Apollon et Daphné de Gian Lorenzo Bernini, le plus spectaculaire des groupes bourgeois


L'Apollon et Daphné, chef-d'œuvre précoce de Gian Lorenzo Bernini, est probablement le plus pittoresque et le plus spectaculaire des groupes Borghèse, les œuvres du Bernin que l'on peut admirer à la Galerie Borghèse. Maîtrise, virtuosité, capacité à saisir un instant et les émotions des deux personnages.

Celui qui aime et poursuit les joies d’une beauté éphémère, remplit sa main de feuillage et cueille des baies amères". C’est ce couplet que l’on peut lire à la base d’Apollon et Daphné, le chef-d’œuvre de Gian Lorenzo Bernini ( Naples, 1598 - Rome, 1680) conservé à la Galleria Borghese de Rome, au centre de la salle qui tire son nom du très célèbre groupe de sculptures : c’est Maffeo Barberini qui a composé les deux vers en latin (“Quisquis amans sequitur fugitivae gaudia formae / fronde manus implet baccas seu carpit amaras”), qui était encore cardinal au moment où le Bernin a commencé à travailler sur son œuvre (il montera sur le trône pontifical, sous le nom d’Urbain VIII, le 29 septembre 1623) : Ainsi, l’intention moralisatrice initiale de l’œuvre commandée par le cardinal Scipione Caffarelli-Borghese, qui s’adresse au sculpteur, alors âgé de 24 ans, en 1622, pour donner forme au célèbre mythe païen dont les protagonistes sont Apollon, le dieu des arts, et la nymphe Daphné, fille du dieu fleuve Pénée, capturée dans la scène finale de l’épisode raconté par Ovide dans ses Métamorphoses. Le poète romain raconte qu’Apollon, après s’être vanté auprès de Cupidon d’avoir tué le redoutable serpent Python, dut affronter la vengeance du dieu sensible de l’amour, qui prépara deux flèches, l’une d’or et l’autre de plomb : la première faisait tomber amoureux ceux qu’elle touchait, la seconde suscitait un fort sentiment de répulsion.

Cupidon décocha la flèche d’or à Apollon et la flèche de plomb à Daphné : le dieu, dès qu’il vit Daphné, en tomba éperdument amoureux, et la nymphe, au contraire, le repoussa. Apollon désirait tellement Daphné qu’il se mit à la poursuivre pour l’atteindre et la posséder, et elle s’enfuit de peur : lorsqu’il devint évident que Daphné serait submergée, la jeune femme, désormais désespérée, supplia son père, demandant à être transformée afin d’échapper aux violentes convoitises d’Apollon. Peneus, pour sauver sa fille, la transforma en laurier: le dieu des arts ne put que constater la mutation et décida dès lors que le laurier deviendrait l’essence sacrée pour lui et qu’avec des feuilles de laurier il ornerait sa propre chevelure et celle des poètes et des vainqueurs.

Il faut trois ans au Bernin pour achever le groupe d’Apollon et Daphné, en raison d’une interruption : il doit suspendre les travaux en 1623 à la mort du cardinal Alessandro Peretti, qui vient de commander le David, œuvre que Scipione Caffarelli-Borghese lui demande d’achever pour lui : les énergies du sculpteur sont donc absorbées par le David, achevé en 1624. Ce n’est qu’à l’automne 1625 que le Bernin put terminer l’Apollon et Daphné, grâce aussi à l’aide de l’un de ses collaborateurs les plus talentueux, Giuliano Finelli de Carrare. Le paiement de la base exécutée par Agostino Radi remonte au mois de mars de la même année, l’installation dans la résidence du cardinal au mois d’août et le solde final (mille scudi : rappelons qu’à cette époque le salaire moyen d’un ouvrier qualifié était de trois scudi par mois) au mois de novembre. Trois ans pour achever un chef-d’œuvre immortel qui nous fascine encore quatre siècles plus tard, pour de nombreuses raisons, et pas seulement pour l’extraordinaire virtuosité technique dont l’artiste a fait preuve.

Gian Lorenzo Bernini, Apollon et Daphné (1622-1625 ; marbre de Carrare, hauteur 243 cm ; Rome, Galleria Borghese, inv. CV)
Gian Lorenzo Bernini, Apollon et Daphné (1622-1625 ; marbre de Carrare, hauteur 243 cm ; Rome, Galerie Borghèse, inv. CV)
Le groupe vu de face. Photo : Ministère de la Culture/Galleria Borghese
Le groupe vu de face. Photo : Ministère de la Culture/Galleria Borghese

