Note en marge du volume de Silvia Cecchini sur la Cène de Léonard de Vinci


Compte rendu du livre de Silvia Cecchini 'Costruir su macerie. Il Cenacolo di Leonardo nella prima metà del Novecento' (Sagep Editore, 2021).

Un récit impeccable, celui de la restauration de la Cène de Léonard, que Silvia Cecchini publie dans les 333 pages, chiffre fatidique, de son ouvrage Building on Rubble, soit le même nombre de pages qu’un livre qui a fait couler beaucoup d’encre, paru il y a quelques années, sur la restauration du Moïse de Michel-Ange. Citations raffinées, écriture en excellent italien avec des extraits de textes en d’autres langues, appareil iconographique impeccable, etc. Un beau livre qui vaudra certainement à son auteur une chaire d’Ordinaire en restauration obtenue avec mérite, donc pas une de celles gagnées par un jugement du Tar comme cela se passe en Italie, comme dans certaines Républiques bananières et dans pas mal d’autres endroits du monde.

Cela dit, le livre de Cecchini, tel qu’il est structuré, semble très intéressant. Certainement pour tout ce qui précède, mais aussi pour une raison, je crois, tout à fait singulière. En effet, l’auteur semble dans son livre prendre ses distances avec la restauration en tant que discipline technique, estimant qu’il s’agit d’une affaire finie. A commencer par le titre du livre, qui n’est pas, comme on pourrait le croire, une citation d’un vers romantique de Manzoni (“Dagli atrii muscosi, dai Fori cadenti”...) ou de Foscolo (“Rapían gli amici una favilla al Sole”...), mais provient d’une chanson de Francesco Guccini. Un titre qui fait écho à celui du volume sur le roman allemand des années 50 publié il y a une dizaine d’années par Maurizio Pirro, j’imagine un autre des amis qu’elle cite inlassablement par centaines dans le livre. Mais pour en revenir au déplacement par Cecchini d’une partie importante de son travail sur la restauration de la Cène vers l’histoire culturelle, il faut dire que la tentative a été menée à bien avec un mélange d’intelligence, d’érudition et de compétence admirable. Je ne mentionne qu’en passant son ouverture au monde germanique de la psychanalyse, de la philosophie, de l’histoire de l’art: Freud, Simmel, Hoerth, Burckhardt et d’autres. Et je souligne aussi son orientation vers le cinéma. Ėjzenštejn, par exemple, dont l’admiration pour Léonard et l’intérêt pour le “montage” d’un film sur la “Cène” réalisé en 1934 par l’un de ses brillants élèves, Constantin Pepinashvili.

Mais c’est avec une longue réflexion sur un texte de Walter Benjamin que Cecchini entre résolument dans l’histoire culturelle. Elle cite en effet un passage des écrits du philosophe allemand dans lequel celui-ci affirmait qu’en 1927 Abel Gance avait vu dans le cinéma l’instrument d’une future résurrection des morts, Shakespeare, Rembrandt, Beethoven... ; concluant, toujours selon Benjamin, que Gance invitait ainsi à la liquidation de la valeur traditionnelle du patrimoine culturel. Une citation inhabituelle, à l’instar de l’ensemble du livre. Mais un siècle plus tôt, Hegel avait déjà parlé, non pas de la liquidation de la valeur traditionnelle de l’héritage culturel, mais directement de la fin de l’histoire. Un thème auquel Alexandre Kojève a donné une forme définitive dans les légendaires conférences sur la Phénoménologie hégélienne de l’esprit qu’il a données entre 1933 et 1939 à l’École pratique des Hautes Études à Paris.

Couverture du livre
Couverture du livre “Building on Rubble. La Cène de Léonard dans la première moitié du XXe siècle” de Silvia Cecchini

Dans son livre, Silvia Cecchini ne parle pas non plus de restauration. Au contraire, en commençant par la Cène, elle écrit une histoire concise, excentrique et intéressante de la restauration. Pour les premières interventions, elle reprend les quatre volumes inégalés sur Vinci publiés en 1810 par Giuseppe Bossi, ceux-là mêmes que Skira a réédités à juste titre il y a quelques années, et raconte ensuite tout ce qui s’est passé par la suite. Il s’arrête cependant en 1977, date à laquelle Pinin Brambilla a commencé sa restauration de la Cène, qui a duré 20 ans. C’est regrettable, car Brambilla, grâce aussi à la direction de travail de Carlo Bertelli et de l’Institut central de restauration (Icr) dirigé à l’époque par Urbani, a réalisé l’une des interventions sur la Cène les plus éduquées sur le plan esthétique et les plus intelligentes sur le plan conservateur de tout le XXe siècle.

