Le problème des expositions Instagrammables : si l'élimination des obstacles signifie la stérilisation...


Les "expositions Instagrammables" sont de plus en plus populaires : des expériences visuelles conçues pour rassurer et séduire, mais dépourvues de risque et de profondeur, avec des formats prévisibles. Et, par rapport aux exceptions qui résistent à la simplification, la différence apparaît entre l'art qui confirme et stérilise et l'art qui blesse. L'avis de Francesca Anita Gigli.

Ce que nous appelons l’“exposition Instagrammable” n’est pas seulement un phénomène lié à la photographie compulsive, mais tout un mode curatorial qui a appris à supprimer tout obstacle à la reconnaissance immédiate. Et il suffit d’y entrer pour constater que rien n’y échappe vraiment : les lumières tombent exactement là où il faut, les couleurs sont calibrées pour ne pas blesser l’œil, l’agencement des espaces est une chorégraphie étudiée au millimètre près, sans angles morts ni imprévus. C’est un environnement dans lequel l’œuvre ne vit pas, mais pose. L’air lui-même semble déjà filtré, prêt à se glisser dans la grille d’un écran.

Le parcours est construit de telle sorte que le spectateur ne trébuche jamais, ne se perde jamais, ne reste jamais silencieux plus longtemps que nécessaire, et son langage visuel est limpide, rassurant, sans fissures. Même la narration est désamorcée : au lieu d’une thèse à discuter, un flux de suggestions prévisibles ; au lieu d’une friction, la caresse d’une émotion standardisée.

C’est un peu comme certains films d’horreur ringards où l’on sait avec une précision millimétrique quand le jumpscare va arriver, ou ces séries télévisées qui vous tiennent collés à l’écran précisément parce qu’elles sont délicieusement kitsch et prévisibles : on sait déjà où elles vont, mais on reste, réconforté par la certitude de ne pas avoir à affronter l’inattendu. Ainsi, même dans de nombreuses expositions, le frisson est calculé, la surprise est planifiée, la tension est remplacée par une chorégraphie de l’évidence.

Le problème n’est ni la beauté ni le soin, qui abondent également, mais l’absence totale de risque, car l’œuvre, même lorsqu’elle naît d’une tension, d’une fracture, est apprivoisée jusqu’à devenir un pur signe graphique, une “simple” image à diffuser. Il n’y a pas de place pour le désordre, pour l’incompréhension, pour ce moment où le visiteur se retrouve sans point d’appui, car tout est déjà traduit dans un langage compréhensible, prêt à être partagé, sans marge obscure. Ainsi, alors que nous pensons nous déplacer parmi les œuvres, nous nous déplaçons en fait à l’intérieur d’un format. Et dans ce format, l’art n’est plus une rencontre, mais une banale confirmation. Confirmation de ce que l’on sait déjà de l’artiste, confirmation de ce que l’on s’attend à voir, confirmation de ce que l’on emportera sous forme d’image. C’est une vision qui rassure, mais qui ne creuse pas ; qui séduit, mais qui ne touche pas le point où l’art cesse d’être agréable pour devenir nécessaire.

Il ne s’agit pas de diaboliser les expositions Instagrammables, ni de les rejeter comme une dégénérescence du présent. Il est indéniable qu’elles ont intercepté un besoin précis : Celui d’un art qui se montre accessible, immédiat, rassurant, et en ce sens elles fonctionnent certes comme un seuil, comme un espace d’approche, comme un prélude à une possible familiarité, mais la question est de savoir si ce seuil mène vraiment quelque part ou s’il ne reste qu’un portail ornemental, une entrée qui n’ouvre pas des salles mais des couloirs infinis et toujours les mêmes, où toute expérience est destinée à se dissoudre à l’instant même où elle est documentée.

Le problème n’est donc pas le désir d’intelligibilité (sacro-saint à une époque qui a exclu des générations entières du langage de l’art), mais le fait que l’intelligibilité, lorsqu’elle devient absolue, finit par coïncider avec la stérilité. Ce qui est entièrement lisible, entièrement traduisible, entièrement sans résidu, ne laisse aucune place à l’intériorité du spectateur, ne produit ni choc ni hésitation. Car les rétrospectives ne doivent pas s’attendre à être comprises du premier coup, mais doivent pouvoir aspirer à rester en suspension, à déposer un excès qui résiste au déchiffrement, à créer une blessure de sens qui oblige à revenir, à questionner, à douter.

