Entre surréalisme et hommage à Carlo Scarpa: la "double abstraction" de Michele Chiossi


Michele Chiossi, l'un des sculpteurs italiens contemporains les plus intéressants, présente quelques-unes de ses dernières œuvres, dont la série "Subabstraction".

Dans son ouvrage Le surréalisme et la peinture, André Breton a donné le témoignage le plus direct et le plus vivant de la naissance du jeu du Cadavre exquis, c’est-à-dire le “jeu sur papier plié qui consiste à faire composer une phrase ou un dessin par plusieurs personnes, sans qu’aucune d’elles puisse tenir compte de la ou des collaborations précédentes”, tel que défini par Breton lui-même dans son Dictionnaire abrégé du surréalisme, réalisé avec Paul Éluard en 1938. Le jeu aurait été inventé vers 1925 et Breton en attribue l’invention à Jacques Prévert, Yves Tanguy et Marcel Duhamel, qui l’ont imaginé pour relancer des conversations destinées à s’éteindre. On prend une feuille de papier, on la plie, on y écrit un mot et on la passe à son compagnon, qui ne peut voir que la contribution de celui qui le précède, mais pas tout ce qui a été écrit précédemment. Il semble que la première phrase issue du jeu ait été le désormais célèbre “Le cadavre exquis boira le vin nouveau”. Pour Breton, le Cadavre exquis est un “moyen infaillible” de laisser libre cours à l’activité de l’esprit, libéré des contraintes et des conventions de toutes sortes. Une association spontanée d’éléments, provoquée par le pouvoir évocateur des mots et des images, dans la lignée des recherches surréalistes sur cetautomatisme psychique censé exprimer le fonctionnement de la pensée.

C’est à ces expériences que Michele Chiossi (Lucques, 1970) se réfère lorsqu’il me présente sa dernière œuvre, qu’il a apportée à une exposition à Carrare, au Palazzo Binelli. Il s’agit d’une grande sculpture de plus de deux mètres de haut, composée des éléments les plus divers. Il l’a intitulée Marbre Exquis, m’explique-t-il, précisément sur la base de l’idée surréaliste de la juxtaposition de matériaux très éloignés et différents. Et là, nous avons du marbre, du bois, du vent, de la dentelle. Sur le marbre et le bois, il n’y a pas beaucoup de questions: Michele Chiossi est sculpteur, et pour cette œuvre il a utilisé deux matériaux à la tradition millénaire. Ce qui est plus curieux, en revanche, c’est de savoir d’où lui est venue l’idée de créer cette armoire introduite par deux rideaux de dentelle doucement déplacés par une brise alimentée par des ventilateurs cachés. L’artiste est fasciné par le matériau et, avec une certaine déférence, entend évoquer les lieux d’où provient le marbre: les carrières des Alpes Apuanes, souvent balayées par le vent qui se lève en altitude. Mais le jeu du Cadavre exquis continue. L’automatisme psychique surréaliste a dû faire penser à Michele Chiossi aux premières scènes du film Le Léopard de Luchino Visconti: “la scène de la prière à Donnafugata derrière les fenêtres du palais m’est venue à l’esprit”, raconte-t-il, “les fenêtres sont ouvertes, il y a du vent, le vent fait bouger la dentelle du XIXe siècle des rideaux”. Un travail de recherche aussi, car Michele Chiossi s’est aussi fixé comme objectif d’être philologiquement irréprochable: "Je suis parti à la recherche de la dentelle de Calais du début du 19e siècle. J’ai ensuite pris des bains de couleurs pour créer des couleurs aussi proches que possible de celles d’origine. Et avec le vent qui les fait bouger, j’ai vraiment essayé d’évoquer la séquence du léopard". En se tournant sur le côté, on remarque, estampillé sur le bois, le titre de l’œuvre, en caractères qui rappellent les marques utilisées dans l’industrie alimentaire. C’est une sorte de lien avec les traditions de notre pays. "J’ai aimé donner ce caractère de marquage au feu. Lorsque j’ai commencé à travailler dans les années 1990 à New York, j’ai commencé à réinterpréter notre culture à travers la nourriture. J’ai voulu renouer avec cette expérience, j’ai pensé au lettrage du parmesan, et j’ai donc créé ces brûlures avec un brûleur de cuisine".

