Toute la terre est de l'art". La nature par et selon Hans Arp


La relation entre l'art et la nature est une constante dans l'œuvre de Hans Arp, l'un des fondateurs du dadaïsme. Cet article esquisse un parcours à travers ses œuvres à la suite de la grande exposition à la Peggy Guggenheim Collection (13 avril - 2 septembre 2019).

Pour Arp, l’art est Arp". Pour Arp, l’art est Arp: c’est ainsi que Marcel Duchamp (Blainville-Crevon, 1887 - Neuilly-sur-Seine, 1968) écrivait en 1949, entre sérieux et facétie, pour résumer en cinq mots la poétique de Hans Arp (Strasbourg, 1887 - Bâle, 1966). Trente-trois ans se sont déjà écoulés depuis que Duchamp et Arp ont fondé, avec d’autres artistes, le mouvement Dada. Tous deux étaient présents à l’ouverture du Cabaret Voltaire à Zurich en février 1916, tous deux ont participé à la réunion qui a donné naissance au nom “Dada”, et Arp lui-même a contribué à la diffusion des idées dadaïstes en Allemagne. Pourtant, il a été souligné que l’œuvre d’Arp ne présentait pas les caractéristiques souvent associées aux dadaïstes: la provocation ouverte, la violence, le cran, les solutions bizarres et inhabituelles, les montages, le ready-made. L’un des plus grands critiques du XXe siècle, Harold Rosenberg, a fait remarquer que si Dada était anti-art, Arp était un outsider. “Bien qu’Arp partageât l’opinion que l’art du passé avait épuisé son rôle de source d’inspiration, il n’a jamais douté de la valeur de l’art et n’a jamais voulu être autre chose qu’un artiste”. Pour Arp, Dada n’était pas une attaque violente, mais une sorte de récupération, une rédemption de l’art “des ruines des siècles”, comme il le disait: il était convaincu que Dada n’était pas une simple provocation, ni un simple bruit, ni une sorte de grande plaisanterie. Le destin du dadaïsme est au contraire de créer un art anonyme et collectif, comme il l’expliquera longuement dans un article publié dans Jours effeuillés en 1944: “les œuvres d’art concrètes n’auront plus besoin d’être signées par leurs auteurs. Ces peintures, ces sculptures (ces objets) devront rester anonymes, dans la grande étude de la nature, comme les nuages, les montagnes, les mers, les animaux, les hommes. Les artistes devront travailler en communauté comme les artistes du Moyen-Âge”.

L’aspiration à un art anonyme et collectif était la réponse d’Arp à l’embourgeoisement et à l’institutionnalisation de l’art contre lesquels les dadaïstes s’insurgeaient. Rosenberg a fait remarquer que “l’interprétation métaphysique de Dada comme une perte de soi” découlait peut-être aussi de la double nature de son identité: né dans une région frontalière, l’Alsace, d’une mère française et d’un père allemand, Arp a, tout au long de sa vie, utilisé indifféremment le nom allemand Hans et sa traduction française Jean, utilisant l’un ou l’autre en fonction du contexte. Avec son désir de réaliser un art collectif et anonyme, Arp voulait aussi que Dada redéfinisse les limites de l’art: “nous avons déclaré, écrit-il, que tout ce qui a une existence ou est créé par un homme est de l’art. L’art peut être mauvais, ennuyeux, sauvage, doux, dangereux, euphorique, laid, ou une joie à contempler. Toute la terre est de l’art. Bien dessiner est un art - le rossignol est un grand artiste. Le Moïse de Michel-Ange: bravo ! Mais même à la vue d’un bonhomme de neige inspiré, les dadaïstes disent encore ”bravo". Son œuvre était aussi une réponse à ce qui se passait autour de lui. Arp, comme tous les dadaïstes, avait vécu (et vivait encore, au moment où il fonda le mouvement avec Duchamp, Tristan Tzara, Marcel Janco, Richard Huelsenbeck et Hans Richter) le drame de la Première Guerre mondiale, avait connu les méfaits du nationalisme (auquel Arp s’opposait d’ailleurs, tout comme il s’opposait au militarisme), et avait vécu en direct les contradictions de sa patrie, une terre contestée: l’art ayant également conduit au monde dans lequel Arp vivait, l’art devait être changé, radicalement réformé. De sa conception très anti-institutionnelle de l’art découle également son grand intérêt pour les espaces naturels. La nature et la créativité humaine se rejoignent donc dans les premières œuvres d’Arp, des reliefs réalisés avec des matériaux naturels (bois), basés sur des formes qui se mélangent et s’additionnent de manière apparemment aléatoire (comme cela se produit dans la nature), avec des formes qui rappellent ce que l’on peut trouver dans la nature (un arbre, une plante, un rocher, un animal). Une sorte de nature sur laquelle la main de l’homme agit, quelque part entre abstraction et représentation.