Le paradoxe est que souvent, à l’inverse, on rencontre des expositions qui choisissent le chemin inverse : des panneaux écrits dans un jargon impénétrable, des phrases qui semblent écrites pour un concours d’acrobaties sémiotiques, tellement autoréférentielles qu’elles excluent le regardeur au lieu de l’accueillir. Dans les deux cas, qu’il s’agisse d’un excès de clarté ou d’une opacité délibérée, l’effet est le même : l’œuvre disparaît. C’est dans cette tension que se mesure la différence entre une exposition qui se contente de plaire et une exposition qui ose creuser, même au prix de la désorientation.

Et c’est là que More Than Kids de Valerio Berruti au Palazzo Reale révèle clairement l’ambiguïté de ce modèle. C’est une exposition qui séduit par sa lisibilité, qui rassure par sa grâce, mais qui, ce faisant, confirme jusqu’au bout la logique fatiguée du “déjà vu”, du reconnaissable, du photographiable. L’univers de Berruti est celui que nous connaissons : des figures enfantines stylisées, suspendues dans un espace intemporel, des formes réduites à l’essentiel, des couleurs plates, des contours nets. C’est un langage immédiatement lisible, qui ne prétend pas déstabiliser, mais qui transmet l’immobilité, réconcilie, coule.

Montage de l'exposition More than kids de Valerio Berruti à Milan, Palazzo Reale. Photo : Francesca Anita Gigli
Installation pour l’exposition More than kids de Valerio Berruti à Milan, Palazzo Reale. Photo : Francesca Anita Gigli
Montage de l'exposition More than kids de Valerio Berruti à Milan, Palazzo Reale. Photo : Francesca Anita Gigli
Aménagement de l’exposition More than kids de Valerio Berruti à Milan, Palazzo Reale. Photo : Francesca Anita Gigli
Montage de l'exposition More than kids de Valerio Berruti à Milan, Palazzo Reale. Photo : Francesca Anita Gigli
Aménagement de l’exposition More than kids de Valerio Berruti à Milan, Palazzo Reale. Photo : Francesca Anita Gigli
Montage de l'exposition More than kids de Valerio Berruti à Milan, Palazzo Reale. Photo : Francesca Anita Gigli
Aménagement de l’exposition More than kids de Valerio Berruti à Milan, Palazzo Reale. Photo : Francesca Anita Gigli

Jusqu’ici, il n’y a rien de mal à construire une œuvre accessible, mais la mise en place amplifie ce registre jusqu’à ce qu’elle devienne un habitat parfait pour la prise de vue. Les enfants de Berruti, qui sont déjà des icônes dociles, vidées de tout conflit, évoluent dans des environnements calibrés, où la lumière ne change pratiquement jamais et où chaque pièce semble conçue pour devenir une toile de fond. C’est une exposition qui offre le plaisir d’une reconnaissance immédiate, mais pas le risque d’un faux pas.

En cela, More Than Kids semble adhérer parfaitement à la grammaire de nombreuses opérations d’Arthemisia : une marque curatoriale qui sait doser émotion et décoration, marque et biographie, au point de construire un produit culturel qui “fonctionne” avant même d’être vu. On entre avec l’espoir de trouver quelque chose de “beau” et on le trouve, exactement comme prévu, mais le problème est précisément le suivant : si la surprise est exclue par la conception, si la friction est supprimée dès le départ, l’expérience reste plate, même si elle est impeccable.

L’exposition est mignonne, lisible, voire rassurante. Mais en art, “mignon” est déjà une condamnation, et donc inoffensif, destiné à s’éteindre en quelques minutes. Il n’ouvre pas de questions, il ne crée pas de tension, il n’oblige pas à regarder au-delà du périmètre de sécurité que le montage a conçu. C’est la différence entre une porte qui vous introduit dans un nouveau monde et un cadre qui vous renvoie une image que vous connaissez déjà : dans le premier cas, vous ressortez différent, dans le second, vous ressortez identique, avec une image qui confirme ce que vous vous attendiez à voir.

More Than Kids n’est pas un cas isolé. Toujours au Palazzo Reale de Milan, en septembre 2024, l’exposition consacrée à Munch suivait un parcours similaire avec des œuvres importantes, certaines rarement vues en Italie, mais inscrites dans un itinéraire qui ressemblait plus à un déplacement muséal qu’à une lecture critique. Le tourment de Munch est présenté comme une marque esthétique et sa souffrance comme un produit narratif. Pas de recherche sur la matière picturale, l’instabilité de la figure, l’obsession du signe, mais seulement la répétition rassurante du cliché de l’artiste maudit, emballé pour confirmer ce que l’on sait déjà et ce qu’il est facile de raconter.

