Rubens en Flandre, les quatre grands chefs-d'œuvre de la cathédrale d'Anvers


La cathédrale Notre-Dame d'Anvers abrite quatre grands chefs-d'œuvre de Pieter Paul Rubens, le génie du baroque.

Lorsque le grand écrivain écossais Walter Scott (Édimbourg, 1771 - Abbotsford House, 1832) visita la ville d’Anvers en 1815, immédiatement après la défaite de Napoléon à la bataille de Waterloo, il trouva la cathédrale Notre-Dame encore dépourvue de ses chefs-d’œuvre. L’auteur de l’Ivanohe déplorait notamment l’absence des splendides œuvres de Pieter Paul Rubens (Siegen, 1577 - Anvers, 1640) qui, quelques années plus tôt, avaient été pillées par les occupants français et emportées à Paris, mais il faisait en même temps confiance à l’habileté diplomatique du roi Guillaume Ier des Pays-Bas pour ramener les œuvres dans leur foyer: “il a récemment promis d’user de toute son influence pour récupérer les tableaux qui ont été enlevés des différentes églises des Pays-Bas, et en particulier de Bruxelles et d’Anvers”. L’espoir était bien placé, car dès 1816, tous les chefs-d’œuvre de Rubens de la cathédrale d’Anvers étaient revenus. Depuis lors, les œuvres du grand artiste flamand n’ont jamais bougé.

Quatre des grands chefs-d’œuvre de Rubens se trouvent à l’Onze-Lieve-Vrouwekathedraal d’Anvers ; ils sont tous de grand format et d’une importance primordiale pour définir le style de l’artiste. Ils ont été exécutés peu après le retour de Rubens d’Italie, où il avait séjourné jusqu’en novembre 1608 (date à laquelle il avait dû retourner à Anvers pour soigner sa mère malade, disparue lors d’un voyage), et sont donc imprégnés de la culture italienne. Rubens était revenu en Flandre, sa terre natale, à une époque de prospérité économique. Ce climat, comme l’a souligné l’historien d’art flamand Frans Baudouin, a favorisé un élan artistique considérable, car les guildes, c’est-à-dire les associations d’artisans et de marchands, ainsi que les aristocrates et les riches bourgeois, voulaient démontrer leur richesse en commandant de nombreuses œuvres d’art aux artistes les plus en vue de l’époque. Rubens est donc surchargé de travail, notamment parce qu’il a été nommé en 1609 peintre de la cour de l’archiduc Albert de Habsbourg, prince des Pays-Bas méridionaux. Il s’agit donc d’une période particulièrement heureuse pour la carrière de l’artiste, qui s’adonne aussi bien à la peinture profane qu’à la peinture sacrée. En ce qui concerne cette dernière, Rubens se montre très sensible aux sollicitations théologiques de son temps: ses œuvres visent à impliquer directement les fidèles, soit en les faisant participer intensément au drame du Christ (sur les quatre tableaux de la cathédrale, deux représentent des moments de la Passion), soit en les amenant à méditer sur les mystères de la foi chrétienne. Le choix même des sujets principaux des œuvres reflète les principes de la Contre-Réforme, puisque les tableaux, au lieu d’être centrés sur les saints patrons des mécènes (qui jouent un rôle subalterne dans les compositions: Ils sont, par exemple, inclus dans les prédelles ou apparaissent sur les côtés de la scène la plus importante), insistent sur les différents moments de la vie de Jésus ou, comme dans le cas de l’Assomption de la Vierge, le dernier tableau réalisé pour la cathédrale d’Anvers, offrent au spectateur des scènes spectaculaires qui, grâce également à leurs dimensions énormes (à l’exception du triptyque de la Résurrection, ces œuvres font toujours plus de trois mètres de haut), captent le spectateur et le font participer à ce qui se déroule devant lui.