L’exposition Arp’s Nature, une exposition monographique sur l’artiste strasbourgeois organisée d’abord au Nasher Sculpture Center de Dallas du 15 septembre 2018 au 6 janvier 2019, puis à la Peggy Guggenheim Collection de Venise entre le 13 avril et le 2 septembre 2019, a créé un parcours à travers les sculptures d’Arp provenant de différentes collections pour mettre en évidence deux aspects fondamentaux: la contribution d’Arp à la redéfinition de l’art, et le rôle que la nature a joué dans sa production. L’une de ses premières œuvres, Pianta-martello (Formes terrestres), réalisée en 1916 et actuellement conservée au Gemeentemuseum de La Haye (Pays-Bas), est l’une des sculptures les plus importantes pour comprendre les premiers développements de la poétique d’Arp: exposée la même année au Kunstsalon Wolfsberg de Zurich, elle est une concentration de formes naturelles (ou “terrestres”, selon l’expression de l’artiste), directement inspirées de ce qu’Arp a vu lors de ses promenades dans la nature. J’ai simplifié les formes“, explique Arp, ”et condensé leur nature en “ovales dynamiques”, représentations des processus éternels d’évolution et du devenir du corps. Le relief en bois Terrestrial Form [i.e. Plant-Hillary, ndlr], reproduit par Picabia dans sa revue 391, date de cette époque ; il commence une longue série sur laquelle je n’ai pas encore fini de travailler. Ce sont des formes de ce type qui ont inspiré les gravures sur bois que j’ai réalisées pour les livres de Tristan Tzara, Vingt-cinq poèmes et Cinéma calendrier du coeur abstrait". La fluidité et la superposition des formes deviennent en outre une référence symbolique à la transformation et à l’évolution: des concepts qui s’expriment également sur le plan pratique (Arp reviendra en effet sur son Plan-pièce de nombreuses années plus tard, par exemple en recolorant les formes individuelles: ce qui s’est produit avec plusieurs autres œuvres, par exemple avec la Chaussure bleue retournée avec deux talons sous une voûte noire, l’un de ses “objets-langage”, à mi-chemin entre la peinture et la sculpture, avec lequel l’artiste franco-allemand a créé un ensemble de formes qui peuvent se prêter à plusieurs interprétations, avoir plus ou moins de références à la réalité, être lues dans un sens ou dans l’autre, voire être orientées et suspendues de différents côtés et donc s’ouvrir à différentes significations même en fonction de leur orientation). Ce sont des images qui sont certainement influencées par l’environnement dans lequel Arp s’est formé: par exemple, elles peuvent être rapprochées de certaines réalisations de Vassily Kandinsky (Moscou, 1866 - Neuilly-sur-Seine, 1944), qui était entre autres un ami d’Arp et dont sa pratique graphique était très proche, mais ce sont en même temps des œuvres radicalement novatrices et inédites.

