by Federico Giannini (Instagram: @federicogiannini1), published on 10/12/2019
Categories: Bilan de l'exposition
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Compte rendu de l'exposition "Raphaël et les amis d'Urbino" (à Urbino, Galleria Nazionale delle Marche, du 3 octobre 2019 au 19 janvier 2020).
Comme le savent tous ceux qui ont approché la figure de Raphaël Sanzio (Urbino, 1483 - Rome, 1520), la tradition divise généralement sa carrière brève, éblouissante, dense et irremplaçable en trois parties distinctes: une première phase de jeunesse, qui se déroule entre son Urbino natal et ses activités en Ombrie, à Città di Castello et à Pérouse, suivie des quatre intenses années florentines (de 1504 à 1508), et terminée par les onze années passées dans la Rome pontificale. Marches et Ombrie, Florence, Rome: au cours de ses pérégrinations dans les centres artistiques les plus modernes de l’Italie centrale, le jeune Urbino ne cessera jamais de regarder autour de lui, de continuer à répondre avec flair et enthousiasme aux indications qu’il pourra tirer de l’observation des résultats de ses collègues travaillant dans ces villes, de s’ouvrir constamment à la nouveauté, dans une sorte de parcours de formation continue. Mais il s’agit d’un itinéraire sui generis, car si Raphaël continue à se nourrir de tout ce qu’il voit, son art devient de plus en plus gracieux, étonnant, original et capable, selon Vasari, de vaincre la nature. Et puis il y a un autre aspect singulier: partout où il a laissé des traces de son art, Raphaël a suscité l’intérêt d’une foule d’autres artistes, dont beaucoup étaient encore plus mûrs que lui. Et il arrivait parfois que, pendant qu’il regardait, on le regardait à son tour.
Ces imbrications complexes constituent la base de l’exposition Raphaël et ses amis à Urbino (Urbino, Galleria Nazionale delle Marche, jusqu’au 19 janvier 2020), organisée par Barbara Agosti et Silvia Ginzburg, qui s’articule autour d’un double fil conducteur: l’un, le plus court, présente l’activité de jeunesse de Raphaël (bien qu’il empiète presque immédiatement, c’est-à-dire à partir de la deuxième salle, sur la période florentine), en prenant soin de fournir un contexte (dans la première section, peut-être la plus difficile, où l’on tente de reconstruire la situation artistique dans l’Urbino de la fin du XVe siècle), tandis que l’autre, celle qui correspond le mieux à la disposition de l’exposition, vise à étudier les parcours de deux artistes d’Urbino, Timoteo Viti (Urbino, 1469 - 1523) et Girolamo Genga (Urbino, 1476 - 1551), tous deux âgés de quelques années de plus que Raphaël, mais travaillant dans les mêmes années et souvent dans les mêmes lieux. Dans l’exposition, la présence de Viti et de Genga, le premier presque toujours réticent aux innovations que le jeune peintre a continué à introduire tout au long de sa carrière et le second beaucoup plus enclin, est si cohérente qu’elle en fait les véritables protagonistes de l’exposition (Genga, en particulier, rassemble un ensemble massif de peintures et de dessins). Le résultat est une exposition qui n’est ni une monographie de Raphaël, ni une monographie des deux illustres concitoyens: c’est plutôt une mise au point complexe et de qualité sur leur relation.