L'élévation de Pieter Paul Rubens, une de ses œuvres dans la cathédrale d'Anvers
L’Élévation de la Croix de Pieter Paul Rubens, une de ses œuvres dans la cathédrale d’Anvers

Comme mentionné plus haut, quatre œuvres de Pieter Paul Rubens sont conservées dans la cathédrale d’Anvers: le triptyque de l’Élévation de la Croix, peint entre 1610 et 1611 (c’est le seul des quatre tableaux qui n’a pas été exécuté à l’origine pour la cathédrale), le triptyque de la Résurrection, auquel Rubens a travaillé entre 1611 et 1612, le triptyque de la Déposition (peint entre 1611 et 1614) et enfin le retable de l’Assomption de la Vierge, que l’artiste a achevé en 1626. La plus ancienne des quatre œuvres, l’Élévation de la Croix, a été conçue à l’origine pour l’église Sainte-Walpurga d’Anvers, aujourd’hui disparue, qui fut démolie au début du XVIIIe siècle et c’est alors qu’il fut décidé de déplacer le chef-d’œuvre de Rubens dans l’église principale de la capitale des Flandres. L’œuvre lui fut attribuée en juin 1610 par les paroissiens de Sainte-Walpurga, qui souhaitaient décorer le nouveau maître-autel d’un tableau important. Peintre et commanditaires se rencontrent donc cet été-là dans une taverne, la Klein Zeeland, pour signer le contrat, qui rapporte à l’artiste la somme de 2.Parmi les paroissiens figurait le riche et puissant marchand d’épices Cornelis van der Geest (Anvers, 1577 - 1638), ami de Rubens, qui joua un rôle décisif dans le choix des paroissiens de Sainte-Walpurga quant au nom de l’artiste qui serait chargé de l’œuvre. Et le choix n’aurait pu être meilleur, car Rubens exécuta quelque chose qui n’avait encore jamais été vu en Flandre: une œuvre novatrice, révolutionnaire, “révélant”, écrit l’historien de l’art Charles Scribner, “les aspirations baroques précoces de Rubens, chargées de l’esprit du Tintoret et de celui de Michel-Ange, ainsi que du modèle hellénistique du héros souffrant, le Laocoon”.

Le triptyque de l’Élévation de la Croix est certainement l’œuvre la plus puissante et la plus énergique de Rubens dans la cathédrale d’Anvers: Dans la scène principale, sur fond d’un paysage de rochers recouverts d’un feuillage luxuriant, un Jésus musclé vient d’être cloué sur la croix et lève son regard vers le haut avec inquiétude, tandis que ses bourreaux tout aussi costauds (ils sont jusqu’à huit, de tous âges), torse nu ou tout au plus vêtus de simples tuniques ou, dans le cas du soldat de gauche, d’une armure étincelante, tirent les cordes et soutiennent le bois pour soulever la croix. C’est une sorte de tourbillon de corps, de muscles et de fatigue, disposé autour de la diagonale créée par la croix et dans lequel on semble être présent à la première personne, notamment parce que toutes les directions de l’œuvre orientent le regard de l’observateur vers le Christ, qui est également regardé avec consternation par les personnages qui se pressent sur le panneau de gauche. Au sommet de la composition se trouve la Madone, au visage mince et cireux, qui regarde avec une expression empreinte d’une profonde mélancolie, méditant intérieurement sur sa douleur, accompagnée de saint Jean qui tente de la calmer en lui caressant les mains, tandis que Madeleine, visiblement désemparée, constitue le sommet d’une pyramide de personnages formée par des mères avec leurs enfants qui versent des larmes devant la terrible scène. Dans le panneau de droite, nous voyons deux centurions romains à cheval qui ordonnent aux hommes de main de soulever la croix, tandis que d’autres, à l’arrière-plan, s’emploient à clouer avec une force brutale les deux voleurs qui subiront bientôt le même sort que Jésus (l’un d’eux est sur le point d’être violemment jeté à terre: nous le voyons frapper d’un genou le visage de celui qui est déjà couché). Rubens introduit dans cette Élévation de la Croix des astuces visant à impliquer directement le spectateur: l’absence de la foule qui figurait habituellement dans des scènes similaires, la réduction de la profondeur de l’espace pour faire apparaître la scène encore plus proche du spectateur, l’accentuation du clair-obscur pour donner une plus grande impression de tridimensionnalité (le bourreau du bas, qui saisit la croix à l’extrémité inférieure du bras vertical, a une épaule qui semble presque sortir de la peinture).

