Entretien exclusif avec Nicolas Bourriaud : "L'art relationnel est toujours vivant". Bientôt une exposition au MAXXI


Ces derniers jours, le critique français Nicolas Bourriaud, à qui l'on attribue le développement du concept d'"esthétique relationnelle", était à Rome pour l'ouverture de la biennale BAAB. Raja El Fani l'a rencontré pour un long entretien au cours duquel il a parlé de l'art relationnel, de BAAB et de la prochaine grande exposition au MAXXI à Rome, la première rétrospective sur l'art relationnel.

À Rome, une ouverture un peu impatiente mais positive de la nouvelle saison artistique avec le premier rendez-vous d’exposition de la capitale à la galerie Basement des fondateurs du magazine d’art Cura, Ilaria Marotta et Andrea Baccin, qui ont donné le coup d’envoi de la première édition de leur biennale appelée BAAB, Basement Art Assembly Biennale, le 10 septembre 2025, en misant sur un format dynamique, bien que déjà bien éprouvé, avec des délocalisations, des performances et une longue durée. Plusieurs événements et lieux sont prévus jusqu’en novembre.

Parmi les artistes exposés, Carsten Höller et son distributeur de pilules, David Horvitz et son jardin social, Davide Balula et son cocktail maison à base de vodka et d’herbes, servi par de jeunes barmans derrière un comptoir carrelé de blanc des bars d’autres artistes, Calla Henkel et Max Pitegoff, puis Claudia Comte et ses courbes optiques, Jeremy Deller et son documentaire sur une sociologie britannique un peu didactique, Hannah Black et son affichage politique, et enfin l’ alternative but.... t-à-porter alternative mais instrumentale de Mattie Barringer et Amanda McGowan du collectif Women’s History Museum.

Parmi les consultants de ce projet de Biennale, et à mon avis peut-être aussi un peu un témoignage, se trouve le légendaire Nicolas Bourriaud (Niort, 1965), inventeur de l’esthétique relationnelle théorisée dans les années 1990 et qui a surpris le tout Paris et le monde en investissant le Palais de Tokyo, alors délabré, sur commande officielle, avec le co-commissaire Jérôme Sans et les architectes Lacaton & Vassal, avec une formule d’exposition jamais expérimentée dans un musée d’Etat, entre 2002 et 2006. J’ai assisté à l’ouverture historique, en janvier 2002, du Palais de Tokyo, qui allait instantanément devenir un lieu incontournable du monde de l’art contemporain (et au-delà) dans la capitale française, supplantant d’un coup le Centre Pompidou, plus en vogue. Je sais l’impact qu’a eu l’ouverture du Palais de Tokyo sur les plus jeunes (j’étais alors étudiante à la Sorbonne), ce musée ouvrant inopinément les portes à notre envie de créer et de bouger dans un Paris que nous voulions tous conquérir et marquer. Une adhésion spontanée et une affluence continue qui ont surpris même les conservateurs et qui ont transformé cette ouverture qui a duré cinq jours et cinq nuits en une fête perpétuelle.

À l’intérieur, il y avait beaucoup de béton, de grands espaces et surtout l’ingrédient clé : l’imprévisibilité à chaque tournant, le chaos, que tant de gens essaient encore de reproduire aujourd’hui. Je me souviens d’un petit-déjeuner-brunch avec des montagnes d’oranges pressées servies à tout le monde dans le hall central, et de notre enthousiasme, nous la génération X déchaînée, à réaliser sans besoin d’explication qu’il s’agissait aussi d’une œuvre d’art à expérimenter, une œuvre qui se réalisait sous nos yeux et aussi grâce à nous. Toute l’ouverture diluée dans le temps était une œuvre accueillante et inclusive, faite pour nous et réellement ouverte à notre présence active. A ce moment-là, la théorie de Nicolas Bourriaud a gagné le pari et a fait de la culture ou de la “permaculture” pour reprendre un terme qui lui est cher.

Revoir Nicolas Bourriaud ici à Rome, où il présentera dans un peu plus d’un mois sa première rétrospective sur l’art relationnel au Maxxi, est à la fois une émotion, un honneur et une fierté pour Rome, qui sanctionne et participe ainsi à l’historicisation d’un mouvement global des trente dernières années qui, sans Bourriaud, serait resté indéfini et amalgamé au post-modernisme, sans objectif ni direction. Avec le concept d’Art Relationnel, Bourriaud a inauguré non pas un courant ni une avant-garde mais une saison globale de l’art contemporain, qu’il compare dans cet entretien à la saison mondiale du Pop Art.

