Le mythe de Junon et Argos : pourquoi tant d'yeux ornent la queue du paon


Un voyage entre le mythe et l'art : de la fascinante légende racontée par Ovide sur le paon et les yeux d'Argos offerts par Junon, aux extraordinaires interprétations baroques de Rubens, Riminaldi et De Ferrari, où la beauté animale se mêle à la puissance narrative et au symbolisme. L'article d'Ilaria Baratta.

La nature a créé de véritables chefs-d’œuvre dans le monde animal. L’un des exemples les plus étonnants est celui du paon: c’est comme si un peintre venu d’on ne sait où dans l’univers s’était amusé à peindre une infinité d’yeux sur sa queue avec une minutie extraordinaire, après avoir trempé son corps dans un bleu éclatant. Lorsqu’un paon nous fait le plaisir et le privilège de nous laisser admirer sa roue colorée, nous restons fascinés, émerveillés, nous demandant comment il est possible qu’une telle œuvre d’art ait pu être créée sur les plumes de cet animal. Pour lui, la roue est un geste de séduction à l’égard de la femelle, il se montre dans toute sa beauté pour la faire admirer : c’est pour cette raison qu’il s’est attribué l’étiquette d’oiseau vaniteux, à tel point qu’il a également tiré de son attitude le terme “se pavaner” en référence à une personne.

Selon la mythologie, par laquelle les anciens tentaient de tout expliquer, ce n’est pas un peintre qui a coloré la queue du paon avec ces formes, mais la reine des dieux, Junon, épouse de Jupiter, qui était constamment aux prises avec les infidélités du dieu du panthéon romain. En effet, les Métamorphoses d’Ovide racontent que Jupiter était tombé amoureux de la jeune nymphe Io, mais qu’il était bien conscient de la jalousie et de la méfiance de son épouse Junon. Pour tenter de dissimuler la véritable identité de la nymphe, il décide donc de la transformer en génisse blanche. Junon, cependant, ne se laisse pas facilement berner : méfiante à l’égard de son apparition soudaine et soupçonnant déjà une nouvelle tromperie de la part de son mari, elle demande à Jupiter lui-même de lui offrir la génisse en cadeau. Le roi des dieux, bien que réticent, n’ose pas s’opposer ouvertement à son épouse et, pour ne pas éveiller davantage les soupçons, accepte sa demande. La déesse, qui connaissait bien les habitudes trompeuses de son mari, décide alors de placer la génisse sous la surveillance du fidèle Argus, qui possédait une centaine d’yeux répartis sur toute sa tête. C’est précisément cette caractéristique qui rendait Argos presque invincible dans sa vigilance, car même lorsqu’il s’accordait un moment de repos, il ne fermait jamais tous ses yeux, mais seulement une partie d’entre eux, laissant toujours les autres grands ouverts. Jupiter, tourmenté par la pensée de la captive Io et désireux de lui rendre sa liberté, commence à réfléchir à la manière de tromper le gardien aux cent yeux. Il choisit alors de s’en remettre au messager divin, Mercure, qui a su allier à son intelligence le pouvoir de la parole et le charme de la musique. Jupiter lui ordonne de se déguiser en simple berger et de s’approcher naturellement d’Argos, muni d’un instrument de musique, la seringue. Mercure exécute fidèlement l’ordre : il se présente comme un humble berger et commence à jouer une mélodie qui fascine immédiatement Argos qui, comme prévu, invite le jeune homme à s’asseoir à ses côtés. Mercure, avec beaucoup d’habileté, alterne musique et récit : il raconte l’histoire de Pan et de la nymphe Syrinx, entremêlant mots et notes dans une harmonie si agréable qu’elle rend la veille d’Argos de plus en plus fatigante. L’un après l’autre, les yeux du gardien commencent à se fermer, jusqu’à ce que les derniers succombent au sommeil. C’est alors que Mercure, profitant de ce moment propice, lui coupe la tête. La jeune nymphe, toujours sous la forme d’une génisse, est désormais libre. Junon, cependant, apprenant la fin tragique de son fidèle serviteur, est profondément attristée et, pour honorer sa mémoire, décide de conserver au moins une partie de son essence. Elle recueille en effet tous ses yeux, symbole de son inlassable vigilance, et les applique sur les plumes de la queue du paon, animal sacré à ses yeux. Depuis lors, le paon porte sur sa queue ces yeux magnifiques, souvenir éternel de la dévotion et du destin d’Argos.