Cette œuvre avait également une fonction symbolique importante dans la Flandre catholique: la présence physique de Jésus derrière le maître-autel de l’église Sainte-Walpurga servait à rappeler aux fidèles la validité de la transsubstantiation, le dogme catholique, nié par les protestants et affirmé avec force par l’Église de la Contre-Réforme (également à travers la production de plusieurs tableaux dans lesquels l’hostie consacrée était le protagoniste absolu), selon lequel la substance du pain et du vin est transformée par le prêtre en la véritable substance du corps et du sang du Christ. Pour un croyant du début du XVIIe siècle, voir une telle scène derrière l’officiant équivalait à observer la présence substantielle de Jésus dans le pain et le vin qui lui étaient offerts au moment de l’eucharistie. Pour réaliser au mieux une œuvre aussi forte, Rubens se tourne vers les peintres italiens ou les statues classiques qui peuvent lui offrir les exemples les plus dramatiques et les plus chargés de pathos. La musculature des corps est évidemment redevable aux figures de la voûte de la chapelle Sixtine peintes par Michel-Ange, le colorisme vif révèle des réminiscences titianesques, l’idée des bourreaux tirant des cordes et soutenant la croix avec leur corps dérive de la Crucifixion de saint Pierre du Caravage, la torsion du torse de Jésus est identique à celle du célèbre groupe du Laocoon, et encore, la Crucifixion peinte par Tintoret pour la Scuola Grande di San Rocco n’a pas seulement fourni des indications pour la tension brûlante et le luminisme doté d’un caractère narratif, mais a également suggéré certains détails tels que le centurion arrivant à cheval, le sbire soutenant la croix de Jésus avec ses bras placés en diagonale, le voleur toujours à terre alors qu’il est cloué à la croix. Le souci du détail, typique de l’art flamand, se retrouve surtout au verso des deux panneaux latéraux, que l’on peut voir lorsque le triptyque est fermé: dans le panneau de gauche se trouvent saint Amandus et sainte Walpurga, tandis que dans le panneau de droite se trouvent saint Eligius et sainte Catherine d’Alexandrie.

Pieter Paul Rubens, Élévation de la croix
Pieter Paul Rubens, Élévation de la croix (1610-1611 ; huile sur panneau, panneau central 460 x 340 cm, panneaux latéraux 460 x 150 cm ; Anvers, cathédrale Notre-Dame)


Comparaison entre le tableau de Rubens et la Crucifixion de Saint-Pierre du Caravage
Comparaison de la peinture de Rubens avec la Crucifixion de saint Pierre du Caravage


Comparaison entre le tableau de Rubens et le Laocoon
Comparaison entre le tableau de Rubens et le Laocoon


Comparaison entre le tableau de Rubens et la Crucifixion du Tintoret
Comparaison entre le tableau de Rubens et la Crucifixion du Tintoret


Comparaison entre le tableau de Rubens et la Crucifixion du Tintoret
Comparaison entre le tableau de Rubens et la Crucifixion du Tintoret

