Pour voir les mosaïques d’Enzo Tinarelli, il faut voir sa peinture ; pour voir sa peinture, il faut se perdre au milieu de ses mosaïques ; pour saisir l’âme de son art, il peut être utile de revisiter une contribution que Valerio Rivosecchi, aujourd’hui titulaire de la chaire d’histoire de l’art contemporain à l’Académie des beaux-arts de Rome, avait écrite au début des années 2000 sur la peinture que Tinarelli avait réalisée dans ces années-là : une peinture qui se présente aux yeux du spectateur “sous un aspect attrayant et décoratif, fait d’élégants équilibres spatiaux, de somptueux accords chromatiques, de volutes et de dissonances musicales”. À première vue, même certaines mosaïques de Tinarelli, surtout celles réalisées à cette époque (mais le même raisonnement peut être étendu à ses premières œuvres), peuvent apparaître comme une sorte de tourbillon chromatique, une partition schonbergienne, une explosion de lignes, de plans, de fragments, de couleurs, de nuances, traductions d’une idée de libre hasard que Tinarelli a toujours affirmée dès le début de ses recherches : L’art, me dit-il, est pour lui essentiellement un sabotage, l’affirmation d’un principe de liberté. Un postulat qui est resté stable tout au long de sa carrière, commencée à la fin des années 70 (la récente exposition organisée par Giovanna Riu à Carrare, dans les salles du Palazzo Binelli, intitulée Assolo per mosaico. Opere 1979-2024, l’a entièrement retracée), capable d’osciller continuellement entre la peinture, la mosaïque et le dessin, considérés comme trois moments autonomes d’une même recherche. Une recherche essentiellement gestuelle (et qui l’est restée au fil des années), une recherche qui trouve ses racines dans un tempérament culturel précis, dans ces décennies où l’art italien, après avoir cherché les sommets extrêmes de l’expérimentation sur le signe et la matière, a tenté de continuer à opérer une synthèse avec la tradition. L’art de Tinarelli est né de l’art informel qui, dans les années précédant sa formation, s’était répandu dans la région de la vallée du Pô : ses références et ses maîtres idéaux étaient, pour n’en citer que deux, Mattia Moreni et Germano Sartelli, des artistes qui partageaient un intérêt pour la matière, considérée comme un moyen d’expression chargé d’une tension physique, viscérale, gestuelle, et qui s’accompagnait ensuite d’une attitude radicale et d’une forte autonomie créative. Son maître matériel avait été Sergio Cicognani, qui avait travaillé avec Severini, Mathieu et Kokoschka, un artiste de métier, un “peintre de mosaïques” comme on l’appelait souvent, qui ne pouvait manquer d’initier son élève aux secrets de la mosaïque (et pour Cicognani, il est utile de le rappeler, un bon mosaïste doit aussi être un bon peintre). Cependant, on sent dans l’art de Tinarelli, dès le début, le désir précis de combiner l’expérimentation la plus moderne avec un fond plus ancien que lui-même, originaire de Ravenne, a trouvé dans la mosaïque byzantine. Et ce n’est pas seulement une question de technique : à aucun moment de sa carrière, la mosaïque ne s’est érigée en traduction de la peinture (comme ce fut le cas pour tant d’autres artistes). Tinarelli affirme vigoureusement l’autonomie de la mosaïque, Tinarelli réaffirme d’une voix de stentor la reconnaissabilité de la mosaïque, Tinarelli affirme la force de la mosaïque qui pour lui n’est pas seulement une question de couleur, mais aussi de lourdeur du travail, de lourdeur de la matière (bien qu’il se soit souvent montré capable de l’alléger presque jusqu’au point d’en faire une peinture), Tinarelli affirme la force de la mosaïque.La lourdeur d’une technique directe qui reflète l’idée de la mosaïque à Ravenne dans les siècles anciens, où les mosaïques avaient souvent une fonction pratique et quotidienne (elles étaient des bases pour les autels, les tables, les sols), mais aussi une fonction contemplative qui était renforcée dans la troisième dimension. La lumière domine la mosaïque et la transforme parce que la mosaïque est faite de signes, de matière, d’invention, de discontinuité, de timbres. La mosaïque, c’est la lumière qui devient solide.
