Néoclassicisme : origines, développement, style, grands artistes


L'art du néoclassicisme : origines, développement, style, les grands artistes d'Antonio Canova à Bertel Thorvaldsen.

L’art néoclassique est né principalement en réaction contre la virtuosité et la rhétorique du goût baroque tardif, mais aussi contre les frivolités du rococo: la réaction n’était donc pas seulement esthétique, mais aussi morale. Le point de départ de ce type d’art est le désir de rechercher un nouveau classicisme (d’où son nom) qui puisse encore récupérer l’art ancien, pour une recherche de rigueur et d’objectivité qui s’inscrive dans la philosophie des Lumières et se distancie de l’art contemporain. Ce qui différencie le néoclassicisme des classicismes qui l’ont précédé, c’est avant tout l’esprit qui animait les recherches des néoclassiques : si, dans le passé, la récupération du classicisme était aussi une récupération des valeurs, à la fin du XVIIIe siècle, les artistes ont pris conscience que la civilisation antique qu’ils voulaient récupérer ne reviendrait jamais, et l’art néoclassique s’est donc teinté de ce sentiment de nostalgie qui imprègne toutes les œuvres créées à cette époque. Mais l’art néoclassique répond aussi à une vision précise de l’art des Lumières, selon laquelle les œuvres d’art doivent être porteuses d’intentions éthiques.

Le néoclassicisme se distingue également des formes d’art contemporaines en ce que la recherche de la beauté idéale, qui s’inspire à la fois de l’art romain et de l’art grec ancien, doit être dépouillée de tout drame, sentiment et passion humaine: c’est pourquoi les œuvres néoclassiques apparaissent toujours composées et calmes, même lorsqu’une scène hautement dramatique ou douloureuse s’y déroule. Le canon néoclassique de la beauté idéale a été explicité par ce qui fut probablement le plus grand théoricien de l’art néoclassique, l’Allemand Johann Joachim Winckelmann, selon lequel la beauté idéale pouvait se résumer à la formule " noble simplicité et grandeur tranquille "(pour en savoir plus sur les fondements du néoclassicisme selon Winckelmann, cliquez ici) : la “noblesse” désignait les formes élégantes de l’art classique, la “simplicité” le fait qu’elles devaient être éloignées de toute virtuosité bizarre et extravagante, tandis que la “grandeur tranquille” était celle de l’homme classique (et donc néoclassique) capable de contrôler ses impulsions de manière rationnelle. La beauté idéale était donc une quête rationnelle qui devait viser des formes simples mais caractérisées par une grâce qui se traduisait par un équilibre et un sang-froid presque idéalisés.



Sur le plan éthique, le néoclassicisme repropose le concept typiquement classique de l’union entre beauté et vertu, en polémiquant ouvertement contre les excentricités de l’art baroque, perçu comme excessivement virtuose et extravagant et donc éloigné de la rationalité, notamment dans les réalisations illusionnistes des plus grands peintres baroques. Le néoclassicisme s’oppose également à la licence de l’art rococo, dont il critique la frivolité et surtout le désengagement. L’art néoclassique n’est cependant pas uniforme partout car il s’agit d’un langage international qui connaît des déclinaisons différentes selon le pays dans lequel l’art est produit (d’où des besoins moraux et sociaux différents) et aussi selon l’inclination personnelle de l’artiste.

Antonio Canova, Thésée et le Minotaure (1781-1783 ; marbre, 145,4 x 158,7 x 91,4 cm ; Londres, Victoria and Albert Museum)
Antonio Canova, Thésée et le Minotaure (1781-1783 ; marbre, 145,4 x 158,7 x 91,4 cm ; Londres, Victoria and Albert Museum)
Antonio Canova, Hercule et Lyca (1795-1815 ; marbre, hauteur 335 cm ; Rome, Galleria Nazionale d'Arte Moderna e Contemporanea)
Antonio Canova, Hercule et Lyca (1795-1815 ; marbre, 335 cm de haut ; Rome, Galleria Nazionale d’Arte Moderna e Contemporanea)
Antonio Canova, Cupidon et Psyché couchés (1787-1793 ; marbre, 155 x 168 x 101 cm ; Paris, Louvre). Photo de Francesco Gasparetti
Antonio Canova, Cupidon et Psyché couchés (1787-1793 ; marbre, 155 x 168 x 101 cm ; Paris, Louvre). Photo de Francesco Gasparetti
Bertel Thorvaldsen, Jason à la toison d'or (1803 ; marbre, hauteur 242 cm ; Copenhague, musée Thorvaldsens)
Bertel Thorvaldsen, Jason à la toison d’or (1803 ; marbre, hauteur 242 cm ; Copenhague, musée Thorvaldsens)
Bertel Thorvaldsen, Ganymède (vers 1822-1826, d'après le modèle de 1804 ; marbre, 137 x 46,4 x 48,5 cm ; Copenhague, musée Thorvaldsens, inv. A854)
Bertel Thorvaldsen, Ganymède (vers 1822-1826, d’après le modèle de 1804 ; marbre, 137 x 46,4 x 48,5 cm ; Copenhague, Thorvaldsens Museum, inv. A854)