Le prologue est le thème de l’éducation de Raphaël, et c’est dans cette fonction que, dans la première salle, alternent des œuvres du Pérugin, du Pinturicchio et de Luca Signorelli: Il ne s’agit cependant pas d’une concession au public (il faut souligner que le fil que les deux commissaires ont imaginé pour la première des six sections de l’exposition est d’un grand impact, même s’il n’est pas aussi frappant que celui que l’on rencontre dans la salle où sont rassemblés les chefs-d’œuvre de Raphaël), mais d’un lien essentiel, et ce pour deux raisons. D’abord parce qu’il est nécessaire pour comprendre la diffusion du génie de Raphaël: en exposant le projet scientifique de l’exposition, Agosti et Ginzburg suggèrent ainsi implicitement que les relations entre Raffaello, Viti et Genga doivent être lues du point de vue du premier, c’est-à-dire en fonction de la manière dont les résultats de son travail sont parvenus aux deux collègues, plutôt que des chemins que Genga et Viti ont suivis pour accueillir les innovations de Raphaël (et c’est peut-être dans ce sens qu’il faut interpréter la faible présence d’œuvres de Signorelli dans l’exposition): Signorelli, en effet, fut le maître de Genga et un artiste fondamental pour sa formation). Deuxièmement, parce que l’humus sur lequel le génie de Raphaël a germé est, dans une certaine mesure, le même que celui sur lequel Viti et Genga ont été formés. Ce qui distingue Raffaello des autres, souligne Ginzburg, c’est sa façon de se confronter aux stimuli extérieurs: “Raffaello”, écrit l’universitaire, “a développé différentes manières, résultat de la réélaboration autonome des multiples modèles qu’il a progressivement choisis et accordés à de nouvelles solutions, selon une façon de procéder qui [...] avec Vasari sera érigée en emblème de la culture maniériste du XVIe siècle”. Une ouverture et une élaboration continues pour initier de nouvelles recherches: une approche prônée par la culture humaniste, comme le rappelle Ginzburg elle-même, selon des idées fondées sur le “recours à la multiplicité” et le rejet du modèle unique, et qui circulaient à la cour d’Urbino à travers l’humanisme florentin.
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Salle de l’exposition Raphaël etles amis d’Urbino |
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Salle de l’exposition Raphaël et les amis d’Urbino |
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Salle d’exposition Raphaël et les amis d’Urbino |
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Salle d’exposition Raphaël et les amis d’Urbino |
L’exposition est inaugurée par Luca Signorelli (Cortona, vers 1450 - 1523), qui n’est présent qu’avec la bannière de la Crucifixion, conservée dans les collections de la Galleria Nazionale delle Marche et donc, à l’occasion de l’exposition, simplement déplacée au rez-de-chaussée. Il s’agit d’une œuvre d’Urbino des années 1590 et donc d’une ouverture pertinente pour l’exposition, puisqu’il s’agit d’un texte fondamental pour le jeune Raphaël, qui s’en souviendra dans la Crucifixion Mond, un tableau aujourd’hui conservé à la National Gallery de Londres (qui ne fait pas partie de l’exposition), qui non seulement fait référence à Signorelli, mais qui est également plein d’éléments pérousins. Une autre présence ponctuelle est fournie par la prédelle de Fano du Pérugin (Pietro Vannucci ; Città della Pieve, vers 1448 - Fontignano, 1523): ponctuelle mais aussi dérangeante, car la prédelle a été temporairement séparée du reste du retable que le Pérugin, entre 1488 (année de son engagement par les franciscains de Fano) et 1497 (année de son achèvement), a peint pour l’église de Santa Maria Nuova, où il se trouve encore aujourd’hui. La relation entre Raphaël et le Pérugin a fait couler beaucoup d’encre, surtout à partir du rapport de Giorgio Vasari qui suggère la présence de la main du jeune Urbain dans les peintures de l’Ombrien plus mûr: L’exposition, grâce à la contribution d’Anna Maria Ambrosini Massari, retrace le débat lancé par Vasari (avec, d’une part, ceux qui se sont ralliés aux positions de l’historiographe arétin et, d’autre part, ceux qui, reconnaissant une adhésion plus marquée à la manière du Pérugin dans la période de trois ans allant de 1502 à 1504, estiment au contraire que c’est le maître qui a mis à jour la peinture du Pérugin, estime que c’est le maître qui s’est mis à jour sur son élève) pour arriver à soutenir l’hypothèse de Roberto Longhi, selon laquelle le premier intermédiaire entre Raphaël et le Pérugin aurait été le père de Raphaël, Giovanni Santi (Colbordolo, 1440 - Urbino, 1494). La rencontre avec le maître de Città della Pieve se serait