Que cette idée soit à la base de l’œuvre de Tinarelli est en tout cas clair depuis longtemps : Enrico Crispolti, qui a écrit plusieurs textes pour Tinarelli, a pu déclarer sans détour dès 1989 que l’artiste romagnol “pratique la mosaïque comme un médium total, non pas comme un lieu de transfert d’images élaborées ailleurs, mais comme une occasion matérielle particulière. Ce qui permet donc la constitution d’une évidence icono-formelle étroitement corrélée à une diversité d’aggrégation matérielle, en termes d’épaisseur des tesselles, ou en termes de variété chromatique”. Et d’ajouter, déjà à cette époque, que Tinarelli “est l’un des rares opérateurs en mosaïque, même en mosaïque, de manière actuelle, c’est-à-dire en réessayant des possibilités linguistiques liées à une phénoménologie matérielle certainement particulière et à une technique à la fois ancienne et remise en question par de nouvelles instances de communication”. Et c’est ce qu’il est resté jusqu’à aujourd’hui : Un artiste rare, même s’il n’est pas rare d’entendre aujourd’hui le terme “mosaïque”, au sens le plus large du terme (ce que nous voyons sur les ordinateurs est de la mosaïque, le pixel est le carreau, “mosaïque” est devenu un synonyme facile pour un mélange plus ou moins informe, parfois une stratégie, mais il s’agit toujours de prétextes, d’accidents). Un artiste qui a bien en tête ce qu’est, pour lui, la mosaïque : un fragment pourvu d’une idée d’unité. Enzo Tinarelli fait donc partie des rares artistes capables aujourd’hui, et peut-être pas seulement en Italie, d’exprimer la poésie, d’exprimer l’art autonome à travers la mosaïque.
Dès ses premières œuvres, détachées d’une phase plus expérimentale (une phase évidente dans les œuvres de la fin des années soixante-dix et des années quatre-vingt, les Compositions , dans lesquelles l’artiste de 18 ans, tout en essayant de s’engager dans une confrontation précoce avec le médium, révèle déjà une pleine maîtrise du matériau), une expressivité gestuelle énergique, pleine de vitalité, qui semble presque instinctive, est évidente : des œuvres comme Scorre a fiotti il terrore menaccioso (1984) et Matrice anamorfica (1985) démontrent plus que d’autres le désir de Tinarelli d’explorer toutes les potentialités d’une mosaïque qui non seulement semble presque exploser en tourbillons chromatiques, mais finit même par creuser la surface, créant des bosses, des creux, des montées, des descentes, des protubérances. La mosaïque, on le sait, est un travail de surface. Dans la mosaïque, il n’y a pas de perspective (en fait, la mosaïque nie la perspective). C’est une “peau”, dirait Tinarelli, mais c’est une peau qu’il essaie de rendre charnelle. L’artiste cherche donc la profondeur par tous les moyens. En travaillant sur l’irrégularité de la surface, ou, comme Tinarelli l’a fait dès le début, en expérimentant des techniques d’anamorphose plus ou moins poussées dans ses œuvres, en travaillant sur les regards latéraux. Dans les œuvres des années 80, il y a un signe irrépressible, ardent, intense, qui jaillit, qui s’élance, qui est doté d’une force expressive incandescente, c’est la vie qui devient geste et qui coule sur la surface de la mosaïque.
La vie, pourrait-on dire, au sens propre du terme, puisque l’un de ses axes de recherche, surtout entre la fin des années 1980 et les années 1990, a longtemps porté sur le principe même de l’existence : cellules, brins d’ADN, chromosomes qui trouvent inévitablement leur double dans la tesselle, tour à tour cellule, primordium, source, élément unitaire. Une investigation qui cherche à sonder les structures, les connexions, les réseaux qui régissent notre existence même en tant qu’organismes vivants. Rivosecchi rappelle que cette idée trouve son origine dans l’art byzantin : la croix mystique de Saint Apollinaire de Classe n’est pas une représentation, elle n’est pas une indication, mais elle est au contraire une vision directe de l’idée du Christ, elle est De même que les chromosomes et les brins d’ADN de Tinarelli ne sont pas une représentation de notre vie biologique, mais une vision de la science “à travers ses instruments magiques”, écrit Rivosecchi, “et maintenant certainement plus influente dans notre imagination que tous les symboles des anciennes religions”.
Il était donc naturel que cette exploration des origines biologiques de notre existence s’étende au-delà des références scientifiques qui avaient caractérisé la production des années 1990 : si, à cette époque, les œuvres étaient donc ancrées aux séquences cellulaires et, en général, à tous les symboles de l’organisation invisible de la vie humaine elle-même, depuis les années 2000, la poésie d’Enzo Tinarelli a transformé ce langage en une texture visuelle plus large, où l’élément structurel devient une évocation, un parcours, une mémoire en mouvement. La mosaïque, comme nous l’avons dit, est toujours pour Tinarelli un fragment, bien qu’ayant sa propre unité : ces dernières années, cette cohérence est devenue plus évidente, chacune de ses mosaïques semble être un morceau d’infini traversé par les chemins de notre existence. Il n’est pas rare de rencontrer, dans ses mosaïques les plus récentes, ce qu’il appelle des “traces génétiques”, dont les prodromes se retrouvent dans sa production antérieure : il s’agit de lignes, de filaments, de fragments parallèles qui traversent la surface de l’œuvre, comme des traces intérieures de nos vies. Elles ne sont donc ni rigides ni géométriques, mais elles ne sont pas non plus instinctives et désordonnées : elles coulent librement comme si elles dessinaient des partitions émotionnelles, elles sont des accents qui rendent manifeste une sorte de tension entre l’ordre et le désordre, entre la planification et l’instinct, comme si la mosaïque devenait une tentative de traduire une expérience de vie dans un langage essentiel. Plus précisément, l’une des preuves les plus élevées et les plus touchantes de ce courant est Se trouver dans la foule (2003), un tapis de billes polychromes dont les traces font allusion à la vie de l’artiste et de ses trois enfants, convergeant, se réunissant puis s’éloignant, parce que, me dit Tinarelli, c’est ainsi que fonctionne la vie elle-même.