Portrait de Hans Arp (vers 1926). Avec l'autorisation de Stiftung Arp e.V., Berlin/Rolandswerth.
Portrait de Hans Arp (vers 1926). Courtesy Stiftung Arp e.V., Berlin/Rolandswerth


Tristan Tzara, Paul Éluard, André Breton, Hans Arp, Salvador Dalí, Yves Tanguy, Max Ernst, René Crevel et Man Ray. Paris, vers 1930. Avec l'autorisation de Stiftung Arp e.V., Berlin/Rolandswerth.
Tristan Tzara, Paul Éluard, André Breton, Hans Arp, Salvador Dalí, Yves Tanguy, Max Ernst, René Crevel et Man Ray. Paris, vers 1930. Avec l’autorisation de Stiftung Arp e.V., Berlin/Rolandswerth.


Hans Arp, Ground-plan (Earth Forms) (1916 ; bois peint, 62 x 50 x 8 cm ; La Haye, Gemeentemuseum). © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, par SIAE 2019. Avec l'autorisation du Gemeentemuseum Den Haag
Hans Arp, Plan-mart (Formes terrestres) (1916 ; bois peint, 62 x 50 x 8 cm ; La Haye, Gemeentemuseum). © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, par SIAE 2019. Avec l’autorisation du Gemeentemuseum Den Haag


Hans Arp, Chaussure bleue inversée avec deux talons sous une voûte noire (vers 1925 ; bois peint, 79,3 x 104,6 x 2,5 cm ; Venise, collection Peggy Guggenheim). © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, by SIAE 2019
Hans Arp, Chaussure bleue inversée avec deux talons sous une voûte noire (vers 1925 ; bois peint, 79,3 x 104,6 x 2,5 cm ; Venise, Peggy Guggenheim Collection). © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, par SIAE 2019


Hans Arp, Sans titre (dessin déchiré) (1934 ; collage de papier déchiré, encre et crayon, 24,5 x 22 cm ; Berlin/Rolandswerth, Stiftung Arp e.V.) © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, by SIAE 2019 Photo: Wolfgang Morell/Stiftung Arp e.V., Berlin/Rolandswerth
Hans Arp, Sans titre (dessin déchiré) (1934 ; collage de papier déchiré, encre et crayon, 24,5 x 22 cm ; Berlin/Rolandswerth, Stiftung Arp e.V.) © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, by SIAE 2019 Photo: Wolfgang Morell/Stiftung Arp e.V., Berlin/Rolandswerth


Vassily Kandinsky, Étude pour la vignette de l'
Vassily Kandinsky, Étude pour la vignette de l’“Introduction” à “Le spirituel dans l’art” (vers 1910 ; encre et crayon sur papier monté sur carton, 7,2 x 10,2 cm ; Munich, Städtische Galerie im Lenbachhaus)