Michele Chiossi, Marble Exquise
Michele Chiossi, Marbre Exquise (2017 ; marbre Breccia Capraia, bois, acier, éventails et dentelle, 220 x 140 x 60 cm). Ph. Crédit Finestre Sull’Arte


Un fotografamma dalla sequenza iniziale del Gattopardo
Une photographie tirée de la séquence d’ouverture du Léopard.

Dans le texte critique accompagnant l’exposition à Carrare au Palazzo Binelli(Carrara Subabstraction le titre, organisée par Nicola Ricci Contemporary Art), le critique Marco Bazzini note combien Marble Exquise est également imprégnée de cette double abstraction qui caractérise toutes les œuvres exposées. Le premier niveau est celui du rideau qui, avec sa trame, constitue uneabstraction géométrique. Et puis il y a le marbre, avec ses veines qui donnent lieu à uneabstraction “organique”. Une abstraction qui amène notre imagination à voir, dans ces veines, tout ce que notre imagination nous suggère: nuages, paysages, personnages, histoires, cartes. C’est encore notre inconscient qui est le moteur de l’expérience et qui fait de l’abstraction une chose extrêmement subjective. Une double abstraction qui peut avoir plusieurs significations: ce peut être une manière d’offrir à l’observateur une clé, même assez ironique, pour regarder l’art abstrait de toutes les époques avec un œil différent et renouvelé. On peut y voir l’idée, dans un goût plutôt nouveau réaliste, d’insérer une sorte de porte à travers laquelle l’imagination de l’observateur est stimulée pour imaginer ses propres paysages de marbre. Ce peut être une manière d’ouvrir des fenêtres mentales mais aussi physiques, avec un effet accentué par la présence concrète et récurrente des rideaux et des grilles. C’est une quête très lyrique et poétique qui révèle une grande sensibilité. “Mes collègues peintres, poursuit Michele Chiossi, m’ont toujours dit que pour eux le tableau est toujours une fenêtre qui peut aussi devenir un espace sur le mur. Et cet espace ouvre des fenêtres à travers lesquelles on peut observer un monde fait de tout ce qui peut être vu et interprété”.

Toutes les œuvres de la série Subabstraction ne sont rien d’autre que de minces plaques de marbre de dix centimètres d’épaisseur, enveloppées dans cette dentelle au motif géométrique régulier. L’un des traits typiques de l’art de Michele Chiossi (il a l’habitude de l’appeler sa “marque de fabrique”) est la ligne en zigzag qui brise les contours de ses figures et qui est chargée de significations symboliques faisant référence à la recherche artistique, à la pratique créative, à la coexistence de l’ancien et du contemporain et à la variété multiforme de nos existences. Dans ces œuvres, la ligne en zigzag prend des allures d’hommage, car le motif de toutes les dernières œuvres de Michele Chiossi n’est autre que la grille que le grand Carlo Scarpa a dessinée en 1963 pour les portes d’eau de la Fondazione Querini Stampalia à Venise. L’architecte a été sollicité pour rénover les salles du rez-de-chaussée de l’ancien palais abritant le siège de la Fondation, fréquemment endommagé par les crues. Carlo Scarpa a opté pour un projet qui, au lieu d’empêcher l’eau de pénétrer dans le bâtiment, la laisse s’écouler à travers une série de cloisons qui la canalisent vers un bassin situé dans le jardin à l’arrière de l’édifice. Et pour les portes d’eau, c’est-à-dire celles qui donnent directement sur le canal, il a imaginé de grandes portes à l’intérieur desquelles il a répété le motif géométrique. Pour Michele Chiossi, il s’agit d’un hommage particulièrement cohérent avec sa manière de faire de l’art: ses lignes sont en plein accord avec les lignes brisées souvent utilisées par Carlo Scarpa. La porte d’eau est donc transférée sur des marbres, spécialement choisis pour leurs veines, ainsi que pour leurs couleurs, qui sont accentuées par les couleurs de la dentelle.