Nicolas Bourriaud. Avec l'aimable autorisation de BAAB
Nicolas Bourriaud. Avec l’aimable autorisation de BAAB

REF. Nous nous sommes rencontrés à Rome en 2018 lors de sa conférence au musée d’art contemporain Macro Asilo, alors dirigé par l’anthropologue Giorgio De Finis. Vous êtes récemment revenu à Rome pour parler de vos dernières réflexions sur l’Anthropocène au musée Maxxi. Qu’est-ce qui vous ramène aujourd’hui à Rome ?

NB. Ce qui me ramène à Rome, ce sont les personnes qui ont fondé le magazine CURA, Ilaria Marotta et Andrea Baccin, qui m’ont demandé de rejoindre le comité de pilotage de BAAB, cette idée de biennale que je voulais soutenir. Je trouve très important qu’il y ait des initiatives privées qui contribuent à donner de l’espace à de jeunes artistes, y compris internationaux, en leur permettant d’exprimer leur point de vue sur l’art contemporain. Je pense donc être pleinement dans mon rôle en venant ici pour soutenir cette initiative.

Votre rôle est-il aussi de structurer BAAB, un projet de biennale d’art romain dilué dans le temps et dans la ville ?

Non, je fais partie du conseil consultatif, mais seulement depuis cette année.

S’agit-il de la première édition ?

Oui, nous verrons comment elle évolue. J’ai écrit un texte pour le catalogue et j’espère participer à cette aventure.

Il s’agit donc d’une collaboration à long terme ?

Oui, car lorsqu’on est membre d’un conseil d’administration, on soutient la structure.

De quelle manière exactement ?

En partageant votre expérience, en donnant votre avis.

Avez-vous également partagé votre réseau de contacts, d’artistes ?

Oui, bien sûr.

Qu’avez-vous apporté à cette première édition ?

Pour l’instant, pas grand-chose. Il ne s’agit pas de participer à quelque chose de circonstanciel ou à un événement. Il s’agit d’accompagner le projet dans son développement et sa durée.

Avez-vous été contacté longtemps à l’avance par Ilaria et Andrea, qui sont également les fondateurs de la galerie romaine Basement ?

J’ai été contacté cette année, précisément pour aider dans une perspective à long terme.

Qu’est-ce qui vous a convaincu exactement ?

J’ai trouvé le projet intéressant et j’ai pensé qu’il allait dans la bonne direction.

Veuillez expliquer le projet en vos propres termes. Cette biennale s’intitule “Basement Art Assembly Biennale”, dont les initiales forment le mot arabe BAAB, qui signifie “porte”.

J’aime l’idée de sous-sol, c’est-à-dire d’occuper des espaces non évidents pour exposer des œuvres d’art.

Cela répond-il à vos critères d’exposition ?

Pas tout à fait, mais je pense que le projet est intéressant.

Le “basement” en anglais est donc un concept qui vous tient à cœur ?

Oui, il me parle. Je pense qu’il peut se dérouler dans d’autres lieux à l’avenir, se développer, grandir.

Avez-vous déjà en tête des lieux spécifiques à Rome où cette biennale pourrait avoir lieu ?

Je ne sais pas, nous en discuterons un peu. Nous n’avons pas encore rencontré les organisateurs.

J’imagine que vous allez étudier la ville de Rome en profondeur, ses problèmes et son potentiel.

Je suis venu souvent à Rome ces deux dernières années. J’y étais déjà allé auparavant, mais plus particulièrement ces deux dernières années parce que je travaille sur une exposition qui se tiendra au musée Maxxi à partir du 28 octobre 2025.

Quel sera le thème de cette exposition ?

L’exposition s’intitule 1+1 (One Plus One) The Relational Years, et il s’agit d’une sorte de rétrospective, d’une réflexion méditative sur ce qu’était l’esthétique relationnelle dans les années 1990 et sur son développement dans les années suivantes.

S’agira-t-il de la première grande rétrospective sur votre esthétique relationnelle ?

Oui, une exposition rétrospective sur la relation. Cela justifie donc ma présence ici.

Bartolomeo Pietromarchi, qui a dirigé le Maxxi, est présent ce soir à l’ouverture de la Biennale.

Je connais beaucoup de monde à Rome.

