Jules van Biesbroeck et le centaure, symbole de l'homme moderne


Dans l'art du XIXe et du XXe siècle, l'artiste flamand Jules van Biesbroeck a réinterprété le mythe classique, en particulier celui du centaure, dans le cadre de la culture symboliste et idéaliste. Le centaure n'est alors plus seulement un mythe, mais devient un symbole de l'homme moderne. Une exposition à Modène permet de redécouvrir cette lecture et cet artiste singulier.

Dans le vaste panorama des arts entre le XIXe et le XXe siècle, la figure singulière et encore peu connue du peintre belge Jules van Biesbroeck (Portici, 1873 - Bruxelles, 1965) représente un cas significatif pour comprendre les modalités de réinterprétation du mythe classique dans le cadre de la culture symboliste et idéaliste du début du XXe siècle. Peintre et sculpteur d’origine flamande, mais né en Italie et actif entre l’Europe et l’Afrique du Nord, Van Biesbroeck a su combiner dans son œuvre des instances esthétiques, des tensions spirituelles et des préoccupations éthiques, dans un langage figuratif qui évolue entre la tradition académique et les ouvertures modernes. La galerie BPER Banca a récemment remis l’œuvre de cet artiste à l’honneur avec l’exposition Ferine Creature. Centaures, faunes, mythes dans l’œuvre de Jules van Biesbroeck et dans l’imaginaire moderne, sous la direction de Luciano Rivi (du 18 avril au 29 juin 2025 à Modène, au siège de la Galleria Bper Banca), consacrée à la veine symboliste du peintre belge, représentée dans la collection du Groupe BPER par un noyau significatif de pas moins de 39 œuvres comprenant des dessins, des peintures et des sculptures.

Parmi ses sujets les plus emblématiques figure la représentation du centaure, l’une des images mythologiques les plus symboliques de la culture européenne. L’œuvre de Van Biesbroeck, l’une des plus significatives de sa production, que l’on peut dater avec une bonne approximation des années qui ont suivi la Première Guerre mondiale, représente la créature mythologique en train d’élever en triomphe les cornes de la proie qu’il vient de tuer, dans une pose qui allie tension musculaire et affirmation instinctive. Il s’agit d’une peinture qui, tout en s’inspirant d’une tradition ancienne, s’adresse directement à la modernité : non seulement par les thèmes abordés, mais aussi par la fonction que le mythe assume dans un contexte culturel marqué par la crise de la raison et le désenchantement historique.

Jules van Biesbroeck, Centaure tuant un cerf (La mort du cerf) (vers 1918 ; huile sur faésite, 118 × 52 cm ; Ferrare, collection BPER Banca)
Jules van Biesbroeck, Centaure tuant un cerf (La mort du cerf) (vers 1918 ; huile sur faésite, 118 × 52 cm ; Ferrare, collection BPER Banca)

Un artiste entre nature, mythe et idéalisme

Van Biesbroeck est né à Portici, près de Naples, en 1873, fils d’un peintre flamand passionné par l’Italie et sa culture artistique. Sa formation, dès son plus jeune âge, est basée sur le dessin et la copie, mais se développe de manière autonome, en confrontation directe avec les grands maîtres du passé et les ferments artistiques de l’époque. Après ses premiers succès dans le domaine de la peinture religieuse et allégorique, l’artiste s’essaie à la sculpture et obtient une reconnaissance importante en Belgique et en France. Mais c’est surtout dans les trente premières années du XXe siècle que sa production atteint une maturité expressive reconnaissable, sous la bannière d’un symbolisme qui allie spiritualité, mythologie et réflexion sur la destinée humaine.

Son parcours artistique se nourrit d’une imagerie complexe: d’une part, la sensibilité religieuse protestante de l’Europe du Nord, orientée vers la méditation sur le péché, la chute et la recherche de la grâce ; d’autre part, l’influence du paysage et de la culture méditerranéenne, dont l’artiste s’est imprégné lors de ses longs séjours en Sicile, à Capri et à Bordighera. Le mythe, en particulier, constitue pour Van Biesbroeck une forme d’exploration de la condition humaine dans sa globalité, à travers des allégories visuelles qui croisent nature, psyché et spiritualité.