Il faut croire que L’Élévation de la Croix a fait grand bruit dans la ville et que les mécènes anversois les plus en vue ont pris conscience de l’ampleur du baroque de Rubens si, dès 1611, alors que l’artiste n’a pas encore terminé son œuvre, deux autres demandes lui parviennent. La première qu’il accepte est celle de la dame Martina Plantin, veuve de l’imprimeur Jan Moretus: elle souhaite se souvenir et rendre hommage à son mari en réalisant une œuvre pour la deuxième chapelle de la cathédrale, où Moretus (qui était aussi un ami de Rubens) est enterré. Le thème choisi pour ce qui allait devenir la première œuvre de Rubens pour la cathédrale d’Anvers était la Résurrection du Christ, un sujet iconographique particulièrement approprié et populaire pour un défunt. Dans ce cas également, le format du triptyque a été choisi, avec la scène principale au centre et, dans les panneaux latéraux, les saints Jean-Baptiste et Martina, éponymes du couple, placés dans un paysage similaire à celui que nous trouvons à l’arrière-plan du compartiment principal, mais encore déconnecté de la scène principale. Les deux saints sont représentés avec leurs attributs iconographiques typiques: Jean-Baptiste avec la tunique en poils de chameau, dont il se serait couvert pendant son pèlerinage pénitentiel dans le désert, le fleuve Jourdain (allusion au baptême de Jésus) et l’épée, qui fait plutôt référence à son martyre. Martina est représentée devant le temple d’Apollon en ruines: la légende veut que l’édifice se soit effondré alors qu’elle faisait le signe de croix. L’extérieur des panneaux est orné d’anges en grisaille.

La Résurrection présente une scène qui s’inscrit dans la tradition iconographique la plus typique sur ce thème. Le Christ est représenté à droite, en train de sortir du tombeau, impérieux comme un commandant d’armée, le regard vers le haut, la jambe droite avançant et la main gauche tenant l’étendard, signe de victoire, allusion symbolique à son triomphe sur la mort. Son apparition est accompagnée d’une forte irradiation lumineuse dont les rayons éblouissent les soldats chargés de garder l’entrée du tombeau, au point de les aveugler, et qui, face à la sortie de Jésus du tombeau, se protègent avec leurs mains, montrant leur étonnement et leur incrédulité face à ce qui se passe devant eux: il s’agit là aussi d’un motif iconographique typique du thème de la résurrection. Comme dans les tableaux précédents, Rubens a isolé la figure du Christ pour que l’œil du spectateur se concentre sur lui, tandis que les soldats sont disposés autour de lui, le long de la diagonale qui part du coin inférieur droit (où se trouve un chien, et un chien était également présent dans leSoulèvement de la Croix) et qui va presque jusqu’au coin supérieur gauche. Dans ce tableau, la pose du Christ semble refléter celle du Jésus qui figure dans la Résurrection de Titien à la Galleria Nazionale delle Marche à Urbino, et sa démarche ressemble à celle d’un autre Christ ressuscité du peintre de Cadore, celui qui figure dans le Polyptyque d’Averoldi. Ce sont des figures que Rubens devait probablement avoir à l’esprit lorsqu’il travaillait à sa Résurrection, une œuvre achevée en avril 1612.

Pieter Paul Rubens, Résurrection
Pieter Paul Rubens, Résurrection (1611-1612 ; huile sur panneau, panneau central 138 x 98 cm, panneaux latéraux 136 x 40 cm ; Anvers, cathédrale Notre-Dame)


Comparaison du Christ ressuscité de Rubens avec la Résurrection du Titien de la Galleria Nazionale delle Marche (au centre) et le Polyptyque d'Averoldi (à droite).
Comparaison du Christ ressuscité de Rubens avec la Résurrection de Titien à la Galleria Nazionale delle Marche (au centre) et le Polyptyque d’Averoldi (à droite).