Qu’est-ce qui vous attire particulièrement dans cette ville, la capitale italienne ?

Ce qui m’intéresse à Rome, c’est, un peu comme à Paris, le fait que ce sont des villes qui ont un immense passé et qu’elles doivent apprendre à le gérer pour produire un avenir. Je pense que, comme le disait André Malraux, “on marche mal dans le vide”. On marche donc mieux sur un terrain habité par des gens, habité par des événements. Et je pense que l’art contemporain ne doit pas couper les ponts avec le passé. Au contraire, il doit apprendre à le valoriser et à le rendre présent.

Votre esthétique relationnelle a déjà trente ans. Doit-on la considérer comme un idéal du passé ?

Non, car ce qui est intéressant, c’est qu’il y a encore beaucoup de jeunes artistes qui se reconnaissent dans ces idées. Des idées qui ne sont pas forcément datées. Même si elle a trente ans ou plus, une esthétique peut avoir des prolongements, un avenir, de nouvelles applications.

Une fois théorisée, en effet, il faut du temps pour qu’une esthétique soit assimilée et fasse son chemin dans les pratiques artistiques.

Une théorie doit être vécue par des artistes, développée par des artistes, réalisée par des artistes.

L’esthétique relationnelle s’est répandue parmi les artistes du monde entier depuis ses premières réflexions publiées en France dans les années 1990. Qui sont aujourd’hui ceux qui se réfèrent à cette esthétique ?

Ils sont nombreux aujourd’hui. Au Bangladesh, le Britto Arts Trust, au Brésil, Opavivará, ce sont des collectifs. Cela s’est beaucoup développé dans le sens d’une production collective. La dernière Documenta, celle de 2022, était entièrement dédiée à cela. C’était une sorte d’hommage à l’esthétique relationnelle, en quelque sorte. Le collectif Ruangrupa, commissaire de cette édition de la Documenta, a travaillé à partir d’un concept appelé Lumbung. Le Lumbung est la grange à riz collective d’un village indonésien. Je pense qu’il s’agit d’une extension extraordinaire de cette idée d’esthétique relationnelle.

Et ici, à Rome, en particulier, avez-vous remarqué des tendances relationnelles ?

À Rome, à Paris, à Berlin, à New York, il y a toujours des gens qui s’y réfèrent. Le prolongement le plus évident de cette esthétique est l’esthétique du care, c’est-à-dire de la prise en charge.

Prendre soin : nous sommes dans le domaine de l’affectif. Est-ce un aspect que vous aviez déjà identifié au début de votre théorie sur l’art relationnel ?

Ce n’est pas un aspect nouveau, il était déjà présent dans le livre [nda : L’Art Relationnel, 1998]. Une artiste appelée Christine Hill disait qu’elle essayait de réparer les fractures du corps social. De nombreux artistes travaillaient également sur les dimensions émotionnelles, sur les relations humaines, comme Noritoshi Hirakawa au Japon et bien d’autres. Donc ce n’est pas nouveau, c’est une facette de l’esthétique relationnelle qui a été beaucoup plus exploitée par la société contemporaine, et qui correspond à une sociabilité actuelle, dans la mesure où, par exemple, l’esthétique queer aujourd’hui est traversée par l’émotionnel, par le besoin de prendre soin, de cultiver une certaine émotivité. C’est quelque chose que je vois un peu partout, donc pour moi il ne s’agit pas de nouveautés, il s’agit de développements.

L’émotionnel n’est pas tout à fait la même chose que l’affectif.

Oui, je trouve que c’est le cas.

Nicolas Bourriaud lors de l'inauguration de BAAB. Photo : Niccolò Campita
Nicolas Bourriaud lors de l’inauguration de BAAB. Photo : Niccolò Campita

Qu’est-ce qui distingue le relationnel des relations publiques, du networking ou du lobbying, pour reprendre des termes managériaux qui se pratiquent partout ?

La définition que j’ai donnée de l’esthétique relationnelle est la suivante : un art qui prend la sphère des relations humaines comme base théorique et pratique. Et tout ce dont je viens de parler y correspond. C’était une définition assez générale, comme le “Pop Art” dans les années 1960.

Le Pop Art est le contraire de l’émotionnel et du relationnel.