Jules van Biesbroeck, Étude pour
Jules van Biesbroeck, Étude pour “Le séjour heureux” (1918 ; pastel sur carton, 38 × 57 cm ; Ferrare, Collection BPER Banca)

La figure du centaure chez Van Biesbroeck : racines et interprétations

Le choix du centaure comme sujet de l’une des peintures les plus connues de Van Biesbroeck réside dans ce tableau. Cette figure hybride, mi-homme mi-animal, trouve ses racines dans la mythologie grecque, mais a connu un regain d’intérêt chez les artistes et les écrivains à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Emblème de la duplicité humaine - instinct et intellect, nature et culture - le centaure devient une image chargée de significations ambivalentes : il peut représenter à la fois un désir de retour à la vitalité originelle et une menace, une régression vers un état sauvage et incontrôlé.

Dans la version proposée par Van Biesbroeck, l’élément de férocité prévaut. Le centaure apparaît comme une figure de pouvoir panique, dans une scène qui rappelle visuellement les suggestions de D’Annunzio contenues dans le texte La morte del cervo (La mort du cerf ) du recueil Alcyone (1903), mais qui, par rapport à la poétique de l’auteur italien, semble accentuer la dimension dramatique. Le poème de D’Annunzio, lui-même inspiré par d’autres sources, comme les Métamorphoses d’Ovide ou le roman Le centaure de Maurice Guérin, rend en termes esthétiques la violence d’un combat entre un centaure et un cerf (Il Centauro afferrato avea pei palchi / delle corna il gran cervo nella zuffa, / come l’homme par derrière saisit / l’ennemi et l’attire, jusqu’à ce qu’il le piétine // à terre pour lui briser le dos / et le col de l’utérus sous son talon, / ou comme dans le foia l’étalon / sa jument l’assaille pour la rassasier. // Erto à l’emprise de la crinière cornée, / de ses deux pattes il saisit le dos / du cervidé, le dépassant de son torse, / le pressant de tout son soma. // Frénétique, le cerf reculait / sous lui, les yeux renversés, le cou brun / gonflé de colère et beuglant, à chaque affaissement / répandant crûment des flocons de bave sur le sol) : c’est finalement le centaure qui l’emporte, de manière brutale (l’être mythologique saisit le cerf par ses bois et, en le fendant, parvient à lui fendre les os du crâne, ce qui le tue).

Dans le tableau de Van Biesbroeck, le fait de relever les bois déchirés de la victime est un geste qui communique la tension, la lutte, plutôt que le triomphe. Le souvenir de la Première Guerre mondiale, avec sa dévastation matérielle et spirituelle, pèse peut-être aussi sur l’interprétation de l’œuvre. “Nous pouvons imaginer”, écrit Luciano Rivi, "que quelques années après avoir composé le laude proposé dans la collection Alcyone, disons environ quinze ans, Jules van Biesbroeck, certainement sensible à la production culturelle italienne, a également trouvé dans les vers de D’Annunzio, et dans la riche série de références littéraires et figuratives correspondantes provenant d’un contexte européen, une source d’inspiration significative pour sa peinture. Le prétexte, en quelque sorte, pour ressusciter cette figure qui n’a cessé d’inspirer écrivains et artistes au cours des siècles. Les récents événements de la guerre auraient poussé dans le sens d’une expression de férocité".

Jules van Biesbroeck, Lotta di due centauri. Fin d'une vieille lutte (1921 ; pastel et aquarelle sur carton, 29,5 × 42,6 cm ; Ferrare, collection BPER Banca)
Jules van Biesbroeck, Lutte de deux centaures. Fin d’une vieille querelle (1921 ; pastel et aquarelle sur carton, 29,5 × 42,6 cm ; Ferrare, collection BPER Banca)

Entre symbolisme et désenchantement

L’image du centaure ne doit donc pas être lue comme une simple transposition d’un sujet mythologique, mais comme un nœud symbolique qui relie différents niveaux de signification. Elle est aussi le résultat d’une orientation culturelle largement répandue parmi les intellectuels de l’époque, qui reconnaissent dans le mythe une forme de résistance à la vision matérialiste et positiviste du monde. Des philosophes comme Nietzsche et Schopenhauer avaient déjà indiqué la nécessité d’un retour à une dimension instinctive, dionysiaque, en opposition au culte de la rationalité abstraite. Dans cette perspective, le centaure n’est pas seulement une créature de légende, mais devient une figure épistémologique: une manière de penser l’homme dans ce qu’il a de plus profond et de plus contradictoire.