donc faite par l’intermédiaire de l’atelier paternel: la preuve en est la " Natività di Casa Santi", la fresque qui orne l’un des murs de la maison natale de l’artiste à Urbino et qui trouve une correspondance parfaite dans la figure de la nourrice qui apparaît dans la scène de la Nativité de la Vierge dans la prédelle de Fano. Pinturicchio (Bernardino di Betto ; Pérouse, vers 1454 - Sienne, 1513) complète le tableau rapide des références, avec quelques œuvres dont un chef-d’œuvre comme la Vierge de la Paix de la fin des années 1480, prêtée par la Pinacothèque communale de San Severino Marche pour souligner l’inclusion de son auteur parmi les références culturelles du jeune Raphaël: La collaboration entre les deux artistes à Sienne est bien connue et, dans le cadre de l’exposition de la Galleria Nazionale delle Marche, la Madone de la Paix sert surtout à rappeler cette proximité, plutôt qu’à fournir des comparaisons exactes qui devraient, le cas échéant, être trouvées dans des œuvres qui ne font pas partie de l’exposition (ou, si l’on voulait vraiment les trouver, il faudrait regarder les traits et l’attitude de la Madone).
Les trois protagonistes de l’exposition arrivent l’un après l’autre: La Sainte Catherine d’Alexandrie de Raphaël, la première œuvre de l’artiste d’Urbino que l’on rencontre, datant probablement du début du XVIe siècle (et dont l’histoire d’attribution est mouvementée), est peut-être la plus proche de Pinturicchio que l’on puisse trouver sur le chemin (“ce qui ressort de cette très petite œuvre”, écrit Valentina Catalucci dans le catalogue, “c’est la recherche d’une peinture précieuse et piquante”), et c’est le fait que l’on ne puisse pas la trouver dans l’exposition.la recherche d’une peinture précieuse et piquante, encore perceptible dans les taches de lumière dorée qui font ressortir la robe rouge de la sainte sur le ton chaud de son manteau, dans la psrezzatura avec laquelle la jeune femme tient la palme du martyre, dans l’imitation au revers de la polychromie du marbre": caractères qui rappellent la leçon de Pinturicchio avant que celle du Pérugin ne l’emporte). Non loin de là, un Beato Bernardino da Feltre présenté avec une attribution à Girolamo Genga, relancé pour l’occasion par Ambrosini Massari: le panneau, datant lui aussi du début du XVIe siècle, remonte à une origine Pinturicchio que l’érudit identifie comme le point commun entre Genga et Raphaël dans la Caterina d’Alessandria. Ce qui différencie Genga de Raphaël, c’est la dépendance plus stricte à l’égard de Signorelli, qui se traduit par des traits expressionnistes évidents chez le saint. Le long chapitre consacré à Timoteo Viti s’ouvre sur l’Oraison au jardin et sur l’étude de la figure de saint Jacques endormi, dans le registre inférieur de la composition achevée. Le panneau, arrivé de Bristol, est considéré comme la première œuvre connue de Viti et se situe dans les années 1490, lorsque l’artiste se trouvait à Bologne dans l’atelier de Francesco Francia (Francesco Raibolini ; Bologne, vers 1450 - 1517), un maître raffiné de la Renaissance felsienne, qui est présent dans l’exposition avec une sélection ostentatoire. Viti, bien qu’originaire d’Urbino, se tournait surtout vers la culture émilienne (Bologne et Ferrare): c’est le cas d’une de ses œuvres probablement exécutée après 1501, la Vierge à l’Enfant avec les saints Crescentino et Donnino, achevée en 1503, immédiatement après son retour à Urbino. Entre-temps, Viti avait étudié, avant Raphaël qui devait l’absorber à Florence, la leçon de Léonard: pour Viti, cependant, il s’agissait avant tout d’un remaniement formel, évident ici surtout dans la posture de la Vierge. La persistance des modèles de Raphaël dans l’œuvre de Viti, même après son retour à Urbino (et donc sa réticence initiale à d’autres stimuli) est attestée par quelques œuvres comme le Retable d’Arrivabene de 1504, modelé sur les textes les plus élevés de Francia (regardez les ruines à l’arrière-plan) et la très douce Sainte Marie-Madeleine, l’un des sommets de la production du peintre des Marches. En revanche, cinq œuvres de Francia sont exposées: la Madone et l’Enfant trônant avec les saints François et Antoine de Padoue marque surtout l’une des plus grandes tangences avec l’art du Pérugin, qui, avec Francia, était considéré par Vasari comme un artiste clé dans la transition vers la Renaissance mûre. Cela explique en partie la présence peut-être trop copieuse de Raibolini dans l’exposition, outre le rôle significatif qu’il a joué dans l’éducation de Viti: sur l’importance de l’environnement bolonais dans cette transition, l’essai de Daniele Benati dans le catalogue mérite d’être souligné.