Je répète, une histoire particulière de la restauration à partir de la Cène, celle écrite par Cecchini, qui commence, pour le dire très brièvement, avec les restaurateurs lombards - des restaurateurs comme Molteni, Pellicioli ou Della Rotta, pour ne citer que les plus connus - qui utilisaient néanmoins la soude caustique très agressive dans les rivières pour nettoyer les tableaux, comme Cecchini ne le sait peut-être pas, mais comme il est au contraire utile de le rappeler. Des restaurateurs qui, dans les années 30, ont travaillé avec un grand surintendant, Ettore Modigliani, écarté du Cenacolo à cause des infâmes lois raciales et remplacé par Guglielmo Pacchioni. Puis l’histoire du bombardement de la Scala, de la Sala delle Cariatidi du Palazzo Reale ou de la Galerie pendant la Seconde Guerre mondiale (il manque cependant la Basilique de Sant’Ambrogio, sur la restauration de laquelle Davide Borsa a beaucoup écrit) et de leur renaissance. Et encore, dans un long chapitre, Cecchini rappelle les grands mérites d’une autre surintendante, Fernanda Wittgens, collaboratrice de Modigliani dans les années 30 et figure injustement méconnue alors qu’elle a joué un rôle décisif dans la renaissance de Milan après la fin de la guerre. L’auteur rappelle également les rapports tendus entre Brandi, c’est-à-dire l’Icr, et Longhi, qui laisseront une ombre pendant des décennies non seulement sur la restauration, mais aussi sur l’action de protection en Italie, favorisant la formation de son actuel et de plus en plus grave retard culturel. C’est ici que je termine mon examen du bon livre de Cecchini, avec deux notes d’ordre général.

L’un des mérites de Costruir su macerie (Construire sur les décombres ) est la présence extrêmement riche de figures excentriques et de faits divers au Cenacolo pour leur extension non seulement à l’histoire de la culture, mais aussi à l’histoire politique et civile milanaise et italienne entre le fascisme et l’antifascisme. Mais les centaines et les centaines de faits et de noms disparates que l’auteur cite désorientent. Ils deviennent ainsi un point critique du livre parce qu’ils sont, du moins à mon avis, trop nombreux. Un excès de noms, de Sartre à Togliatti, Walt Whitman, Vittorini, Henry Miller, Banfi, Saitta, Albe Steiner, Fortini, la prison de San Vittore et même Walt Disney, qui se reflète également dans la bibliographie générale de plus de quatre cents titres, dont certains sont fondamentaux, beaucoup moyens derniers et beaucoup directement inutiles parce que médiocres. Bref, une confusion qui rappelle inévitablement le célèbre dicton de Talleyrand:"Tout ce qui est excessif c’estsans importance".

Un autre point critique est celui où l’histoire de la culture prend la main de Cecchini et lui fait écrire des choses inexactes sur cette chose très sérieuse qu’est la conservation planifiée, dont tout le monde parle, mais dont personne ne sait vraiment ce que c’est, mais dont la mise en œuvre est financée à grands frais par un ministère de plus en plus incapable de distinguer le bon grain de l’ivraie. Dans notre cas, Cecchini a dit qu’elle était le résultat de discussions au début des années 50 sur la Cène et qu’elle était née du désir d’Urbani d’“ouvrir une voie qui réduirait au moins quantitativement l’”ombre historique“ que les restaurations philologiques brandiennes (et crocéennes) laissent sur les œuvres”. En effet (et je dis bien “en grand”), en suivant le diktat entre l’historicisme et l’esthétique de Croce, les repeints et toutes les autres manipulations non originales sont éliminés des œuvres, laissant en l’état les lacunes qui avaient été auparavant “colmatées” par des retouches. La continuité formelle du texte figuratif original est ainsi déconstruite, ce qui le rapproche de l’absence de forme de l’art abstrait, et donc du goût de notre époque.