Des reliefs tels que Hammer-plant ou Inverted Blue Shoe with Two Heels under a Black Vault constituent, selon Rosenberg, “l’invention la plus étonnante” de Hans Arp. Ses juxtapositions d’éléments souvent éloignés (la plante et le marteau en sont des exemples concrets) réverbèrent “la tradition des glissements de sens délibérés de Rimbaud”, en les matérialisant dans des formes plastiques élémentaires: et la sculpture, souligne encore l’universitaire américain, “fait exister comme objets les images verbales arbitraires d’Arp”. Des sculptures essentielles, simples, presque enfantines mais en même temps élégantes, humoristiques sans être farouchement provocatrices, où l’agencement des formes semble parfois régi par le hasard, reflet d’une activité irrationnelle. Nous nous trouvons d’ailleurs dans les années où Paul Klee cherchait les motivations les plus réactives pour faire de l’art, dans les années où Kandinsky inventait l’art abstrait en puisant dans des sources d’inspiration éloignées des sources traditionnelles, dans la période où l’on jetait les bases pour la naissance, dans les années 1920, du surréalisme. Le hasard, il faut le souligner, est l’un des éléments fondateurs de la poétique d’Arp: il apparaît dès ses premières réalisations, la disposition aléatoire des éléments est caractéristique de ses poèmes, et à partir des années 1930, il entrera également dans les titres de ses œuvres (par exemple, dans Objets disposés selon la loi du hasard). Le hasard permet également de comprendre le regard que l’artiste portait sur la nature. L’universitaire Catherine Craft, commissaire de l’exposition Arp’s Nature, a bien décrit les termes de la présence du hasard dans l’œuvre d’Arp: "contrairement à Kelly ou à son contemporain Marcel Duchamp, Arp ne systématise jamais son utilisation du hasard. Il l’utilise plutôt de manière intuitive, en laissant tomber des morceaux de papier [Arp a aussi eu recours aux lois du hasard dans ses collages, ndlr], mais en se réservant toujours le droit de changer la position dans laquelle ils sont tombés, tout comme il déplace les éléments des reliefs pour en déterminer la position, guidé par le toucher autant que par la vue. Ces approches aboutissent à des compositions qui, étonnamment, semblent à peine organisées. Arp ne renonce jamais à la maîtrise de son art, mais apprécie la manière dont les “lois du hasard” lui permettent d’intégrer l’expérience de la nature (cette incroyable disposition aléatoire des fleurs dans un pré) dans son œuvre, sans en imiter l’aspect extérieur".

Même après l’expérience Dada, la relation avec la nature continuera à animer l’art d’Arp. Dans Configuration Strasbourgeoise, un texte de 1931, Arp réitère les principes qui régissent son rapport à la nature: “nous ne voulons pas copier la nature, nous ne voulons pas reproduire, nous voulons produire, nous voulons produire comme une plante produit un fruit et non pas reproduire. Nous voulons produire directement et non de manière médiatisée”. Configuration Strasbourgeoise est un texte fondamental puisque Arp y expose son attaque contre l’art abstrait (ou plutôt contre le concept d’“abstraction” entendu dans un certain sens) et, à l’inverse, son désir d’arriver à unart concret, et approfondit, comme nous l’avons vu dans la proposition que nous venons de citer, le lien que l’art doit avoir avec la nature. Pour Arp, le concret n’établit pas nécessairement ce que l’art doit représenter: le concret est plutôt une opposition à l’apparence (pour Arp, l’abstraction était l’apparence) et à la stérilité, et l’art concret est un art dynamique, fluide, évolutif, énergique, vital, transformateur. L’art concret est un art dynamique, fluide, évolutif, énergique, vital, transformateur. Un art qui est le reflet de la nature et qui a plus à voir avec les processus créatifs qu’avec le résultat final. L’art ne s’oppose pas à la nature. Pour Arp, l’art et la nature ne font qu’un: dans l’un de ses écrits les plus connus, À propos d’art abstrait, qui est également devenu célèbre pour la définition de l’art qu’il contient (“l’art est un fruit qui pousse dans l’homme, comme un fruit sur une plante, ou un bébé dans le ventre de sa mère”), l’artiste se souvient d’une discussion avec Piet Mondrian sur le lien entre l’art et la nature: Mondrian faisait une distinction en affirmant que “l’art est artificiel et la nature est naturelle”, et Arp avait exprimé son mécontentement face à cette opinion en répétant que, selon lui, la nature ne s’oppose pas à l’art, car l’art provient lui aussi de la nature et est sublimé et spiritualisé par l’action de l’homme. C’est à partir de cette période, dès les années 1930, qu’Arp se consacre à la sculpture tridimensionnelle, et il intitule les premières œuvres qu’il réalise dans ces années " Concrétions “: le terme ”concrétion" renvoie non seulement à sa volonté d’aboutir à unart concret, mais aussi aux phénomènes de la nature elle-même (“La concrétion, écrira Arp, indique le processus naturel de condensation, de durcissement, de coagulation, d’épaississement, d’accroissement commun. La concrétion définit la solidification d’une masse. La concrétion fait référence à l’épaississement, l’épaississement de la terre et des étoiles. La concrétion désigne la solidification, la masse de la pierre, de la plante, de l’animal, de l’homme. La concrétion est quelque chose qui a grandi. Je veux que mon travail trouve une place modeste dans les bois, dans les montagnes, dans la nature”).