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Luca Signorelli, Crucifixion (1494 ; huile sur toile, 156 x 104 cm ; Urbino, Galleria Nazionale delle Marche) |
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Pérugin, Nativité de la Vierge, de la prédelle du retable de Fano (1488-1497 ; huile sur panneau, 25 x 50 cm ; Fano, Santa Maria Nuova) |
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Pinturicchio, Madone de la paix (vers 1488-1490 ; tempera sur panneau, 94 x 64 cm ; San Severino Marche, Pinacoteca Comunale Tacchi Venturi) |
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Raphaël, Sainte Catherine d’Alexandrie (1502-1503 ; tempera et huile sur panneau, 39 x 15 cm ; Urbino, Galleria Nazionale delle Marche) |
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Timoteo Viti, Oraison dans le jardin (1490-1495 ; tempera sur panneau, 31,1 x 21,9 cm ; Bristol, Bristol City Museum and Art Gallery) |
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Timoteo Viti, Étude pour le Saint Jacques endormi (1490-1495 ; fusain, plume et encre grise, mine de plomb sur papier préparé gris-vert, 145 x 240 mm ; Paris, Louvre, Département des Arts graphiques) |
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Timoteo Viti, Vierge à l’enfant avec les saints Crescentino et Donnino (vers 1501-1503 ; tempera sur toile, 167,1 x 167,4 cm ; Milan, Pinacothèque de Brera) |
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Timoteo Viti, Saints Thomas Becket et Martin de Tours adorés par l’évêque Giovan Pietro Arrivabene et son neveu Giacomo (Retable Arrivabene) (1504 ; huile sur panneau, 204 x 156,5 cm ; Urbino, Galleria Nazionale delle Marche) |
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Timoteo Viti, Sainte Marie-Madeleine (1508 ; tempera sur panneau, 191 x 116 cm ; Urbino, Galleria Nazionale delle Marche) |
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Francesco Francia, Vierge à l’enfant trônant entre saint François et saint Antoine de Padoue (vers 1500 ; huile sur panneau, 135 x 140 cm ; Florence, galeries des Offices, réserves) |
Le moment le plus attendu par les visiteurs arrive dans la deuxième salle, où la rencontre entre Raphaël, Genga et Viti est étudiée de près et, surtout, où sont exposées quelques-unes des œuvres les plus connues de Raphaël: la séquence commence par une comparaison dans le style des manuels (et déjà proposée ailleurs dans le passé) entre la splendide Sainte Marie-Madeleine du Pérugin, conservée dans la Galleria Palatina de Palazzo Pitti, et le Saint Sébastien de Raphaël, qui provient lui aussi de l’Accademia Carrara de Bergame. La forme des traits, le regard, les références culturelles qui rappellent le monde flamand (Pérugin a imaginé sa Madeleine sur de tels exemples, Memling en tête, au point de conduire souvent les critiques, et l’exposition d’Urbino ne fait pas exception, à émettre l’hypothèse que le tableau cache en réalité un portrait sous les traits du saint pénitent) sont les traits qui rapprochent les deux œuvres. Du nouveau également pour la Madeleine du Pérugin, puisque Silvia Ginzburg lance l’idée de reconsidérer l’attribution à l’artiste ombrien: l’historienne de l’art souligne que, bien qu’il n’y ait pas de raisons suffisantes pour la lui retirer, “l’effigie du goût courtois, évoquant une veuve peut-être nommée Madeleine, apparaît typée selon la formule du peintre sacré Pérugin, au point que l’on serait tenté de dire qu’elle a été peinte ”à la manière de“, non par Vannucci lui-même, mais par l’un de ses imitateurs très intelligents”. La