La deuxième commande que Rubens reçoit alors qu’il est occupé par la Résurrection est celle de la guilde des arquebusiers (Kolveniers dans la langue locale), qui demande au peintre un tableau de la Déposition pour leur chapelle dans la cathédrale, une autre œuvre à réaliser dans le format du triptyque. Une fois de plus, les amitiés de Rubens furent décisives dans l’obtention de la commande: le président de la guilde était en effet Nicolaas Rockox (Anvers, 1560 - 1640), ancien bourgmestre d’Anvers et ami du peintre. Le 7 septembre 1611, les parties signent le contrat et le panneau central est prêt un an plus tard, tandis que pour les panneaux latéraux, représentant respectivement la Visitation et la Présentation au Temple (dans ce dernier, notez la présence de Rockox, qui souhaitait être représenté agenouillé devant les protagonistes), les commanditaires doivent attendre 1614. Le patron de la guilde des arquebusiers était saint Christophe, et le thème de la Déposition a été choisi précisément pour évoquer le nom du saint (qui signifie littéralement en grec “celui qui porte le Christ”), puisque les personnages du tableau, surtout saint Jean, que l’on voit en bas à droite, “portent” en effet le corps du Christ de la croix à l’enterrement. En fait, c’est comme si le tableau était composé de plusieurs “Christophores” (le saint est toutefois présent à l’extérieur des panneaux).

Pour cette composition, Rubens a également opté pour des lignes diagonales. Le pivot de la composition est le corps du Christ, disposé le long de l’axe diagonal, dont la présence est “allongée” par le grand linceul blanc dans lequel il sera bientôt enveloppé, préfiguration de sa mise au tombeau. Les personnages qui descendent son corps de la croix sont disposés autour de lui sur des échelles reposant sur le bras horizontal de l’instrument de torture. Deux sont perchés en hauteur (le personnage de droite tient même le linceul avec ses dents), un autre descend les marches, tandis que saint Jean, pieds nus et recouvert d’une simple robe vermillon, tient Jésus par les jambes, et qu’une Madeleine très blonde et très jeune s’apprête à lui prendre les pieds. La figure de la Vierge, encore caractérisée par son teint cireux, a un grand impact émotionnel: nous la voyons tendre les bras, impatiente, pour étreindre le corps sans vie de son fils. La scène se déroule dans un paysage lugubre, sur lequel plane la menace des monticules sombres qui occupent tout le ciel, à l’exception d’une petite partie au loin d’où filtre déjà la lumière du coucher du soleil. Dans le coin inférieur droit, nous voyons une nature morte grossière, avec un bassin rempli du sang du Christ, la couronne d’épines et le cartouche portant l’inscription “INRI”, en trois langues (hébreu, grec et latin), ajouté à la croix pour narguer Jésus.

La Déposition, bien qu’elle suive de quelques années seulement l’Élévation de la Croix, est déjà une œuvre qui aborde le thème avec une approche différente: ce n’est plus la violence convulsive de l’œuvre peinte pour l’église de Sainte Walpurga, mais une peinture plus mesurée, qui tend à intérioriser la douleur, étant donné aussi les expressions composées des personnages (remarquez les yeux des femmes, gonflés, rougis, en larmes, tristes, mais capables d’exprimer une douleur aussi profonde que calme). Tout cela sans pour autant renoncer à l’impact émotionnel que l’œuvre doit pouvoir susciter. Pour obtenir ces effets, Rubens se tourne, une fois de plus, vers ses expériences italiennes. Le principal modèle de référence semble être la Déposition de Federico Barocci, non seulement en raison des dispositifs formels, à commencer par la pose du Christ, très similaire, mais aussi en raison de la même tentative de rendre la tragédie avec délicatesse: Si Barocci avait représenté une scène particulièrement convulsive (la plus animée de sa production), mais l’avait adoucie en utilisant un colorisme diaphane et presque éthéré, Rubens, sans renoncer à la vivacité qui caractérisait sa palette, soumet les mouvements des personnages à un plus grand contrôle et décide d’omettre le détail de l’évanouissement de la Vierge, que Barocci avait fait, afin d’offrir au spectateur une image de la Madone et des femmes pieuses tout aussi déchirante, mais moins théâtrale. Il est également difficile de ne pas penser à la Déposition de Rosso Fiorentino, à laquelle Rubens emprunte le détail de Nicodème accroché au sommet de la croix, le bras plié à angle droit, ou celui de Joseph d’Arimathie penché sur l’échelle et tendant la main vers le corps du Christ: des détails que le peintre flamand rappelle en peignant les deux personnages suspendus au bras horizontal de la croix, qui se trouvent à un niveau plus élevé que Nicodème et Joseph d’Arimathie, qui, au contraire, tiennent le linceul en contrebas. Un autre précédent illustre est la Déposition de Cigoli, aujourd’hui à Florence, au Palais Pitti: la disposition développée verticalement et certains détails (la posture de saint Jean, la tête posée sur l’épaule de Jésus, la Madeleine agenouillée, de dos, au pied de la croix dans une attente frémissante, ou le personnage qui abaisse Jésus par le haut) pourraient suggérer que Rubens a vu l’œuvre du peintre toscan. Si c’est le cas, Rubens s’est peut-être aussi tourné vers Cigoli pour la clarté qui se dégage de l’œuvre, contrairement à Barocci et Rosso Fiorentino.