Le même mécanisme se retrouve dans Visions in Motion.Graffiti and Echoes of Futurism à la Fabbrica del Vapore, qui aurait pu être une occasion fertile d’établir un dialogue entre les langages urbains et les avant-gardes historiques, mais qui se réduit à une séquence de surfaces décoratives, de slogans visuels et de compositions conçues davantage pour servir de toile de fond que pour ouvrir un discours. C’était du street art sans la rue et du futurisme sans l’avant-garde : une hybridation qui promettait de l’énergie et qui n’a rendu que son esthétique léchée.

Et puis Facile Ironia au MAMbo, une exposition qui se proposait de réfléchir sur la comédie comme geste politique, mais qui s’est pliée à la nécessité d’être claire, immédiate, ordonnée jusqu’à l’innocuité. L’ironie, qui par définition vit dans le rebut et l’inattendu, a été stérilisée. Les murs semblaient décider pour vous quand et comment rire, transformant le rire en un acte attendu, réglementé, voire poli.

Montage de l'exposition Munch. Le cri intérieur. Photo : Arthemisia
Montage de l’exposition Munch. Le cri intérieur à Milan, Palazzo Reale. Photo : Arthemisia
Montage de l'exposition Facile ironia à Bologne, MAMbo. Photo : Carlo Favero
Installations de l’exposition Facile ironia à Bologne, MAMbo. Photo : Carlo Favero

Ces cas, bien que différents en termes de thème et de langage, partagent une posture curatoriale commune : éliminer la marge d’incertitude, s’assurer que le spectateur quitte l’exposition avec une perception claire, “belle” et partageable de l’expérience. C’est une stratégie qui fonctionne à court terme, notamment en termes de fréquentation et de couverture sociale, mais qui laisse rarement des traces dans le temps.

Pourtant, toutes les expositions ne succombent pas à la tentation de la douceur. Il y a des commissaires, des conservateurs, des artistes et des artistes qui choisissent encore de fissurer la surface, d’insérer des “peut-être”, de ne pas offrir au visiteur la protection d’un parcours linéaire. À l’Albertina de Vienne, Gaze de Jenny Saville n’était pas seulement spectaculaire (et elle l’était forcément : avec les corps démesurés, les toiles envahissant l’espace avec la violence des proportions, les coups de pinceau charnels faisant trembler la peau et la matière), elle ne séduisait pas de manière stérile. L’impact immédiat n’était que le seuil, un coup frontal qui ne fermait pas le discours mais l’ouvrait : le spectateur, une fois passé le vertige initial, devait se mesurer à la vulnérabilité de la chair, à la brutalité et à la douceur qui coexistent dans le même corps, à l’oscillation continuelle entre attraction et répulsion. Un art qui se laisse toujours photographier, certes, mais qui résiste à la réduction photographique car aucune prise de vue ne peut contenir le poids de la matière, l’odeur d’huile et de chair qui semble émaner des toiles, la sensation indubitable d’être regardé en regardant, d’être exposé à ce même regard que l’on prétend dominer.

D’autres, cependant, comme Joana Vasconcelos à Ascona, démontrent que l’on peut défier l’expérience et même l’instagrammabilité sans tomber dans la simplification. Ses installations monumentales, tactiles et enveloppantes séduisent le spectateur par leur échelle et leur esthétique hypnotique, mais elles ne s’épuisent pas dans l’étonnement. Elles restent ambiguës, instables, ouvertes à une pluralité de lectures : derrière la surface colorée, on sent le poids de l’artisanat traditionnel, la fragilité des matériaux qui menacent de céder, l’ironie féroce qui démonte le mythe de la décoration féminine et le restitue comme un spectacle ingouvernable. Ce sont des œuvres que l’on peut parcourir, toucher, photographier ; mais quand l’image est déjà prise, le doute demeure, la question qui fissure l’euphorie même, et la conscience que la beauté, si elle veut vraiment compter pour quelque chose, doit rester troublée.

On pourrait en dire autant de l’exposition photographique sur Francesca Woodman, également à l’Albertina. Ce sont des images minuscules, fragiles, presque invisibles si l’on ne se penche pas pour en toucher le seuil ; elles obligent à s’en approcher physiquement et mentalement, à ralentir, à rompre le rythme de la vision contemporaine. Elles n’offrent jamais une lecture immédiate : elles exigent le silence, l’intimité, la vulnérabilité. Et encore, au Kunsthaus Wien, un parcours qui entremêle peinture, écologie et activisme visuel sans en atténuer les fractures, laissant au spectateur le soin de trouver sa propre trajectoire dans des matériaux hétérogènes et parfois dissonants, dans un paysage qui ne se laisse pas réduire à une formule.