juxtaposition toujours heureuse des deux œuvres est suivie d’une théorie des œuvres de Raphaël qui répond à l’attente de beaucoup: La Muta arrive, une œuvre dont on a supposé qu’elle provenait de la sphère du mécénat de la maison Feltre, mais qui pourrait avoir vu le jour à Florence, La Gravida, qui remonte très probablement à la même matrice culturelle que le tableau qui la précède, et la Madone Conestabile, l’une des premières œuvres florentines d’un Raphaël qui avait alors 21 ans ou un peu plus, et l’une des premières réflexions de Raphaël sur les œuvres de Léonard de Vinci (Vinci, 1452 - Amboise, 1519). L’attitude de l’Enfant, et dans une certaine mesure celle de la Madone, rappellent l’Adoration des Mages inachevée, aujourd’hui conservée aux Offices.
Cependant, plutôt que de se concentrer sur Raphaël, l’exposition d’Urbino vise ici à déployer le large éventail de références que Genga a pu puiser lors de ses séjours florentins, même si ses débuts dans la cité toscane ont été marqués par des expériences antérieures, comme en témoigne le Martyre de saint Sébastien, prêté par les Offices, encore fortement dépendant de Luca Signorelli, mais déjà capable de filtrer les modèles florentins (à commencer par Piero del Pollaiolo, dont l’ascendant est le plus évident dans la figure de saint Sébastien attaché au tronc dénudé). Bientôt, cependant, Genga dépassera les héritages du passé pour entamer une réflexion approfondie sur l’art de Raphaël, comme en témoignent la Vierge à l’Enfant avec saint Jean de la Pinacoteca Nazionale de Sienne, l’une des premières œuvres à s’ouvrir à la grâce de Raphaël, ou le panneau correspondant de la collection Alana, où l’artiste réinterprète Raphaël à la lumière d’autres influences, à commencer par les peintres nordiques et Domenico Beccafumi (Montaperti, 1486 - Sienne, 1551): Ce dernier expose une fascinante Madone à l’enfant avec saint Jean-Baptiste de la Fondation Orintia Carletti Bonucci, présentée comme une réinterprétation originale des Madones de Raphaël, mais aussi pour révéler le “rôle prépondérant de Genga dans ses orientations futures” (ainsi Emanuele Zappasodi dans la notice du catalogue). Pour en revenir à la Madone de la collection Alana, il convient de souligner que dans ce panneau, écrit Barbara Agosti, l’artiste “arrive à des formes fantastiquement élargies, à des volumes anormalement dilatés, à une tridimensionnalité tournée, comme dans la tête ovoïde de la Madone greffée sur la tige cylindrique du cou, à des ombres douces qui modèlent les corps et à une gamme raffinée de couleurs et de transparences”: Il ne s’agit donc pas d’un Genga qui se limite à l’imitation servile, mais d’un artiste qui donne lieu à des expérimentations qui préfigurent déjà les horizons maniéristes. L’étape intermédiaire entre les expériences d’Urbino et la revisitation de la manière de Raphaël est identifiée par les conservateurs dans un tondo, provenant également de la Pinacoteca Nazionale de Sienne, représentant la Vierge à l’Enfant, Saint Jean et Saint Antoine de Padoue, réalisé à l’époque où Genga séjournait à Sienne (entre 1510 et 1512) pour travailler à la décoration à fresque de la résidence de Pandolfo Petrucci. Enfin, une étude d’une Madeleine agenouillée de Timoteo Viti conclut la salle pour documenter le moment de plus grande proximité entre son auteur et Raphaël. Les deux hommes ont travaillé ensemble sur le chantier de Santa Maria della Pace à Rome: pourtant, Viti, pendant presque toute sa carrière, montrera une certaine résistance aux recherches de son cadet.
