Giulia Andreani, la peinture comme archive vivante à déstabiliser


La peinture de Giulia Andreani parle de femmes, de puissances oubliées et sans visage, de fantômes qui habitent l'histoire. Une peinture comme une archive vivante qui ne veut pas rassurer, au contraire : elle veut déstabiliser et amener l'observateur à se demander ce qu'il voit vraiment. L'article de Federica Schneck.

Il y a des couleurs dont on se souvient. Le rouge carmin, le bleu cobalt, le vert Véronèse. Et puis il y a le gris de Payne : une teinte qui semble faite non pas pour crier, mais pour se souvenir. Giulia Andreani l’utilise comme une forme de langage. Pas une teinte, mais un code. Un code qui parle de femmes oubliées, de puissances sans visage, de fantômes qui ne veulent pas cesser d’habiter l’histoire.

Née à Venise en 1985, Giulia Andreani vit et travaille à Paris. Sa formation en histoire de l’art et son intérêt pour l’iconographie du pouvoir et de la mémoire collective nourrissent une pratique picturale basée sur l’investigation d’archives et l’interprétation critique du passé.

Ses œuvres désorientent. Parce qu’il y a quelque chose dans les visages des personnages représentés, dans la façon dont ils sont dépeints, ni héroïquement, ni tragiquement, mais avec une sorte de dignité réticente, qui nous oblige à rester. À regarder. À se demander : qu’est-ce que je vois vraiment? Et c’est là que commence le travail d’Andreani. Non pas dans la peinture elle-même, mais dans le mouvement qu’elle induit chez le spectateur. Il s’agit d’une archive vivante, d’un dispositif qui déstabilise au lieu de rassurer. Chaque image est tirée d’archives historiques, photographiques, militaires, médicales, domestiques. Mais il ne s’agit jamais d’une simple transcription picturale : l’image est dépouillée, réassemblée, rendue énigmatique. Il y a des femmes en uniforme, des mères au regard vide, des petites filles qui ont déjà l’air vieilles. On ne sait pas ce qu’elles ont vécu. Pourtant, d’une certaine manière, nous les connaissons. Elles font partie d’un savoir silencieux, inscrit dans nos corps.

Giulia Andreani. Photo : Emma Burlet
Giulia Andreani. Photo : Emma Burlet
Giulia Andreani, L'improductif (2023 ; acrylique sur toile ; Reggio Emilia, Collezione Maramotti)
Giulia Andreani, The Unproductive (2023 ; acrylique sur toile, 199,5 x 270,5 cm ; Reggio Emilia, Maramotti Collection)
Giulia Andreani, Pour elles toutes Myrninerest (2024 ; acrylique sur toile, 190,5×400,5 cm ; Lugano, MASI - Museo d'Arte della Svizzera Italiana)
Giulia Andreani, Pour elles toutes (Myrninerest) (2024 ; acrylique sur toile, 190,5×400,5 cm ; Lugano, MASI - Museo d’Arte della Svizzera Italiana)

Considérons la série TheUnproductive (2023), l’un des moments les plus radicaux de sa production récente. Dans ces œuvres, Andreani met en lumière des femmes dont le rôle social a été défini de manière négative : non productives, non fertiles, non conformes. La peinture, cependant, leur redonne du pouvoir. Elle les fait exister. Elle les fixe sur une surface où elles ne peuvent plus être ignorées. Mais attention : il ne s’agit pas d’une “réhabilitation”. Andreani ne rachète pas. Il ne sauve pas. Simplement : il montre. Et il laisse la peinture poser les questions. C’est là le miracle de la peinture d’Andreani : elle parvient à redonner de la densité au temps. Non pas pour le représenter, mais pour le retarder. Pour le faire advenir à nouveau. Chaque tableau est une lentille opaque à travers laquelle le passé se manifeste sans clameur, mais avec une gravité qui ne laisse pas d’échappatoire. Et à une époque comme la nôtre, où tout semble devoir être immédiat et transparent, cet acte d’opacification est profondément politique.

Son œuvre exposée à la Biennale de Venise en 2024 en est un exemple frappant. Les visages des suffragettes, la figure insaisissable de Madge Gill, la sculpture de verre qui devient corps diaphane et manifeste silencieux : tout semble appartenir à une histoire parallèle, non pas alternative mais souterraine. Comme si Andreani essayait, patiemment et sans rhétorique, de réécrire l’histoire d’un point de vue latéral. Non pas à partir du centre des événements, mais à partir des plis, des interstices. Et c’est dans ces marges qu’il trouve l’essentiel.

Giulia Andreani, La passeuse (2023 ; acrylique sur toile, 190 x 409 cm). Photo : Dario Lasagni
Giulia Andreani, La traghettatrice (2023 ; acrylique sur toile, 190 x 409 cm). Photo : Dario Lasagni
Giulia Andreani, The School of Cutting and Sewing (2023 ; aquarelle sur papier, 140 x 300 cm). Photo : Dario Lasagni
Giulia Andreani, L’école de coupe et de couture (2023 ; aquarelle sur papier, 140 x 300 cm). Photo : Dario Lasagni
Giulia Andreani, Fantôme conservateur (Aetas Ferrea) (2024 ; acrylique sur toile, 130 x 97,5 cm)
Giulia Andreani, Fantôme conservateur (Aetas Ferrea) (2024 ; acrylique sur toile, 130 x 97,5 cm).
Giulia Andreani, Le viol d'Europa (2016 ; acrylique sur toile, 150 x 200 cm). Photo : DR
Giulia Andreani, Le viol d’Europa (2016 ; acrylique sur toile, 150 x 200 cm). Photo : DR

Mais peut-être plus qu’une réécriture, Andreani interroge. Non pas l’Histoire avec une majuscule, mais la petite, la quotidienne, la féminine, l’histoire de côté. L’histoire des corps, des silences, des archives désordonnées. Ses figures ne semblent pas appartenir au passé, mais à une mémoire en devenir. Ce ne sont pas des icônes, ce sont des présences. Et comme toutes les présences, elles dérangent. Elles nous mettent face à notre responsabilité de voir. Son gris n’est donc pas seulement une esthétique. C’est une éthique. C’est le choix de ne pas séduire par la couleur, mais d’insinuer par la forme. Non pas pour rétablir la vérité, mais pour évoquer la complexité. Comme un rêve récurrent qui persiste à réapparaître chaque nuit, avec des détails légèrement différents.

Traverser la peinture de Giulia Andreani est un acte de résistance. À la simplification, à la vitesse, à l’effacement. C’est une invitation à prendre le temps. À faire une pause. À regarder ce qui a été laissé de côté. Et à nous demander, sans prétendre à des réponses : combien d’images manquent encore ? Combien d’histoires attendent une surface sur laquelle se poser ? Et surtout : sommes-nous prêts à les laisser passer à travers nous ? À une époque qui récompense la visibilité et pénalise la complexité, le travail d’Andreani nous rappelle qu’il existe une autre façon de regarder. Un regard lent, difficile, mais nécessaire. Un regard qui ne consomme pas, mais qui préserve.

Et c’est peut-être ce qui reste après avoir vu l’une de ses peintures : moins l’image que la blessure. Moins la forme que le vide qu’il dessine. Un gris qui n’oublie pas. Une ombre qui, miraculeusement, continue d’éclairer.


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