Canova et Thorvaldsen, les deux plus grands représentants du néoclassicisme en sculpture

Le plus grand représentant du néoclassicisme en Italie, dans le domaine de la sculpture, est sans aucun doute Antonio Canova (Possagno, 1757 - Venise, 1822), l’artiste chez qui la recherche de la beauté idéale théorisée par Johann Joachim Winckelmann trouve sa plus grande expression et se traduit par un équilibre absolu entre l’idéalisation et les formes naturelles. Cependant, bien que la recherche de la beauté idéale ait trouvé en Canova l’un de ses plus grands interprètes, l’art de Canova n’était pas caractérisé par un engagement politique profond comme celui de beaucoup de ses contemporains (en particulier les Français). En effet, Canova lui-même pensait que l’art devait dépasser la tendance à se plier à la politique contemporaine et devenir au contraire porteur de valeurs plus universelles (comme la lutte de la raison contre la force, représentée par une sculpture de jeunesse de l’artiste vénitien, Thésée sur le Minotaure, 1781-1783, Londres, Victoria and Albert Museum). C’est aussi grâce à cette volonté de se tenir à l’écart des partis que Canova a pu obtenir des commandes de la part de cercles politiques même opposés.

L’art de Canova s’inspire du répertoire classique, que l’artiste a su revisiter avec sa propre sensibilité à la recherche d’une abstraction qui se manifeste surtout dans les scènes censées présupposer le mouvement ou l’excitation, comme Hercule et Lica (1795-1815, Rome, Galleria Nazionale d’Arte Moderna) où les expressions des personnages restent imperturbables et où l’on a l’impression d’assister à une danse plutôt qu’à un combat, même si la force avec laquelle Hercule projette son adversaire s’éloigne du néo-classicisme le plus rigoureux. Canova a également atteint la pureté idéale qu’il souhaitait transmettre à ses sujets grâce à un travail particulier du marbre qui lui conférait une douceur restée inégalée, grâce à laquelle l’artiste a pu créer des œuvres caractérisées par un haut degré de raffinement et une grande douceur.

La sensorialité n’est cependant pas totalement absente de l’art de Canova : elle se manifeste surtout dans les œuvres à sujet féminin, auxquelles Canova insuffle une grâce, surtout dans le mouvement, et une beauté pure non dépourvue d’une certaine sensualité, qui se manifeste surtout dans les poses, poses dans lesquelles ne manque cependant pas la recherche d’harmonie et d’équilibre typique du néo-classicisme. Ce courant de l’art de Canova est particulièrement évident dans l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre, Cupidon et Psyché couchés (1788-1793, Paris, Louvre), une œuvre dans laquelle Canova suggère la sensualité des rapports sexuels à travers l’étreinte des deux protagonistes, qui devient le symbole de leur union, sans pour autant oublier la recherche de l’équilibre néoclassique puisque le mouvement des deux amants est construit selon un schéma précis de lignes diagonales.

Pour trouver un interprète plus abstrait et formellement rigide du néoclassicisme, il faut regarder les œuvres de Bertel Thorvaldsen (Copenhague, 1770 - 1844), un artiste danois longtemps actif en Italie et considéré à l’époque comme le seul sculpteur au monde capable de rivaliser avec Canova. La renaissance de l’art classique chez Thorvaldsen est en fait beaucoup plus radicale : les formes de ses sujets deviennent plus pures (il suffit de comparer les nus féminins de Thorvaldsen à ceux de Canova), et les sentiments sont totalement endormis. Contrairement à l’art de Canova, Thorvaldsen est totalement dépourvu de mouvement, ce qui, chez Canova, exprime le désir de donner à ses beautés idéalisées un contact avec la nature, dont l’étude n’avait pas été mise de côté par le sculpteur vénitien. La sculpture de Thorvaldsen, qui s’inspire directement des canons de l’art grec antique, est peut-être celle qui interprète le mieux la volonté de rigueur et d’abstraction formelle prônée par les théoriciens du néoclassicisme(Jason à la toison d’or, 1803, Copenhague, musée Thorvaldsens) : elle apparaît néanmoins beaucoup plus froide que celle de Canova.

