourrissaient de ce qu’ils trouvaient. Lors d’une tempête, certains arbres abattus, en se heurtant les uns aux autres, prenaient feu: les hommes, d’abord effrayés par la force et le bruit du feu, se rapprochaient ensuite les uns des autres, conscients du réconfort que le feu leur procurait. Ainsi, devant se montrer les applications pratiques du feu, les hommes primitifs créeront le langage, poussés par le besoin de nommer les choses. Telles sont les prémisses, pour Vitruve, de la naissance des techniques et des arts.

Panofsky estime que la description par Vitruve de la priscorum hominum vita, la vie des hommes primitifs, peut être lue comme une sorte de réinterprétation du mythe de Vulcain et, surtout, qu’elle a été bien représentée par Piero di Cosimo dans trois panneaux, tous de même taille (sauf un, plus long d’une trentaine de centimètres) et conservés au Metropolitan Museum de New York (la Scène de chasse et le Retour de la chasse) et à l’Ashmolean Museum d’Oxford (le Paysage avec animaux). Dans le premier tableau, la Scène de chasse, une humanité primitive est engagée dans un combat furieux “tous contre tous”, preuve évidente du stade d’évolution des êtres humains représentés dans la scène. Une humanité sauvage (en fait, certains personnages ont l’apparence de satyres) qui tue les animaux à mains nues ou, tout au plus, avec de lourdes massues, qui monte à cheval dans de mauvaises positions, qui ignore l’utilisation du feu. Le feu est également présent dans le tableau: l’incendie de forêt est une sorte de leitmotiv du cycle, qui s’explique par l’hypothétique incendie “qui hantait l’imagination de Lucrèce, Diodore de Sicile, Pline, Vitruve et Boccace” et dont on pensait qu’il serait l’événement qui permettrait à l’homme de découvrir le feu. Les détails macabres ne manquent pas, comme le cadavre au premier plan, ou les carcasses d’animaux mordus par les bêtes qui se précipitent et se battent à leur tour avec les hommes.

Piero di Cosimo, Scène de chasse
Piero di Cosimo, Scène de chasse (vers 1494-1500 ; tempera et huile sur panneau, 70,5 x 169,5 cm ; New York, Metropolitan Museum)
Piero di Cosimo, Retour de la chasse
Piero di Cosimo, Retour de la chasse (v. 1494-1500 ; tempera et huile sur panneau, 70,5 x 168,9 cm ; New York, Metropolitan Museum)
Piero di Cosimo, Paysage avec animaux
Piero di Cosimo, Paysage avec animaux (v. 1494-1500 ; tempera et huile sur panneau, 71,2 x 202 cm ; Oxford, Ashmolean Museum)

Le deuxième tableau de la série représente un stade ultérieur de l’évolution. La lutte qui caractérisait le premier tableau du Met s’est apaisée et l’humanité a commencé à travailler ensemble pour chasser. Et pour chasser (ou plutôt, dans ce cas, pour revenir de la chasse), les hommes utilisent des embarcations rudimentaires faites de troncs d’arbres creusés de manière appropriée, mais grossièrement travaillés: il suffit de regarder le mât de l’embarcation, qui n’est rien d’autre qu’un tronc hissé à la hâte, sur lequel grimpe l’un des chasseurs. On voit aussi d’autres bateaux similaires dans les eaux à l’arrière-plan: un arrière-plan sur lequel revient d’ailleurs le motif de l’incendie de forêt (on le voit à gauche). Le succès de la chasse est attesté par les sangliers que certains chasseurs déchargent du bateau. Nous sommes cependant encore loin de la civilisation proprement dite: les hommes ne connaissent pas encore les techniques et les métiers, et se promènent encore nus ou, tout au plus, vêtus de peaux non tannées.

Dans le dernier panneau, Paysage avec animaux, “l’une des premières véritables peintures de paysage de l’art postclassique”, les animaux, contrairement à l’homme, fuient toujours devant le feu et nous avons encore des créatures hybrides (notamment une truie au visage de femme et une chèvre au visage d’homme) qui s’expliquent, selon Panofsky, par les accouplements bestiaux entre hommes et animaux qui auraient caractérisé l’humanité primitive. Cependant, l’humanité a fait des progrès significatifs: nous voyons une cabane cachée dans la forêt, des personnages bricolent des récipients, un homme vêtu d’une sorte de combinaison en cuir profite du feu, devant lequel il semble complètement indifférent, pour conduire un couple de vaches vers la cabane.