L’épisode mythologique est représenté solennellement dans le tableau Junon et Argos réalisé par Pierre Paul Rubens vers 1610 et conservé au musée Wallraf-Richartz de Cologne. La figure de Junon y est immédiatement reconnaissable, majestueuse, enveloppée dans une robe rouge, avec un manteau brodé d’or qui souligne son identité de reine des dieux, encore accentuée par la précieuse couronne qui entoure sa tête. Elle tient dans ses mains les yeux d’Argos, prêts à être appliqués sur les plumes de la queue du paon que l’on aperçoit entre elle et une jeune fille blonde, vêtue d’une robe bleue, qui l’aide dans cette délicate opération, probablement Iris. La tête d’Argo repose sur la robe de cette dernière, tandis que le corps du gardien gît sans vie sur le sol au premier plan. Derrière le manteau d’or de Junon, une autre jeune fille, au visage délicat et raffiné, observe la scène.

Pieter Paul Rubens, Junon et Argos (vers 1610 ; huile sur toile, 249 x 296 cm ; Cologne, musée Wallraf-Richartz)
Pieter Paul Rubens, Junon et Argos (vers 1610 ; huile sur toile, 249 x 296 cm ; Cologne, musée Wallraf-Richartz)

Trois putti espiègles animent ensuite la scène en tripotant les plumes des paons (en plus de celui qui se trouve au centre de la scène, la queue fermée parce qu’il doit encore être orné des yeux d’Argos, un autre paon, qui fait déjà la roue), introduisant ainsi cette vitalité baroque qui dilue le caractère dramatique du mythe. La composition, typique du langage de Rubens, alterne solennité et sensualité : les corps pleins et dynamiques (le dynamisme du corps inanimé d’Argos est extraordinaire), la palette somptueuse dominée par les rouges, les ors et les bleus, le contraste entre la grâce décorative des paons et le caractère dramatique du corps inanimé du gardien aux cent yeux. Le geste de Junon est pourtant à la fois solennel et tendre, alors que tout autour explose la magnificence baroque: les angelots qui jouent, la roue du paon qui se déploie, le ciel éclairé par un arc-en-ciel qui scelle la scène d’une aura d’émerveillement et de transcendance, en référence à la présence d’Iris. La mort d’Argo n’apparaît pas ici comme un événement tragique, mais comme une métamorphose: un acte destiné à survivre au-delà de la vie.

Avec une puissance narrative et visuelle, Rubens tisse en une seule image sensualité, richesse chromatique et intensité dramatique, transformant le mythe en un spectacle baroque.

“La prédominance du jaune, du rouge et du bleu dans les œuvres de Rubens de cette période a été largement attribuée à l’intérêt de l’artiste pour la théorie des couleurs, en particulier celle d’Aristote et de D’Aguilon”, écrit Marcia Pointon dans son essai Colour and Tactility : Lithic Influences during Rubens’s Period in Italy (Couleur et tactilité : influences lithiques à l’époque de Rubens en Italie). “Le jaune d’or qui prédomine dans ce tableau reflète également les jaunes dominants de la robe de saint Grégoire dans le retable de Vallicella et le parement de marbre de la chapelle Cesi, tandis que le motif élaboré du manteau royal de Junon et des queues de paons rappelle les pierres précieuses de la chapelle de saint Philippe Neri. En fait, l’acte même d’enchâsser les yeux dans les queues de paon est celui d’un artisan, transformant les yeux en ”gemmis stellantibus“ décrits par Ovide, tandis que le ”mélange perceptif“ des couleurs noté dans cette peinture rappelle le mélange des couleurs si caractéristique du marbre. La couleur des yeux est déterminée par l’iris, du nom de la déesse de l’arc-en-ciel qui assiste Junon”.