Michele Chiossi, Subabstraction - White
Michele Chiossi, Subabstraction - White (2017 ; marbre Piana Arabescato, dentelle et résine, 100 x 70 x 10 cm). Ph. Crédit Camilla Santini


Michele Chiossi, Subabstraction - Red
Michele Chiossi, Subabstraction - Red (2017 ; marbre Rouge Languedoc, dentelle et résine, 100 x 70 x 10 cm). Ph. Crédit Camilla Santini


Michele Chiossi, Subabstraction - Green
Michele Chiossi, Subabstraction - Green (2017 ; marbre Vert Guatemala, dentelle et résine, 100 x 70 x 10 cm). Ph. Crédit Camilla Santini


Il motivo geometrico
Le motif géométrique


Carlo Scarpa, Portes d'eau de la Fondation Querini Stampalia
Carlo Scarpa, Portes d’eau à la Fondazione Querini Stampalia (1963) en 2014 à l’occasion de l’exposition sur Carlo Scarpa. Crédit photo

“ Je ne voulais pas analyser le marbre d’un point de vue sculptural ”, développe l’artiste, “ mais je voulais observer l’âme du marbre, sa nature la plus intime, et je voulais la détecter ”. Il me montre un diptyque composé de deux carrés de marbre de quarante centimètres de côté, l’un mauve et l’autre couleur sauge. “Ici, j’ai voulu rendre encore plus évidente la couleur du marbre que l’on voit à travers la trame de la dentelle, et pour cela j’ai utilisé des bains de couleurs spéciaux, que j’ai choisis moi-même, afin d’accentuer certains effets du veinage, ainsi que la couleur de la matière”. Et puis il y a les dessins, où l’on retrouve cette idée de superposition: le motif de la grille d’escarpement, rendu en or et en argent sur des feuilles de papier calque, est superposé à des photographies de marbres également fortement veinés. L’effet obtenu est similaire à celui des sculptures.

Michele Chiossi attire ensuite mon attention sur une dernière œuvre, une sorte de cube de marbre décomposable, composé de plusieurs niveaux, qui symbolise le travail de l’artiste, comme une allégorie des différents niveaux d’interprétation que l’on peut donner à une œuvre, mais aussi des différentes étapes techniques du traitement des matériaux. Il l’a appelée Portego Policromo et il s’agit donc d’une sculpture qui, par son titre même, rend hommage à Carlo Scarpa. Le “portego” auquel l’artiste pense est celui de la Fondazione Querini Stampalia, auquel on accède par les portes mentionnées ci-dessus. Le motif est à nouveau celui de la grille de Carlo Scarpa. Il y a six niveaux superposés, tous en matériaux différents: un marbre statuaire, un Rosso Levanto, un Rouge Languedoc, un Portoro, un Verde Guatemala, et un niveau en albâtre blanc. Il en prend un dans sa main et le met devant ses yeux: "cette sculpture est une petite architecture pour montrer un monde à travers la grille de Carlo Scarpa. J’y vois aussi une interprétation contemporaine de cetart total caractéristique de la culture baroque. Michele Chiossi s’est posé le problème d’être à la fois peintre et architecte. Pour lui, les marbres de la série Subabstraction sont des peintures à part entière. Le motif de l’ornementation est d’origine architecturale, à tel point qu’il devient lui-même architecture dans le Portego Policromo. Et la réalisation si constante d’une telle unité, capable d’annuler les distances avec une certaine spontanéité, n’est qu’un des indices qui révèlent toute la culture et l’intelligence d’un des sculpteurs italiens les plus talentueux et les plus actuels de la scène contemporaine.

Michele Chiossi, Subabstraction - Mauve e Subabstraction - Sage
Michele Chiossi, Subabstraction - Mauve (2016 ; marbre Breccia Capraia, dentelle et résine, 40 x 40 x 4 cm) et Subabstraction - Sage (2016 ; marbre arabesque, dentelle et résine, 40 x 40 x 4 cm).


Michele Chiossi, Portego Policromo
Michele Chiossi, Portego Policromo (2017 ; marbre statuaire de Carrare, marbre Rosso Levanto, marbre rouge du Languedoc, marbre Portoro Extra, marbre Verde Guatelama, albâtre, 18 x 19 x 12 cm). Ph. Crédit Nicola Ricci Contemporary Art


Michele Chiossi mostra il Portego Policromo
Michele Chiossi montre le Portego Policromo. Ph. Crédit Nicola Ricci Contemporary Art


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