Les Concrétions sont des sculptures rondes qui résultent de l’union de composants plus petits, elles ont des formes sinueuses, elliptiques, elles présentent des éléments qui s’assemblent pour former des compositions inattendues et imprévisibles (la nature elle-même, après tout, est imprévisible). Ce sont des sculptures qui communiquent l’idée de métamorphose, de transformation, de croissance (Rosenberg a écrit que les sculptures d’Arp se présentent comme “des formes ambiguës liées aux formes de la nature: un torse peut aussi être une jambe, un légume se transforme en animal, une étoile pourrait être une étoile de mer, des bourgeons deviennent des seins”: (voir par exemple Head and Shell dans la Peggy Guggenheim Collection), leur rondeur devient presque synonyme de la force générative de la nature ainsi que d’une dimension de flux ininterrompu, et elles perdent le contexte narratif que le sculpteur avait au contraire imaginé pour certaines de ses créations antérieures (comme Three Annoying Objects on a Face, une œuvre à la base de laquelle Arp avait inventé une histoire liée à l’un de ses rêves). Les Human Concretions, tout comme les reliefs des années 1910, peuvent également être tournées: Arp, écrit Catherine Craft, “essaie d’offrir la même expérience de désorientation et de surprise même dans les sculptures qui conservent une orientation unique lorsque le spectateur tourne autour d’elles. [Les renflements, les dépressions et l’apparition soudaine de plans tronqués déconcertent les attentes quant à l’apparence des autres côtés de la sculpture, une manifestation physique de l’imprévisibilité qu’Arp avait trouvée même dans les lois du hasard”. Ce manque de reconnaissance, qui fait qu’une Concrétion humaine devient complètement différente lorsqu’elle est observée d’un point de vue qui n’est pas le point dominant, est ce qui différencie le plus Arp, souligne Craft, d’un artiste comme Constantin Brâncuși (Peștișani, 1876 - Paris, 1957), qui était tout aussi intéressé par l’étude des formes essentielles de la nature: pour Brâncuși, l’unicité est un élément important, tandis qu’Arp préférait “laisser les modulations complexes et les contours doux des sculptures être observés sans interférence”. À partir du milieu des années 1930, la sculpture d’Arp subit uneélévation vers le haut (on le voit par exemple dans Awakening, une œuvre de 1938): il s’agit d’une nouvelle poussée énergétique, une métaphore de la croissance de toute chose dans la nature, et elle est réalisée de manière dynamique, avec des torsions continues qui offrent néanmoins une sensation de grand équilibre et de mouvement vertical harmonieux.

Après avoir interrompu son activité sculpturale pendant la quasi-totalité des années 1940 (en partie à cause des vicissitudes de la Seconde Guerre mondiale, en partie à cause de l’abandon total de la sculpture pendant quatre ans après la mort de son épouse bien-aimée Sophie Tauber en 1943), Arp reprend la création de ses œuvres dans les années 1950, en se concentrant toujours sur les sculptures verticales, mais sans cesser d’innover et d’expérimenter. Les sculptures reviennent et, outre les formes rondes, elles expérimentent les coupes et les angles aigus, éléments que l’artiste avait déjà abordés dans les années 1930, mais qui réapparaissent dans son art avec une vitalité renouvelée (dans Daphné, par exemple, Arp expérimente ces caractéristiques sur du plâtre, l’un des matériaux qu’il utilise le plus fréquemment: le plâtre, dans ce cas, est même taillé) et avec une harmonie équilibrée, comme dans Torse avec pousses, une œuvre qui, précisément en raison de son équilibre, a été louée par le critique Eduard Trier dans l’introduction du livre sur les sculptures de Hans Arp entre 1957 et 1966, et qui, dans une seule forme, réussit à donner à une plante l’apparence d’un corps vivant et palpitant. Nature, poésie, vie et fécondité se retrouvent dans l’une des œuvres les plus significatives de la dernière phase de la carrière d’Arp: une œuvre qui a d’ailleurs représenté la première acquisition importante des frères Patsy et Raymond Nasher, qui ont commencé leur collection de sculptures dans les années 1950 (une collection qui constitue le noyau fondateur du grand musée de Dallas ouvert en 2003).