Totalement, dans la mesure où il est basé sur la consommation de masse, sur le produit, sur la publicité. Mais si vous regardez tout ce que le Pop Art a influencé dans les années 1960 (que ce soit au Brésil, en Espagne ou en Italie), il y a des choses qui ne ressemblent pas nécessairement à Warhol ou à Rosenquist, mais qui appartiennent d’une manière générale à la sphère du Pop Art. Je pense que l’esthétique relationnelle, c’est un peu la même chose. C’est une base à partir de laquelle de nombreux artistes ont développé leurs propres intérêts, leurs propres questions. Et c’est formidable de voir cela, trente ans plus tard.

Dans le texte que vous avez écrit pour le catalogue BAAB, vous partez de l’étymologie de curating, qui vient du verbe “curare”, prendre soin des artistes, des œuvres. L’art relationnel est-il aussi une curation des sentiments ?

C’est un jeu de mots qui fonctionne particulièrement en italien. En italien, on a la mémoire de l’étymologie. En français, nous ne l’avons pas. En anglais, pas grand-chose.

Peut-être même pas au niveau social.

Pas même au niveau social, oui.

Pourtant, vous avez dit tout à l’heure que vous trouviez Paris et Rome semblables, alors qu’il serait plus naturel de penser que, au moins sur le plan émotionnel, Rome a beaucoup plus à offrir que Paris. L’Italie en général a une culture méditerranéenne, plus chaleureuse et plus accueillante, où l’affection est encore très ancrée.

J’ai tendance à penser qu’il s’agit de concepts très partagés dans toute l’Europe. Je ne pense pas que le concept d’attention ou de soin soit spécifiquement lié à Rome. C’est quelque chose que je vois souvent à Paris aussi. Paris a changé, après tout. Elle a beaucoup changé au cours des dix dernières années.

Selon vous, qu’est-ce qui a fait changer Paris sur le plan émotionnel ?

Il y a beaucoup plus de collectifs. Il y a des questions qui sont aussi importantes à Paris qu’à Rome. Je pense que le thème de l’attention, du “prendre soin”, et le thème de l’Anthropocène sont tout aussi pertinents à Paris qu’à Rome. Nous vivons aujourd’hui dans des sociétés post-industrielles, toutes affectées et influencées par les mêmes dynamiques. Je pense que le problème de l’Anthropocène, par exemple, est aussi important à Rome qu’à Berlin ou à Paris.

Lors de sa conférence au Maxxi, il a parlé de la fin de la distance - que j’interprète comme la fin de la vie privée et de l’intimité - comme la principale conséquence de l’instantanéité, de la mondialisation, de la surpopulation et du changement climatique. Il a dit que nous vivons une saturation de l’espace commun. Comment expliquez-vous que, malgré cette saturation, nous parvenions encore à créer des collectifs, en l’occurrence des amitiés ? Comment la sphère affective peut-elle survivre aujourd’hui, malgré tout ?

Elle est de plus en plus menacée par les conditions de vie imposées à tous les êtres humains dans le monde occidental. En Italie, en France, en Allemagne, en Espagne, autant de réalités où les choses ne diffèrent guère. C’est l’économie capitaliste qui génère des valeurs qui influencent le monde entier.

Ne trouvez-vous pas que la France est plus touchée par le capitalisme que l’Italie, sur le plan émotionnel ?

Non, je ne pense pas. Je n’ai pas du tout cette impression.

Selon vous, rien ne distingue donc la société italienne de la société française sur ce plan ?

Il y a beaucoup de choses qui les distinguent culturellement, mais pas à ce niveau. Ce sont toutes deux des économies capitalistes qui visent à tout uniformiser. Alors c’est à chacun de répondre, de s’opposer, de trouver des moyens d’échapper aux normes. Je suis très heureux d’être en Italie parce que, culturellement, bien sûr, c’est très différent de la France.

Qu’est-ce qui distingue les deux cultures ?

Ce serait une très longue discussion ! L’histoire de ce pays n’est pas la même que celle de la France, et il y a des différences de culture.

Le christianisme est peut-être à l’origine de cette différence relationnelle.

La France est aussi un pays très chrétien.

Mais on sent beaucoup moins le poids du christianisme à Paris qu’ici à Rome près du Vatican.

C’est vrai. Il est vrai qu’en France, l’athéisme est beaucoup plus déclaré et que la séparation de l’Église et de l’État en 1905 a créé un contexte très différent de celui de l’Italie.

Ici, l’athéisme reste un concept assez abstrait, pas encore totalement assimilé.

Certes, mais on ne peut pas dire que la France ne soit pas un pays profondément catholique.