Installation pour l'exposition Gaze de Jenny Saville à Vienne, Albertina. Photo : Francesca Anita Gigli
Installation pour l’exposition Gaze de Jenny Saville à Vienne, Albertina. Photo : Francesca Anita Gigli
Installation pour l'exposition Gaze de Jenny Saville à Vienne, Albertina. Photo : Francesca Anita Gigli
Montage de l’exposition Gaze de Jenny Saville à Vienne, Albertina. Photo : Francesca Anita Gigli
Installation pour l'exposition Flowers of my desire de Joana Vasconcelos à Ascona, Museo Comunale d'Arte Moderna. Photo : Francesca Anita Gigli
Installations de l’exposition Flowers of my desire de Joana Vasconcelos à Ascona, Museo Comunale d’Arte Moderna. Photo : Francesca Anita Gigli
Installation pour l'exposition Flowers of my desire de Joana Vasconcelos à Ascona, Museo Comunale d'Arte Moderna. Photo : Francesca Anita Gigli
Installations de l’exposition Fleurs de mon désir de Joana Vasconcelos à Ascona, Museo Comunale d’Arte Moderna. Photo : Francesca Anita Gigli
Installation pour l'exposition Flowers of my desire de Joana Vasconcelos à Ascona, Museo Comunale d'Arte Moderna. Photo : Nicola Gnesi
Installations de l’exposition Fleurs de mon désir de Joana Vasconcelos à Ascona, Museo Comunale d’Arte Moderna. Photo : Nicola Gnesi
Conception de l'exposition Francesca Woodman. Œuvres de la collection Verbund à Vienne, Albertina. Photo : Francesca Anita Gigli
Installations de l’exposition Francesca Woodman. Œuvres de la collection Verbund à Vienne, Albertina. Photo : Francesca Anita Gigli
Conception de l'exposition Francesca Woodman. Œuvres de la collection Verbund à Vienne, Albertina. Photo : Francesca Anita Gigli
Plans de l’exposition Francesca Woodman. Œuvres de la collection Verbund à Vienne, Albertina. Photo : Francesca Anita Gigli
Intérieur du Kunsthaus de Vienne. Photo : Francesca Anita Gigli
Intérieur du Kunsthaus de Vienne. Photo : Francesca Anita Gigli
Montage de l'exposition Mario Giacomelli : le photographe et le poète à Milan, Palazzo Reale. Photo : Francesca Anita Gigli
Exposition Mario Giacomelli : le photographe et le poète à Milan, Palazzo Reale. Photo : Francesca Anita Gigli
Montage de l'exposition Mario Giacomelli : le photographe et le poète à Milan, Palazzo Reale
Plans de l’exposition Mario Giacomelli : le photographe et le poète à Milan, Palazzo Reale
Montage de l'exposition Mario Giacomelli : le photographe et le poète à Milan, Palazzo Reale
Installations de l’exposition Mario Giacomelli : le photographe et le poète à Milan, Palazzo Reale

Il ne faut pas oublier qu’à côté de l’exposition hyper-instagrammable de Valerio Berruti au Palazzo Reale, s’est ouverte en parallèle l’exposition Mario Giacomelli : le photographe et le poète, conçue avec une rigueur et une imagination magistrales, capable de restituer la complexité d’un auteur qui a condensé toute une vision du monde dans le grain de la pellicule. Un contrepoint presque involontaire, qui montre comment deux modes opposés peuvent coexister dans un même lieu : d’un côté l’expérience lisse, immédiate, rassurante ; de l’autre le noir et blanc rugueux de Giacomelli, qui ne console pas, qui n’illustre pas, qui ne cesse de demander à être interprété.

Ce sont des expériences qui ne plaisent pas toujours à tout le monde, et c’est bien ainsi. L’art n’est pas appelé à plaire, mais à résister à la neutralisation. Une exposition qui vous laisse avec une question ouverte, avec le sentiment de ne pas avoir tout vu ou de ne pas avoir tout compris, a déjà fait infiniment plus qu’un événement parfaitement emballé. Parce qu’elle ne se contente pas de donner une impression, elle dépose une blessure. Et la blessure, contrairement à l’impression, ne disparaît pas dans le flux.


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