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Pérugin, Sainte Marie-Madeleine (vers 1500 ; huile sur panneau ; 47 x 35 cm ; Florence, Galerie Palatine, Palazzo Pitti) |
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Raphaël, Saint Sébastien (1501-1503 ; technique mixte sur panneau ; 45,1 x 36,5 cm ; Bergame, Accademia Carrara) |
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Raphaël, La muette (1507 ; huile sur panneau, 65,2 x 48 cm ; Urbino, Galleria Nazionale delle Marche) |
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Raphaël, La Gravida (1505-1506 ; huile sur panneau, 66,8 x 52,7 cm ; Florence, Galleria Palatina, Palazzo Pitti) |
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Girolamo Genga, Martyre de saint Sébastien (vers 1505-1510 ; huile sur panneau, 100 x 83 cm ; Florence, Galerie Palatine, Palazzo Pitti) |
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Girolamo Genga, Vierge à l’enfant avec saint Jean (vers 1511-1513 ; huile sur panneau, 94,6 x 72,8 cm ; Newark, Alana Collection) |
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Domenico Beccafumi, Vierge à l’enfant avec saint Jean-Baptiste (1510-1512 ; huile sur panneau transférée sur toile, 65 x 59 cm ; Pérouse, Fondazione Orintia Carletti Bonucci) |
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Girolamo Genga, Vierge à l’enfant avec saint Jean et saint Antoine de Padoue (vers 1510 ; huile sur panneau, diamètre 103 cm ; Sienne, Pinacoteca Nazionale) |
La troisième salle représente une sorte de coda de la section précédente: la comparaison entre la Madone Mackintosh et sa caricature est l’un des points forts de l’exposition, non seulement parce qu’elle permet de voir la splendide Madone à l’Enfant (cette dernière est l’une des plus tendres de la production de Raphaël), aujourd’hui à la National Gallery de Londres, associée à l’idée qui en est à l’origine, mais aussi parce qu’elle permet de comprendre comment les inventions de Raphaël se sont répandues. La comparaison se fait donc avec une Madone à l’enfant entre les saints Grégoire et Nicolas de Bari de Domenico Alfani (Pérouse, vers 1480 - 1553), où la Madone protagoniste de la composition est une réplique exacte de la Madone Mackintosh (et Alfani, peintre très proche de Raphaël, contribuera plus tard à sa fortune dans le contexte de l’Ombrie et des Marches). De retour à Genga, le dessin de Raphaël (le seul grand dessin de Raphaël qui nous soit parvenu, d’une hauteur d’un demi-mètre, mais dont aucune traduction peinte n’a survécu) pour une Vierge à l’Enfant avec saint Jean à l’iconographie inhabituelle (saint Jean est surpris en train de baiser un des pieds de l’Enfant) est encore pleinement raphaëlique. Ce moment du parcours se distingue également par l’irruption de l’élément Michel-Ange, tant chez Raphaël (la Madone Aldobrandini, pour laquelle Ginzburg signale une réponse précoce de l’artiste à la Chapelle Sixtine) que chez Genga qui, dans la Sainte Famille avec Saint Jean provenant d’une collection privée, reprend la structure du Tondo Doni de Michel-Ange.