Très théâtrale est une autre œuvre sur le même thème réalisée quelques années plus tard, vers 1617, par Orazio Riminaldi, aujourd’hui conservée à la galerie Doria Pamphilj de Rome. Dans une composition évocatrice construite sur le clair-obscur, la déesse Junon se détache au centre, dans une pose à la fois dynamique et puissante, puisqu’elle s’attache à placer les yeux d’Argos sur la queue du paon qu’elle côtoie dans la pénombre. Sur sa peau blanche comme la neige et sur les amples draperies de la robe qu’elle porte, d’un rouge éclatant, une lumière dramatique est projetée, qui envahit également le torse nu d’Argos, allongé sur le sol. La jambe gauche de Junon émerge de sa robe : le corps de la déesse est en torsion ; de sa main gauche, elle saisit la queue de l’animal qui lui est sacré, tandis que de sa main droite, elle détache ses yeux de la tête de son fidèle gardien. Mercure s’envole à travers les nuages et s’éloigne après avoir obéi à la volonté de Jupiter. Il s’agit d’une “toile qui, au-delà des éléments incontestables de Manfredi”, écrit Pierluigi Carofano dans son essai Orazio Riminaldi, un artiste pisano entre caravagisme et classicisme, "trahit l’étude de la Sainte Marthe de Francesco Mochi dans la chapelle Barberini de Sant’Andrea della Valle pour la posture enjambée, d’une élégance statuaire, de la protagoniste. Mais les profils insaisissables, les yeux allongés et bistrés, les vêtements enveloppants marqués par de larges plis disposés de manière stéréométrique dans l’espace parlent d’attention pour le tableau du peintre français Régnier. Certes, Riminaldi n’abandonne pas complètement son empreinte idéaliste toscane, qui se manifeste dans le flottement peu naturel derrière les épaules de Junon, mais la disposition réaliste du tissu rouge est l’une des plus belles choses de la peinture post-caravagesque, tout comme le lent retournement de la chemise blanche sur le bras du protagoniste. Pour ces raisons, il convient de considérer Junon comme l’une des premières œuvres de Riminaldi à Rome, dense comme elle l’est en références réfléchies à la peinture actuelle, mêlées à des héritages de la fin du XVIe siècle, en particulier dans l’anatomie très dessinée d’Argo".

Orazio Riminaldi, Junon met les yeux d'Argos sur la queue du paon (vers 1617 ; huile sur toile, 220 x 147 cm ; Rome, Galerie Doria Pamphilj)
Orazio Riminaldi, Junon met les yeux d’Argos sur la queue du paon (vers 1617 ; huile sur toile, 220 x 147 cm ; Rome, Galerie Doria Pamphilj)
Gregorio De Ferrari, Junon et Argos (vers 1685-1695 ; huile sur toile, 140 x 138 cm ; Paris, Louvre)
Gregorio De Ferrari, Junon et Argos (vers 1685-1695 ; huile sur toile, 140 x 138 cm ; Paris, Louvre)

Gregorio De Ferrari, l’un des plus grands représentants du baroque génois, a également représenté un épisode des Métamorphoses d’Ovide entre 1685 et 1695 dans un tableau aujourd’hui conservé au Louvre à Paris. L’œuvre s’inscrit pleinement dans le style baroque génois de la seconde moitié du XVIIe siècle et, en la regardant, on perçoit immédiatement l’impression de mouvement continu qui traverse les figures : les corps ne sont pas rigides, mais semblent osciller, se plier et s’entrelacer dans une danse de lignes sinueuses. Une fluidité typique de De Ferrari, un artiste qui préfère les poses élégantes, capable de donner de la grâce même à une scène qui, par son sujet, est tragique. Junon, selon l’iconographie, applique les yeux d’Argos sur les plumes du paon. Deux putti apparaissent à ses côtés : l’un tient le paon dans ses mains, l’autre la tête du gardien, et tous deux tournent leur regard vers la déesse. Au premier plan, le corps sans vie d’Argos est étendu sur le sol. La lumière joue un rôle essentiel : elle n’est pas diffusée uniformément, mais se concentre sur les visages et les corps, les faisant émerger d’un arrière-plan plus sombre et plus atmosphérique. Il en résulte un effet théâtral rappelant un décor de théâtre, avec de forts contrastes entre la lumière chaude et l’ombre. La couleur contribue également à ce sentiment, avec des carnations douces et lumineuses qui se détachent sur les tons sombres du paysage. Les deux arbres aux troncs tordus qui apparaissent à l’arrière-plan rappellent Giovanni Benedetto Castiglione. En revanche, le drapé flottant de la robe de Junon a été rapproché de celui d’un ange représenté dans la Piscina Probatica de De Ferrari, tandis que la présence du paon rappelle la voûte du Palazzo Durazzo-Brignole de Gênes.

La mythologie a parfois l’extraordinaire capacité de nous faire voir le monde d’un autre œil. Ainsi, devant un paon déployant sa roue, nous voyons non seulement des plumes extraordinairement décorées, mais aussi les yeux attentifs d’Argos, rendu immortel par le geste divin de Junon.


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