Le motif de la piste (et, par conséquent, l’intérêt constant pour la biologie et la génétique) revient également dans les dernières œuvres(Isole, Slittamenti, Sospensioni, qui appartiennent à la production des dernières années), souvent même dans le titre(Piste funambule). La puissance de la couleur qui imprégnait ses œuvres antérieures a été quelque peu atténuée ici ; souvent les lignes de ses compositions traversent des pages de marbre blanc, mais Tinarelli reste un pur coloriste, au sens classique du terme, un artiste qui travaille, comme l’aurait dit Baudelaire, à définir les formes par le “contraste harmonieux des masses colorées”, exprimant sa poésie épique avec la vigueur et en même temps avec la délicatesse de ses élégantes textures chromatiques. Ces œuvres récentes, réalisées au cours des dix dernières années, partent d’idées abstraites sur lesquelles se greffent des éléments renvoyant à quelque chose de concret (flèches, flammes, portes, passages, traversées, rivières, ponts, crochets... ) avec l’idée de partir d’une donnée, suggérée par le titre, pour transporter le sujet ailleurs. L’existence, en effet, ne suit pas des trajectoires rectilignes, mais se déroule comme un chemin fait de détours, de retours et de révélations inattendues : ces trajectoires sont le sujet des œuvres les plus récentes de l’artiste de Ravenne. Une subtile oscillation temporelle est perceptible dans son travail, une volonté de dépasser la linéarité de la chronologie pour accéder à une vision plus profonde du temps, comme pour dire que le temps est un tissu plutôt qu’une séquence. C’est d’ailleurs le support même de la mosaïque qui active cette possibilité. Un art de composer et de recomposer, un acte poétique libre, joyeux, sérieux, solide et en même temps souvent ironique.
La production de Tinarelli comporte également une composante plus ludique, que l’artiste considère comme une forme de divertissement. La série Sui modi di dire cuore (Sur les façons de dire le cœur), commencée en 2010, en est un exemple. Il s’agit d’une recherche sur la forme du cœur en tant qu’archétype émotionnel, qui devient une réflexion légère, et en même temps empreinte d’inquiétude, sur notre affectivité quotidienne. (les mosaïques, qui reproduisent ironiquement des dictons et des proverbes ayant trait au cœur, sont toutes accompagnées de textes poétiques écrits par des amis, des artistes et des critiques dont le chemin a croisé celui de Tinarelli). Ou encore la série des livres inondés de 2003, un petit noyau d’œuvres résultant d’un événement tragique, à savoir l’inondation qui a frappé Carrare cette année-là et inondé l’atelier de l’artiste, lui faisant perdre de nombreux et précieux livres (et précieux dans tous les sens du terme : pour leur contenu et leur coût), y compris les catalogues bien-aimés sur les mosaïques de Ravenne ou les volumes sur l’histoire de la mosaïque : Tinarelli a donné une nouvelle vie à ces livres grâce à la mosaïque, en les transformant en éléments d’œuvres d’art capables de raconter cette perte sans aucun regret, avec l’idée que même un objet qui a cessé la fonction pour laquelle il avait été conçu peut revêtir de nouvelles significations.
Les œuvres de Tinarelli sont, par essence, des hymnes à la vie. Elles l’étaient dans les années 1980, elles l’ont été tout au long de son parcours artistique, et elles le sont encore, même lorsqu’elles prennent un visage plus ludique et plus enjoué. Les œuvres les plus récentes traduisent l’imagerie de l’artiste dans des formes poétiques qui renvoient à la condition humaine comme à un parcours fait de fragments d’expériences qui se stratifient, se séparent et se recomposent continuellement au fil du temps. Il ne s’agit pas de représentations de la vie, mais plutôt de visions. Des visions d’un artiste profondément amoureux de la mosaïque, profondément engagé dans la mosaïque. Des visions dans lesquelles la matière et l’idée vivent en symbiose totale : les références à la pratique de la mosaïque abondent jusque dans les titres, et il y a même un cas de titre onomatopéique qui fait référence au métier de mosaïste(Rito rode pick tack de 1988). Des visions dans lesquelles il n’est pas rare de voir l’ancien et le contemporain dialoguer, parfois même de manière directe, comme lorsque, en 2017, sa Tovaglia romagnola a été placée dans la crypte de la basilique de San Francesco à Ravenne pour l’édition de cette année de la Biennale del Mosaico. Des visions poétiques, en somme. Il semble presque que, par le biais de la fragmentation et de l’harmonie, d’une abstraction gestuelle et contrôlée, d’un signe qui donne vie à la surface, Enzo Tinarelli veuille suggérer que toute existence se construit dans la rencontre entre le chaos et l’ordre, entre la logique et l’irrationalité, entre le passé et le présent.
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