Après une quatrième section qui présente très rapidement Raphaël à Rome, la cinquième explore l’activité de Genga en Romagne: une occasion d’évaluer la contribution de Fra’ Bartolomeo (Bartolomeo della Porta ; Florence, 1472 - Florence, 1517) à l’art de la région des Marches. L’analyse porte en particulier sur les sources figuratives d’un des tableaux les plus importants de Genga, la Dispute des docteurs, qui lui fut commandée le 12 septembre 1513 pour l’église Sant’Agostino de Cesena, achevée en 1518, installée en 1520 puis démembrée à la suite des spoliations napoléoniennes: le retable, qui n’a pas été présenté à l’exposition (on y trouve cependant la cimaise de l’Annonciation, seule partie de l’œuvre encore in situ, et l’un des panneaux qui composent la prédelle, celui avec saint Augustin baptisant les catéchumènes, conservé à l’Accademia Carrara de Bergame), est évoqué par certains dessins qui lui sont liés, comparés aux feuilles de Fra’ Bartolomeo. Plus précisément, la dépendance du retable de Genga par rapport à la Madone du Baldacchino de Raphaël et à la Pala del Gran Consiglio de Fra’ Bartolomeo est soulignée: trois feuilles (une étude de composition, une étude pour une Vierge à l’Enfant et une étude pour plusieurs figures) sont liées à cette dernière, témoignant de la genèse de l’œuvre ainsi que de ses affinités avec celle de Genga. L’exposition se termine par un aperçu des relations entre Raphaël, Genga et d’autres “héritiers” importants après la disparition d’Urbino à Rome en 1520: La Résurrection de Genga, conservée à l’Oratoire de Santa Caterina, Via Giulia, à Rome (une étude pour la figure du Christ ressuscité est exposée) est une méditation sur la Transfiguration de Raphaël, et le Mariage mystique de Sainte Catherine d’Alexandrie en présence de Sainte Catherine de Sienne et de Saint Bernardino s ’inspire également de modèles romains (“le choix d’encadrer l’événement dans un contexte domestique imprégné d’une luminosité indirecte”, écrit Alessandra Caffio, “trouve les comparaisons les plus éloquentes”, “dans le contexte de la vie quotidienne”).trouve les comparaisons les plus éloquentes dans certaines œuvres de Giulio Romano, comme la Madone Hertz ou la Madone della Gatta du Musée Capodimonte de Naples&rdquo). L’activité de Giulio Romano (Giulio Pippi de’ Iannuzzi ; Rome, vers 1499 - Mantoue, 1546), continuateur de l’atelier de Raphaël, est attestée par le dessin de la Lapidation de saint Étienne, retable de l’église Santo Stefano de Gênes: La présence du dessin dans l’exposition est justifiée par Barbara Agosti par le fait que l’œuvre représente “ les développements de la dernière leçon de Raphaël interceptée à Rome par Girolamo Genga après son séjour en Romagne et par le jeune Raffaellino del Colle pendant sa période de disciple chez Giulio, qui a probablement commencé entre la fin de l’année 1519 et l’année suivante ”. C’est précisément avec Raffaellino del Colle (Sansepolcro, 1495 - 1566), élève de Giulio Romano et l’un des principaux collaborateurs de Genga, que s’achève l’exposition: la Madone à l’enfant avec saint Jean est imprégnée de la leçon de Giulio Romano, mais dilue la manière du maître dans une simplification formelle plus marquée ; le retable de l’église paroissiale de Lamoli (remonté pour la première fois à cette occasion) est là pour montrer comment Raffaellino a diffusé le langage raphaélesque dans la région des Marches, tandis que la Madone du soccorso, la troisième et dernière de ses œuvres dans l’exposition, est une œuvre qui s’inspire de Raphaël romain mais qui est actualisée selon les solutions mantouanes de Giulio Romano (les colonnes torses si chères au maître sont présentes pour encadrer la scène).