En Italie, le lien familial reste très fort, ce qui donne une expérience relationnelle apparemment plus affectueuse.

Il est moins prononcé en France parce que, depuis le début du XXe siècle, le pays est organisé autour de la famille mononucléaire, alors que l’Italie est restée jusqu’aux années 1980-1990 fortement dominée par une structure familiale polynucléaire, accueillant par exemple les grands-parents, avec une vision plus élargie de la famille. Mais ce sont des faits sociologiques. Ce qu’ils produisent sur le plan artistique est une autre affaire.

Qui sont les personnes de votre famille élargie ici en Italie ?

Des personnes, des individus. Avec qui j’ai partagé des moments, une histoire, et que j’aime rencontrer régulièrement.

Des personnes qui font partie de votre aventure relationnelle ?

Bien sûr, aussi.

Nicolas Bourriaud lors de l'inauguration de BAAB. Photo : Raja El Fani
Nicolas Bourriaud lors de l’inauguration de BAAB. Photo : Raja El Fani

Qu’est-ce qui a changé dans votre théorie depuis la sortie de votre premier livre sur l’art relationnel jusqu’à vos publications les plus récentes sur l’Anthropocène ?

Il y a eu un changement évident. Au début des années 2000, lorsque Paul Crutzen a inventé le concept d’“Anthropocène” et a clairement montré l’impact de l’industrie humaine sur le climat, il y a eu une prise de conscience générale. Cela s’est reflété, par exemple, dans le travail d’artistes comme Pierre Huyghe.

Vous citez souvent Pierre Huyghe.

Oui, car nous avons eu un parcours similaire.

Est-il votre alter ego ?

J’ai tendance à le penser, oui. Il s’est beaucoup intéressé aux relations interhumaines dans les années 1990-1995.

Il ne l’a pas apporté avec lui ce soir.

Non, mais il sera dans l’exposition Maxxi. Comme moi, Pierre Huyghe a compris qu’on ne pouvait plus se limiter à la sphère interhumaine. Les relations incluent aussi le non-humain, autrement dit : on ne peut plus parler de relations sans penser aux liens qui nous unissent aux animaux, aux minéraux, à la vie bactérienne... à la vie en général.

Il a même ajouté qu’aujourd’hui, on ne peut plus acheter un simple pot de Nutella sans être conscient de son impact sur l’environnement, à savoir qu’il contribue à la déforestation en Indonésie, par exemple.

Oui, l’effet papillon est devenu une réalité concrète.

Ne peut-on plus échapper à cette prise de conscience, même en niant l’impact écologique ?

Non, on ne peut plus. Et cela a fait évoluer l’esthétique relationnelle. J’ai beaucoup écrit sur ce que j’ai appelé “l’esthétique relationnelle intégrale”, qui est l’ensemble des relations que nous entretenons avec le vivant. Elle repose sur une idée fondamentale, à savoir qu’il n’y a pas de relations entre un sujet humain et des objets, mais seulement des relations entre des sujets. Le vivant a une “agentivité” : tous les éléments vivants sont des agents de la vie dans laquelle nous sommes immergés. Nous ne pouvons plus nous limiter à la sphère des relations entre les seuls êtres humains : nous devons intégrer la totalité des sujets existants. Nous voyons maintenant le monde d’une manière complètement différente.

Ne trouvez-vous pas que cela ressemble, d’une certaine manière, aux principes catholiques d’amour universel ?

Non, le catholicisme est basé sur l’idée exactement inverse. Dans la Genèse, on trouve la fameuse phrase selon laquelle les êtres humains régneront sur toute la Création. Animaux, plantes : tout devrait être l’objet de l’homme.

Pourtant, le message de Jésus-Christ s’adresse à tous. Cela me fait également penser au Cantique des créatures de saint François.

Le message du Christ ne s’adressait qu’aux êtres humains, absolument pas au reste du vivant.

L’idée de l’amour chrétien était donc un peu plus limitée ?

Très limitée, mais c’était déjà quelque chose, pourrait-on dire.

Vous avez donc délibérément évité le mot “amour” dans votre théorie relationnelle ? Auriez-vous pu l’appeler l’esthétique de l’amour ?

J’ai évité le terme “amour” parce qu’il est trop galvaudé, trop catholique. Le catholicisme est une entreprise de soumission du vivant au profit de l’être humain. C’est clairement écrit dans la Genèse, je n’invente rien.