Adamo Tadolini, Saint Paul (1840 ; plâtre, hauteur 300 cm ; Rome, San Carlo ai Catinari)
Adamo Tadolini, Saint Paul (1840 ; plâtre, hauteur 300 cm ; Rome, San Carlo ai Catinari)
Carlo Finelli, Les heures de danse (1824 ; marbre ; Saint-Pétersbourg, Ermitage)
Carlo Finelli, Les heures dansantes (1824 ; marbre ; Saint-Pétersbourg, Ermitage)
Andrea Appiani, Parnasse (1811 ; fresque ; Milan, GAM - Galleria d'Arte Moderna)
Andrea Appiani, Parnasse (1811 ; fresque ; Milan, GAM - Galleria d’Arte Moderna)
Vincenzo Camuccini, Mort de Jules César (1798 ; huile sur toile, 400 x 207 cm ; Naples, Museo Nazionale di Capodimonte)
Vincenzo Camuccini, Mort de Jules César (1798 ; huile sur toile, 400 x 207 cm ; Naples, Museo Nazionale di Capodimonte)

Les disciples de Canova et le néoclassicisme en peinture

Canova eut un grand nombre de disciples, mais les deux sculpteurs qui, après lui, interprétèrent le mieux le néoclassicisme, sans en atteindre le niveau technique et formel, furent Carlo Finelli (Carrara, 1782 - Rome, 1853) et Adamo Tadolini (Bologne, 1788 - Rome, 1868). Adamo Tadolini s’est avéré être un fidèle continuateur du style de Canova, qui a trouvé ses plus grands résultats dans les monuments de célébration ou de grande envergure. Carlo Finelli, qui devint l’un des sculpteurs les plus importants et les plus recherchés de Rome au début du XIXe siècle, proposa un art très élégant et raffiné, qui réussit cependant à atteindre une plus grande abstraction que celle de Canova : en effet, dans de nombreuses œuvres, il tempéra la sensualité et diminua la charge dynamique(Les heures dansantes, 1824, Saint-Pétersbourg, Ermitage), sans toutefois atteindre les formalismes rigides de Thorvaldsen.

La culture néoclassique s’est également répandue dans la peinture, où les intentions politiques du néoclassicisme sont devenues beaucoup plus évidentes que dans la sculpture. Faute de références directes à l’art antique, les peintres néoclassiques ne pouvaient se référer qu’aux grands génies de la Renaissance mûre, tels que Raphaël ou Michel-Ange, ou aux classicistes du XVIIe siècle. Les principaux représentants de la peinture néoclassique sont Andrea Appiani (Milan, 1754 - 1817) et Vincenzo Camuccini (Rome, 1771 - 1844).

Andrea Appiani était l’un des peintres préférés de Napoléon Bonaparte et a occupé de nombreuses fonctions officielles importantes. Formé par l’étude des peintres de Léonard de Vinci et de l’art du Corrège, Appiani s’attacha surtout à la célébration de l’empereur Napoléon, qu’il représenta dans des portraits très idéalisés où il exaltait ses vertus, jusqu’à l’apothéose, rappelant la peinture classique du XVIIe siècle, mais aussi dans des portraits, également idéalisés, où la force de Napoléon transparaissait surtout dans le regard intense qu’Appiani lui lançait. Capable de compositions d’une grande solennité, Andrea Appiani a toutefois su adopter un registre plus délicat dans des tableaux comme le Parnasse (1811, Milan, Villa Belgioioso Bonaparte) plein de références à la culture raphaëlique.

L’engagement de Vincenzo Camuccini est différent : il n’est pas du tout touché par le culte de Napoléon et préfère peindre des scènes à sujet historique, le plus souvent tirées de l’Antiquité classique(Mort de Jules César, 1798, Naples, Museo Nazionale di Capodimonte) : les scènes, concises mais équilibrées, avec des sentiments toujours exprimés de manière sobre et posée, comme le voulaient les théoriciens du néoclassicisme, deviennent porteuses de hautes valeurs morales de portée universelle, concrétisant ainsi son engagement civique. Pour le peintre romain, l’art devait avoir une intention pédagogique précise : c’est pourquoi le goût de l’anecdote est totalement absent de ses œuvres. Camuccini le remplace par le désir d’une narration qui, d’une part, raconte l’événement sans le forcer et le plus objectivement possible et, d’autre part, parvient à communiquer à l’observateur les vertus morales (liberté, équité, justice, honnêteté) exprimées par l’événement lui-même.

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