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Raphaël, Madone Mackintosh (vers 1508-1510 ; huile sur panneau transférée sur toile, 78,8 x 64,2 cm ; Londres, National Gallery) |
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Raphaël, Caricature pour la Madone Mackintosh (vers 1508-1510 ; crayon noir et/ou fusain, craie blanche, contours ajourés et partiellement incisés sur deux feuilles jointes, 707 x 533 mm ; Londres, British Museum) |
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Raphaël, Madone Aldobrandini (1512 ; huile sur panneau, 38,9 x 32,9 cm ; Londres, National Gallery) |
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Girolamo Genga, Annonciation (1516-1518 ; huile sur panneau, 133 x 245 cm ; Cesena, Sant’Agostino) |
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Girolamo Genga, Saint Augustin baptisant les catéchumènes (1516-1518 ; huile sur panneau, 49,5 x 91,7 cm ; Bergame, Accademia Carrara) |
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Raffaellino del Colle, Vierge à l’enfant avec saint Jean (vers 1525 ; huile sur panneau, 129 x 106 cm ; Rome, Galleria Borghese) |
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Raffaellino del Colle, Madonna del Soccorso tra san Giovanni Battista e san Cristoforo (vers 1536 ; huile sur panneau, 223 x 145 cm ; Urbino, Galleria Nazionale delle Marche) |
L’un des mérites de Raphaël et de ses amis à Urbino est l’importance accordée aux dessins, notamment en raison des difficultés rencontrées lorsqu’une exposition aborde le thème du dessin dans les Marches à la Renaissance: une situation dans laquelle, comme le souligne Anna Maria Petrioli Tofani dans un essai spécial du catalogue, “toute tentative de reconstruire une image cohérente et circonstanciée de la région des Marches reste davantage confrontée à des questions qu’à des réponses, même s’il existe une vaste bibliographie sur le sujet, dans laquelle certains des noms les plus illustres de l’historiographie artistique ont travaillé au cours des deux derniers siècles”. Le chemin est rendu impraticable par la relative rareté du matériel qui nous est parvenu (évidemment si l’on compare les Marches à d’autres réalités) et par le fait qu’à Urbino et dans ses environs, le dessin n’était pas pratiqué avec la même rigueur que celle qui animait les exercices des peintres florentins: Si à Florence, poursuit Petrioli Tofani, “le dessin constituait traditionnellement un exercice quotidien de la main et de la pensée” et “la phase de dessin entrait directement dans le processus de germination et de raffinement des idées qui prendraient forme dans les peintures, les sculptures et l’architecture”, dans les Marches, au contraire, on dessinait probablement peu et de manière non systématique, de sorte que les Marchegiani utilisaient le dessin “de manière plus épisodique et avec des objectifs plus instrumentaux”. C’est cette idée que l’exposition se propose de mettre en évidence à travers la sélection de feuilles qui sont présentées dans les salles.
En voulant célébrer le 500e anniversaire de la mort de Raphaël, la Galleria Nazionale delle Marche a commandé une exposition non pas tant sur lui (aussi parce que le nouage des nombreux fils qui constituent sa formation et sa présence dans le contexte ombrien-marchigien de la fin du XVe siècle est une opération qui dépasse les objectifs de l’exposition), mais sur l’entrelacement des relations entre Raphaël, Genga et Viti (bien que la présence de Genga soit beaucoup plus volumineuse que celle de Viti, à tel point qu’on peut presque lire une sorte d’exposition à l’intérieur de l’exposition): une exposition certes raffinée, certes pas des plus faciles pour le grand public (le sujet même de l’exposition est hostile, ainsi que très et diversement articulé, et le risque est de ne pas bien saisir certains passages, surtout lorsque la chronologie n’est pas explicitée), mais aussi invitante par sa complexité et engageante par la qualité de la sélection et des prêts, la ponctualité des rapprochements, et la solidité du projet. Si le résultat est perfectible du point de vue du dialogue avec les visiteurs, il faut néanmoins reconnaître à la Galleria Nazionale delle Marche le mérite d’avoir saisi l’anniversaire de l’année prochaine sans se contenter d’une exposition prévisible ou répétitive, mais en proposant une interprétation du contexte (ainsi que, évidemment, de l’art de Raphaël) dans une perspective qui n’avait pas été explorée jusqu’à présent.
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