Van Biesbroeck lui-même partage avec de nombreux artistes symbolistes l’idée que l’art doit devenir porteur d’un message universel, capable d’évoquer le mystère, la souffrance, l’énigme de l’existence. Ses œuvres ne manquent pas de références bibliques(Adam et Eve, Abel, Samson), mais c’est surtout dans le mythe grec que l’artiste trouve un langage plus direct et archétypal. En ce sens, la figure du centaure côtoie celles des sirènes, des nymphes et des muses, toutes présentes de manière récurrente dans son imaginaire, et souvent situées dans des paysages méditerranéens chargés de valeur symbolique. Dans l’œuvre de Van Biesbroeck, écrit encore Rivi, subsiste “cette attitude d’attention à la réalité par le biais de l’idéalisation, visant à remonter des contingences du monde à ses principes généraux. Même le mythe, avec ses différentes figures, aurait à ce moment-là été utile pour mieux étudier les lois plus générales de l’univers. C’est le rapport à la nature qui constitue pour Van Biesbroeck l’occasion d’une profonde réflexion. L’Italie, avec ses paysages, aurait joué un rôle important à cet égard. Les paysages méditerranéens pouvaient facilement devenir un lieu de l’âme. Mémoire à la fois d’une condition réelle et idéale, comme dans une Arcadie antique, la mer et la terre permettaient à l’homme de se projeter dans une dimension de parfaite harmonie avec la nature. La réalité et le mythe, ce point, pouvaient presque coïncider”.

Jules van Biesbroeck, Daphnis et Chloé (1914 ; pastel sur carton, 18,5 × 27,5 cm ; Palerme, Galleria d'Arte Moderna)
Jules van Biesbroeck, Daphnis et Cloe (1914 ; pastel sur carton, 18,5 × 27,5 cm ; Palerme, Galleria d’Arte Moderna)
Œuvres de Jules van Biesbroeck à l'exposition Ferine Creature
Œuvres de Jules van Biesbroeck à l’exposition Ferine Creature

L’homme hybride comme figure de la modernité

Considérée dans le contexte plus large de son époque, la figure du centaure apparaît également comme le reflet d’une condition anthropologique moderne. Parmi les références les plus évocatrices proposées par le débat culturel de l’époque, on trouve une définition de D’Annunzio, qui décrit l’homme contemporain comme “un centaure, infirme et mutilé, qui reconstitue le mythe primitif en reconnectant indissolublement son génie avec l’énergie atroce de la nature”, déchiré entre sa propre intelligence technique et une nature profonde et sauvage. Le mythe, dans ce cas, n’est pas un refuge, mais une manière de mettre à nu les contradictions de l’individu, son impossibilité de coïncider avec lui-même.

Les réflexions ultérieures de la psychanalyse et de la philosophie existentialiste vont également dans ce sens. D’une certaine manière, le centaure de Van Biesbroeck anticipe la crise d’identité du XXe siècle, le sentiment d’être des êtres composites, soumis à des pulsions divergentes, partagés entre rationalité et pulsion. Une figure, donc, non seulement esthétique, mais aussi théorique, qui interroge le spectateur non seulement visuellement, mais aussi conceptuellement.

Bien qu’enraciné dans la culture symboliste et de la fin du XIXe siècle, le centaure de Van Biesbroeck préfigure également une réflexion qui sera reprise au cours du XXe siècle par d’autres langages et d’autres formes artistiques. Du surréalisme à la poétique de l’art métaphysique, l’utilisation de figures mythiques et d’hybrides corporels continuera d’exprimer, plus ou moins explicitement, une contestation de la modernité et de ses idéologies rationalisantes. Dans la seconde moitié du siècle, le centaure pourrait se transformer en une figure encore plus ambivalente, contaminée par la machine ou les éléments synthétiques, devenant ainsi l’emblème des nouvelles tensions liées au corps, au genre et à l’identité. Mais déjà dans l’œuvre de Van Biesbroeck, le sens profond du mythe se révèle dans sa capacité à tenir ensemble des instances anciennes et des urgences modernes. La figure du bimembre, telle qu’elle est définie, agit comme un intermédiaire symbolique entre ce que l’homme a perdu - le contact direct avec la nature - et ce qu’il cherche à conquérir : une nouvelle forme de conscience, même tragique, de sa propre condition.


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