Pieter Paul Rubens, Déposition
Pieter Paul Rubens, Déposition (1611-1614 ; huile sur panneau, panneau central 421 x 311 cm, panneaux latéraux 421 x 153 cm ; Anvers, cathédrale Notre-Dame)


Comparaison entre le tableau de Rubens et la déposition de Federico Barocci
Comparaison du tableau de Rubens et de la Déposition de Federico Barocci


Comparaison entre le tableau de Rubens et la déposition de Rosso Fiorentino
Comparaison du tableau de Rubens et de la déposition de Rosso Fiorentino


Comparaison entre le tableau de Rubens et la déposition de Cigoli
Comparaison du tableau de Rubens et de la déposition de Cigoli

Le dernier tableau réalisé par Rubens pour la cathédrale d’Anvers est le Retable de l’Assomption, dont l’origine remonte à une commande que l’artiste remporta lors d’un concours annoncé en 1611, battant son propre maître, Otto van Veen (Leyde, 1556/1558 - Bruxelles, 1629), qui présenta une esquisse mais ne put rien faire face au flair et à l’énergie de son ancien élève. Rubens réalise une première Assomption qui, pour des raisons encore inconnues, n’aboutira jamais dans la cathédrale et sera plutôt destinée à l’église des Jésuites d’Anvers, alors qu’elle se trouve aujourd’hui au Kunsthistorisches Museum de Vienne. En 1618, Rubens présente un nouveau modèle, celui de l’œuvre qui prendra place sur le maître-autel de la cathédrale. L’année suivante, le doyen de la cathédrale, Johannes del Rio, prend en charge tous les frais de l’œuvre en échange d’un monument dans l’église. Mais l’œuvre est longue à réaliser, le doyen disparaît en 1624 sans avoir vu l’œuvre achevée, et Rubens ne se décide que l’année suivante à terminer son tableau, qui est installé sur le maître-autel de la cathédrale en 1626.