Faut-il éviter de parler d’amour aujourd’hui ?

Non pas l’éviter, mais ne pas le revendiquer non plus comme terme d’une esthétique. J’utilise le terme “amour” dans le cadre de la permaculture.

Expliquez-nous quelle est la place de l’amour dans l’art relationnel.

La permaculture est la reconstruction de tous les liens existants au sein d’un écosystème. La notion de philia, qui en grec est une des formes de l’amour, est omniprésente. C’est ainsi que je relie l’amour à l’art contemporain. L’œuvre d’un artiste n’est pas une série d’objets, c’est un écosystème.

Cela signifie-t-il que pour créer une œuvre d’art, il faut être un groupe ?

Un écosystème n’est pas un groupe, mais un système qui se nourrit de lui-même et se densifie. Et cette densification, c’est précisément l’œuvre d’art.

L’œuvre d’art est donc l’ensemble des relations d’un artiste.

C’est la production de relations entre les différentes parties de son œuvre.

J’ai du mal à comprendre selon votre théorie comment distinguer, par exemple un artiste comme Jeff Koons (une star avec une sphère d’influence exagérée) d’un artiste qui a un impact réel, proportionné et plus authentique sur son entourage et son environnement.

C’est peut-être là qu’un artiste comme Jeff Koons pêche ! C’est là qu’il y a un problème... quelle que soit la manière dont il faut l’envisager, je n’en suis pas sûr. Mais je pense que chaque artiste, du moins ceux qui m’intéressent, travaille par densification de son écosystème, et non par simple addition. Cette densification est l’enrichissement d’un écosystème, dans lequel les choses se répondent. Chez Picasso, les œuvres se répondent, il y a une densification des mêmes thèmes. Ce n’est pas une addition de thèmes, c’est une réflexion sur l’écosystème.

Quels sont les artistes comme Picasso que vous avez pu identifier aujourd’hui ? Sont-ils tous vos amis ?

Non, je ne les connais pas tous. Je ne vais pas faire une liste, elle serait trop longue. Il y a beaucoup d’artistes, par exemple, qui travaillaient déjà de cette manière avant même que je les invite à la Biennale de Gwangju. Les amis sont les personnes avec lesquelles nous partageons une histoire. Nos amis ne sont pas seulement nos meilleurs amis, ce sont ceux qui ont vu les mêmes choses que nous, les mêmes films, les mêmes expositions. Ce sont les vrais amis. Ce n’est pas une question de noms propres, mais de principes, je crois.

Vous avez prononcé une phrase, que je trouve incisive, selon laquelle “l’affectif fait partie de l’écologie”. Une esthétique affective est-elle possible aujourd’hui ? Je pense par exemple à des artistes comme Giosetta Fioroni, toujours vivante, pour laquelle on a utilisé le concept de “pop sentimental”, et qui a multiplié dans ses œuvres des symboles affectifs comme le cœur, ou d’autres liés à l’enfance ou à l’amour des animaux domestiques comme son teckel.

C’est un thème absolument positif et intéressant, je ne le néglige pas du tout. Il y a beaucoup d’artistes qui ont travaillé là-dessus, comme Dorothy Iannone. Mais simplement par rapport à mon propre cadre philosophique, j’ai évité d’utiliser le terme “amour” parce qu’il est trop lié au catholicisme.

Par contre, vous avez souvent utilisé le terme “émotionnel”, qui est encore assez éloigné de “sentimental”.

Non, je ne vois pas de différence : l’émotion est un sentiment. Je les trouve pratiquement identiques.

Pour les neurosciences, le sentiment est techniquement plus élaboré que l’émotion, qui appartient plutôt au domaine de la pulsion.

Ce n’est qu’une question de degré : l’amour est plus élaboré que l’émotion, mais c’est la même chose.

Vous avez notamment dirigé récemment une biennale en Corée après celle d’Istanbul. Où dans le monde avez-vous le plus perçu et produit cette sphère émotionnelle ou relationnelle ?

J’ai adoré Gwangju, en Corée, mais je n’y vivrais pas. J’ai vécu à Londres pendant trois ans et à New York dans les années 1990, mais aujourd’hui New York est devenu un ghetto de riches. Lorsque j’y ai vécu, c’était beaucoup plus ouvert et intéressant, car de nombreux artistes vivaient à Manhattan. J’aime beaucoup Kyoto et je pourrais vivre à Rome.


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