Il s’agit de trois panneaux extrêmement imaginatifs, fruits du génie bizarre de Piero di Cosimo: trois panneaux qui, selon Panofsky, se placent immédiatement avant, d’un point de vue iconographique, les peintures de Hartford et d’Ottawa dans lesquelles, comme nous l’avons vu, le dieu Vulcain, en tant que “maître de l’humanité”, aurait permis aux êtres humains de s’engager sur la voie de la civilisation et du progrès technologique. Après ce qui a été dit jusqu’à présent, pour Panofsky, il ne serait pas exagéré (ou, en tout cas, il serait certainement agréable) d’émettre l’hypothèse que les cinq peintures (six, y compris la peinture perdue) ont été conçues comme des parties d’un seul cycle, exécutées pour le même mécène, peut-être dans le but de décorer deux salles: dans une antichambre, les trois petits panneaux, ceux de l’humanité ante Vulcanum, et dans une salle plus grande, les toiles avec les histoires de Vulcain. Bien sûr, comme nous l’avons dit au début, nombreux sont ceux qui ont contesté Panofsky pour plusieurs incohérences. En voici quelques exemples: la lumière de la peinture d’Ottawa ne peut être considérée comme celle de l’aube, ce qui devrait amener les historiens de l’art à changer d’avis sur les personnages proches de Vulcain, ou les animaux à visage humain qui ne pourraient être expliqués par une référence à Lucrèce, qui dans son De rerum natura excluait l’existence de créatures hybrides dans l’antiquité, ou encore la localisation non résolue d’un panneau représentant la Construction d’un bâtiment, conservé au Ringling Museum de Sarasota en Floride (et exposé d’ailleurs à côté des peintures de la préhistoire de l’humanité dans l’exposition florentine), qui n’est pas mentionné dans l’essai de Panofsky. Les hypothèses du grand savant, cependant, conservent encore aujourd’hui leur fascination, surtout lorsqu’elles sont analysées en tenant compte du caractère particulier de Piero di Cosimo.

Dans ses Vies, Giorgio Vasari raconte que le peintre florentin “tenait la vie d’un homme plus bestial qu’humain. Il ne voulait pas que les chambres soient balayées, il voulait manger à l’heure où la faim se faisait sentir, et il ne voulait pas que les fruits du jardin soient binés ou taillés, mais il laissait les vignes pousser et les pousses aller sur le sol, et les figues n’étaient jamais taillées, ni les autres arbres, mais il se contentait de voir tout sauvé comme le voulait sa nature, alléguant que les choses de la nature devaient être laissées à ses soins sans rien faire d’autre”. La vie urbaine l’ennuyait, il prenait plus de plaisir à la compagnie des animaux qu’à celle des hommes, il avait des habitudes alimentaires bizarres. Bref, il était si bestial qu’“il était plus probable qu’on le garde fou, et pourtant il ne faisait de mal qu’à lui-même”. Panofsky est convaincu que c’est précisément dans l’adjectif “salvatico”, utilisé par Vasari, qu’il faut trouver la clé pour comprendre le cycle de la préhistoire humaine. Car la nature de Piero di Cosimo, typique d’un “primitif qui a vécu dans une période de civilisation exquise”, l’aurait amené à créer des représentations qui ne seraient pas, selon Panofsky, le fruit de la fantaisie ou de tentatives d’idéalisation: il s’agirait de scènes de la vie primitive dont la mémoire subconsciente semblerait refaire surface dans l’esprit de Piero di Cosimo, lui permettant ainsi de nous offrir “avec le plus grand réalisme et la plus grande concrétude” des tableaux représentant la vie des hommes primitifs. Avec un objectif très clair: transmettre la conviction que le bonheur n’est possible que tant que l’homme reste en contact avec la nature.


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