Parmi les œuvres réalisées pour la cathédrale, l’Assomption est de loin la plus impressionnante: elle mesure près de cinq mètres de haut. La Vierge, patronne de la cathédrale d’Anvers, est portée au ciel par un large groupe d’angelots soutenant son nuage, tandis que dans le registre inférieur de la composition, les apôtres regardent la scène avec étonnement (l’un d’eux, incrédule, se penche même pour mieux voir à l’intérieur du tombeau). Tout autour, quelques anges complètent le tourbillon d’air et de nuages qui contribue à faire de ce tableau un exemple accompli de la peinture baroque la plus spectaculaire. Ici, le modèle de référence de Rubens est l’Assomption de Titien dans la Basilique des Frères à Venise, dont il reprend l’idée de diviser la composition en deux registres (l’un dédié à la Vierge, l’autre aux apôtres), ainsi que certains éléments comme la pose de la Vierge, celle de saint Jean, la disposition des apôtres autour du sarcophage, ou encore les putti soutenant les nuages. Mais les différences sont aussi différentes et substantielles: alors que Titien avait voulu séparer clairement la sphère céleste de la sphère terrestre, en créant une sorte de division avec le nuage placé sur tout l’axe horizontal du retable, Rubens, au contraire, confond continuellement les deux plans, notamment là où les anges s’appuient sur les rochers du paysage (ce qui est présent dans l’œuvre du peintre flamand: il n’y avait que du ciel dans le tableau de Titien). Il s’agit donc d’une œuvre qui s’inscrit dans les débats théologiques de l’ époque: non seulement elle affirme l’importance de la figure de Marie, que les protestants avaient minimisée, mais, conformément aux préceptes de la Contre-Réforme, elle met en évidence le rôle de médiatrice de la Madone entre le monde terrestre et le monde divin. Enfin, certains ont décelé un détail romantique dans la femme vêtue de rouge à l’arrière-plan, derrière le tombeau. Il pourrait s’agir en fait d’un portrait de l’ épouse de Pieter Paul Rubens, Isabella Brant, décédée à l’âge de trente-quatre ans seulement en 1626, alors que le peintre était sur le point d’achever son œuvre: il aurait ainsi voulu rendre hommage à sa femme.

Pieter Paul Rubens, Assomption
Pieter Paul Rubens, Assomption (1618-1626 ; huile sur panneau, 490 x 325 cm ; Anvers, cathédrale Notre-Dame)


Comparaison entre le tableau de Rubens et l'Assomption des Frari de Titien
Comparaison du tableau de Rubens et de l’Assomption des Frari de Titien

Peu d’endroits au monde, comme la cathédrale d’Anvers, peuvent s’enorgueillir d’une présence aussi ostensible et significative d’œuvres d’un seul grand artiste qui a scellé certaines des pages les plus importantes de l’histoire de l’art de tous les temps. Aujourd’hui, ceux qui visitent l’église entreprennent en même temps un voyage de quinze ans dans la carrière du peintre baroque par excellence, découvrant sa vigueur, ses nouveautés, ses compétences techniques et ses sources iconographiques. Un voyage qui a fasciné les voyageurs de toutes les époques, dont beaucoup ont rempli des pages sur les chefs-d’œuvre de Rubens ou confié à leurs biographes le récit de leurs émotions: d’Alexandre Dumas au même Walter Scott mentionné au début, d’Harriet Beecher Stowe à Eugène Delacroix. Et qui continue d’exercer la même fascination aujourd’hui.

Bibliographie de référence

  • Joost van der Auwera, Sabine van Sprang (eds.), Rubens, l’atelier du génie. Autour des œuvres du maître aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, catalogue d’exposition (Bruxelles, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, du 14 septembre 2007 au 27 janvier 2008), Uitgeverij Lannoo, 2007.
  • Arnauld Brejon de Lavergnée (éd.), Rubens, catalogue d’exposition (Lille, Palais des Beaux-Arts, du 6 mars au 14 juin 2004), RMN, 2004
  • Jay Richard Judson, Rubens: la passion du Christ, Brepols Publishers, 2000
  • Simon Schama, Les yeux de Rembrandt, Mondadori, 2000
  • Irene Smets, La cathédrale Notre-Dame d’Anvers, Ludion Editions, 1999
  • Caterina Limentani Virdis, Francesca Bottacin, Rubens dall’Italia all’Europa, Atti del convegno internazionale di studi (Padova, dal 24 al 27 maggio 1990), Neri Pozza, 1990
  • Charles Scribner, Rubens, Harry N. Abrams, 1989
  • Frans Baudouin, Rubens à Anvers, Harry N. Abrams, 1977


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