Hans Arp, Objets disposés selon la jurisprudence III (1931 ; huile sur panneau, 25,7 x 28,9 x 6 cm ; San Francisco, San Francisco Museum of Modern Art). © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, par SIAE 2019 Photo: Katherine Du Tiel/SFMOMA
Hans Arp, Objets disposés selon la loi du hasard III (1931 ; huile sur panneau, 25,7 x 28,9 x 6 cm ; San Francisco, San Francisco Museum of Modern Art). © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, par SIAE 2019 Photo: Katherine Du Tiel/SFMOMA


Hans Arp, Human Concretion (1934 ; marbre, 33,7 x 40,6 x 39,4 cm ; Norfolk, Chrysler Museum of Art). © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, par SIAE 2019 Photo: Ed Pollard/Chrysler Museum of Art
Hans Arp, Human Concretion (1934 ; marbre, 33,7 x 40,6 x 39,4 cm ; Norfolk, Chrysler Museum of Art). © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, par SIAE 2019 Photo: Ed Pollard/Chrysler Museum of Art


Hans Arp, Tête et coquillage (v. 1933 ; laiton poli, fonte des années 1930, 19,7 x 22,5 cm ; Venise, collection Peggy Guggenheim). © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, by SIAE 2019
Hans Arp, Tête et coquillage (v. 1933 ; laiton poli, fonte des années 1930, 19,7 x 22,5 cm ; Venise, collection Peggy Guggenheim). © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, par SIAE 2019


Hans Arp, Trois objets gênants sur un visage (1930 ; plâtre, 19 x 37 x 29,5 cm ; Silkeborg, Museum Jorn). © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, par SIAE 2019 Photo avec l'aimable autorisation du Museum Jorn, Silkeborg
Hans Arp, Trois objets gênants sur un visage (1930 ; plâtre, 19 x 37 x 29,5 cm ; Silkeborg, Museum Jorn). © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, par le SIAE 2019 Photo avec l’aimable autorisation du Museum Jorn, Silkeborg


Hans Arp, Awakening (1938 ; peinture à la craie verte, 47,4 x 24 x 23 cm ; Aarau, Aargauer Kunsthaus ; Don de Marguerite Arp-Hagenbach). © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, par SIAE 2019 Photo: Jörg Müller/Aargauer Kunsthaus, Aarau
Hans Arp, Awakening (1938 ; peinture à la craie verte, 47,4 x 24 x 23 cm ; Aarau, Aargauer Kunsthaus ; Don de Marguerite Arp-Hagenbach). © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, par SIAE 2019 Photo: Jörg Müller/Aargauer Kunsthaus, Aarau


Constantin Brâncuși, Oiseau dans l'espace (1924 ; bronze poli, base en marbre noir ; hauteur 127,8 cm, circonférence 45 cm, base 16 cm ; Philadelphie, Philadelphia Museum of Art, The Louise and Walter Arensberg Collection)
Constantin Brâncuși, Oiseau dans l’espace (1924 ; bronze poli, socle en marbre noir ; hauteur 127,8 cm, circonférence 45 cm, base 16 cm ; Philadelphie, Philadelphia Museum of Art, The Louise and Walter Arensberg Collection).