Léonard de Vinci, Cène (1493-1498 ; tempera sur plâtre, 460 x 880 cm ; Milan, Santa Maria delle Grazie)
Léonard de Vinci, Cène (1493-1498 ; tempera sur plâtre, 460 x 880 cm ; Milan, Santa Maria delle Grazie)

Or, ce n’est pas le cas. En effet, la conservation planifiée n’a rien à voir avec les “ombres historiques”. Il s’agit en fait d’une “technique” (Heidegger) qui est née lorsque l’inondation de Florence du 4 novembre 1966 a montré de manière dramatique comment le formidable changement socio-économique qui a eu lieu en Italie après la Seconde Guerre mondiale avait rapidement engendré un grave problème environnemental dans le pays. Un problème qui a attaqué le patrimoine artistique dans son ensemble, surmontant ainsi d’un seul coup tout problème de restauration critique-esthétique brandienne des œuvres individuelles, y compris son “ombre historique”, et obligeant les surintendances à s’attaquer au véritable problème de la protection en Italie. Comment sauvegarder la caractéristique qui rend notre patrimoine historique et artistique unique au monde. Son indissolubilité par rapport à l’environnement dans lequel il s’est stratifié sans fin au cours des millénaires. C’est ce qu’a immédiatement compris l’Icr, qui s’honore de la loi 1240/39, encore en vigueur à l’époque, en tant qu’organisme chargé “d’effectuer des recherches scientifiques visant à perfectionner et à unifier ses méthodes [et] d’étudier les moyens techniques pour la meilleure conservation du patrimoine historique et artistique national”. Pour ce faire, elle développe une organisation méthodologique, c’est-à-dire une “technique” (Heidegger), qui lui permet de conserver de manière préventive et programmée le patrimoine artistique dans sa totalité et dans le rapport de cette totalité avec la totalité de l’environnement.

La technique de la “conservation programmée”. C’est-à-dire la technique qui a eu sa première - et jusqu’à présent unique - application entre 1966 et 1967 dans la Citronnelle de Boboli réalisée par l’Institut de Physique Technique de l’Université de Rome pour pouvoir opérer avec l’Icr une déshumidification très lente et programmée des planches inondées par l’exode de l’Arno. Une restauration qui a été effectuée sans toucher aux œuvres, mais en évitant simplement que le bois des planches, se rétractant trop rapidement, ne fasse tomber au sol la pellicule picturale des tableaux. Surmontant ainsi d’un coup la solution que la surintendance florentine voulait mettre en œuvre de retirer le film des peintures du support en bois et de le coller sur un nouveau support en résine de polyester, c’est-à-dire de “transporter” les panneaux. Cette intervention présentait de graves lacunes sur le plan de la conservation et des techniques artistiques.

Enfin, pour remercier Cecchini du cadeau qu’elle nous a fait avec son volume, je vous laisse une anecdote pour le livre que vous écrirez sur l’histoire de la Cène après 1977. Je pars d’une hypothèse. Giovanni Urbani considérait Giovanni Spadolini et Giulio Carlo Argan comme les principaux architectes de l’énorme retard culturel de l’action de conservation en Italie. Le journaliste florentin pour avoir fondé en 1975 un ministère des Biens culturels reprenant le modèle de la Direction générale des antiquités et des beaux-arts fondée un siècle plus tôt, en 1875, fondant ainsi un ministère sans aucune perspective d’innovation et de développement. Le second, l’historien de l’art piémontais, pour s’être obstiné à maintenir en vie la loi de protection 1089, c’est-à-dire une loi conçue pour l’Italie fasciste archaïque de 1939, d’où est absente toute indication ou même une simple allusion à d’autres modalités possibles d’exercice de la protection que celle des notifications, des contraintes et de tout ce qui n’est que négativement mesuré. Des outils certes nécessaires, mais uniquement lorsqu’ils sont appliqués en fonction d’une finalité conservatrice ou évaluative très précise à atteindre dans des délais et selon des modalités définis au cas par cas. Et voici l’anecdote.

Tôt un matin, je me trouve dans le bureau d’Urbani à l’Icr. Le téléphone sonne. C’est Argan qui demande les raisons du retard dans la restauration de la Cène. Urbani lui explique les grandes difficultés que pose cette intervention. Argan lui répond: “Il faudrait peut-être faire des recherches chimiques plus fines”. Et Urbani: "Ecoutez, professeur, si nous faisions les recherches dont vous parlez, nous trouverions des centaines de substances, colles, œufs, huiles, résines, couleurs, etc. appliquées au hasard dans les cent interventions que le tableau a subies au cours des siècles. En d’autres termes, nous trouverions un traité de mercéologie.


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