Hans Arp, Daphné (1955 ; plâtre, 122,4 x 39 x 30 cm ; Berlin/Rolandswerth, Stiftung Arp e.V.). © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, by SIAE 2019
Hans Arp, Daphné (1955 ; plâtre, 122,4 x 39 x 30 cm ; Berlin/Rolandswerth, Stiftung Arp e.V.). © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, par SIAE 2019


Hans Arp, Torse avec bourgeons (1961 ; bronze, 188 x 32 x 30,5 cm ; Dallas, Nasher Sculpture Center). © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, par SIAE 2019 Photo: David Heald
Hans Arp, Torse avec pousses (1961 ; bronze, 188 x 32 x 30,5 cm ; Dallas, Nasher Sculpture Center). © 2019 Artists Rights Society (ARS), New York/VG Bild-Kunst, Bonn / © Jean Arp, by SIAE 2019 Photo: David Heald

L’héritage de Hans Arp sera repris par un grand nombre d’artistes. Ses formes sinueuses et sa volonté d’établir un lien direct, fluide et constant avec la nature auraient fasciné des artistes comme Henry Moore (qui doit beaucoup à la rondeur d’Arp dans la définition de sa poétique, à commencer par l’élément de la transformation des formes) et Agustín Cárdenas (ses formes essentielles, en dialogue ouvert et direct avec la nature, sont également redevables à l’art de l’Alsacien), et aux expériences les plus disparates, de Joan Miró à Claes Oldenburg (les sculptures géométriques en relief, qui font partie de la production moins connue du grand artiste pop, sont également liées à l’œuvre de Hans Arp), de Kurt Schwitters à Donald Judd, dont la critique enthousiaste du grand protagoniste de la saison minimaliste est citée dans le catalogue de Arp’s Nature. Judd a visité une exposition d’Arp en 1963 à la Sidney Janis Gallery de New York et a fait l’éloge des œuvres qu’il a vues: l’art d’Arp, écrit Judd, est “un nouveau corps en dehors de nous qui a une vie comme nous”, ses formes sont “aussi concrètes et sensuelles qu’une feuille ou qu’un caillou”.

En conclusion, la définition de Duchamp citée plus haut, “Arp est de l’art”, s’impose. Arp est un artiste difficile à étiqueter, car il a fait partie du groupe Dada, mais il a également abordé d’autres expériences (il a toujours été en contact avec les surréalistes, par exemple, s’est intéressé au constructivisme et a été un artiste animé d’une curiosité constante), tout au long de sa carrière, il a expérimenté les techniques les plus diverses, reformulant souvent ses idées, les changeant parfois radicalement, revenant parfois sur des idées qu’il avait eues auparavant et les retravaillant des années plus tard. Pour Arp, l’art fait partie de l’homme, c’est une activité qui naît et se développe dans l’être humain et le caractérise: en bref, pour Arp, l’art, c’est la vie. D’où l’utilisation de la nature comme interlocuteur constant, et d’où l’identification de Hans Arp à son propre art.

Référence Bibliographie

  • Catherine Craft (ed.), Arp’s Nature, catalogue d’exposition (Dallas, Nasher Sculpture Center, 15 septembre 2018 au 6 janvier 2019 et Venise, Peggy Guggenheim Collection, 13 avril au 2 septembre 2019), 2019, Peggy Guggenheim Collection (première édition 2018, Nasher Sculpture Center).
  • Eric Robertson, Arp: Painter, Poet, Sculptor, Yale University Press, 2006
  • Nathalie Roelens, Yves Jeanneret (eds.), L’Imaginaire de l’écran / Screen Imaginary, Brill, 2004
  • Harold Rosenberg, The De-Definition of Art, The University of Chicago Press, 1972
  • Lucy R. Lippard (ed.), Dadas on Art. Tzara, Arp, Duchamp and others, Prentice-Hall, 1971
  • Eduard Trier (ed.), Jean Arp. Sculpture 1957-1966, Thames & Hudson, 1968


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