Il n’était pas facile, en revanche, de concentrer l’épisode en une seule action. Le Bernin a choisi un moment particulièrement agité (et aussi extrêmement difficile d’un point de vue créatif et technique) : le moment où la transformation de Daphné en laurier vient de commencer mais n’est pas encore complètement achevée, de sorte que nous voyons progressivement ses jambes et ses bras se transformer en tronc et en branches, et les doigts de ses mains prendre l’aspect de feuilles. La crédibilité avec laquelle le Bernin décrit cette transformation, rendue encore plus passionnante par la forte impression de mouvement qui se dégage de la scène, est d’un impact extraordinaire : l’artiste saisit l’aboutissement d’une course angoissante, toujours en cours, avec la nymphe qui n’a peut-être pas encore compris qu’elle est désormais en sécurité et qui s’élance en tendant les bras vers le ciel pour s’éloigner le plus possible du dieu aveuglé par son désir féroce induit par Cupidon. Lui aussi est pris en flagrant délit de course, sa main gauche ayant atteint le ventre de Daphné, tandis que son bras droit est complètement tendu vers l’arrière pour faire comprendre à l’observateur qu’Apollon est toujours en train de courir.l’idée qu’Apollon court toujours (les jambes athlétiques du dieu sont d’ailleurs également en position de course), mais l’expression commence à trahir un certain étonnement, on commence à lire de l’émerveillement dans ses yeux, devant lesquels l’inéluctable est en train de se produire. Notons ensuite le flottement du pagne que porte Apollon, balancé par le vent, tout comme les cheveux de Daphné : cet effet contribue également à donner à l’action le fort sentiment de dynamisme que l’on remarque immédiatement en observant la scène sculptée. L’effort est encore accentué par la tension des muscles et des tendons d’ Apollon, rendus avec réalisme.

Et puis, sous nos yeux, le miracle se produit : Daphné hurle de désarroi, mais son beau corps, entièrement nu, a déjà commencé à se transformer. On ne voit plus son pied gauche, qui se confond avec la végétation. Les orteils de son pied droit deviennent des racines. Ses jambes prennent la forme d’un tronc, qui a déjà enveloppé toute sa jambe gauche. Et même une partie de son ventre est devenue de l’écorce. Et puis les doigts de ses mains sont déjà des branches d’où partent des rameaux chargés de feuilles de laurier. C’est précisément dans ces détails spectaculaires que l’on retrouve la main de Giuliano Finelli : l’érudit Damian Dombrowski a en effet décidé de lui attribuer les parties les plus difficiles techniquement du groupe, à savoir les feuilles, les brindilles et les racines, sachant que l’artiste de Carrare a souvent fait preuve d’une virtuosité audacieuse dans ses œuvres indépendantes. Kristina Hermann-Fiore, en revanche, a pris le contre-pied de cette hypothèse, estimant qu’il était difficile pour un assistant de remplacer le maître dans les “morceaux de bravoure”, également pour des raisons d’image vis-à-vis du client. La virtuosité s’apprécie également dans la manière dont le marbre imite la texture de différents matériaux : la douceur de la chair de Daphné, la légèreté des feuilles, la rugosité de l’écorce des arbres, la texture des muscles tendus d’Apollon. "Le groupe, observe Alessandro Angelini, conclut toute une période de recherche du Bernin autour de la sculpture sur un thème mythologique auquel l’artiste ne reviendra plus par la suite, et représente un sommet dans le rendu sensible des effets picturaux obtenus sur le marbre. Pour obtenir ces effets, le Bernin utilise habilement la perceuse pour les parties les plus fines et les plus délicates, ainsi que pour les cheveux, tandis que pour les parties moins minutieuses, l’artiste emploie, explique le sculpteur Peter Rockwell, “une grande variété de gradins, de la pointe à la pointe, de la pointe à la pointe, de la pointe à la pointe”.une grande variété de gradins, allant du calcagnolo (une marche à deux dents utilisée pour dégrossir après la subbia) à une série de gradins de trois à cinq dents, certains avec des dents pointues, d’autres plates, jusqu’à une marche relativement étroite à deux dents, utilisée pratiquement comme un outil de finition. Le but de cette variété de gradins était d’avoir la possibilité d’explorer des formes et des caractéristiques au fur et à mesure que l’on progressait dans la pierre. Contrairement à la subbia, la gradine clarifie suffisamment les formes pour que l’on puisse voir la figure plutôt que d’être visuellement attiré par la surface qui n’a pas encore été esquissée".

Les documents de l’époque nous permettent de nous faire une idée de la manière dont le groupe sculptural était installé, selon les instructions précises du Bernin : à l’intérieur de la troisième salle (celle où se trouve encore aujourd’hui l’Apollon et Daphné ), placée près du mur bordant la chapelle et l’escalier en colimaçon menant à l’étage supérieur, de manière à ce que l’observateur puisse voir le côté droit d’Apollon, lui permettant presque de le suivre dans sa course pour rattraper Daphné. Ceux qui entraient par la salle de la chapelle voyaient Apollon de dos. Bien qu’il s’agisse d’un point de vue privilégié par rapport aux autres groupes borgésiens, il est ici permis d’observer l’œuvre, écrit Angelini, “même sous des angles différents, et de contempler de près les cheveux de Daphné [...] ou la légère draperie d’Apollon s’enroulant autour de ses membres délicats”. Le côté gauche de la sculpture est donc resté tourné vers le mur, même si, comme l’a fait remarquer Anna Coliva, il devait y avoir un espace entre le mur et l’œuvre qui “permettait au mouvement des figures d’élargir l’espace naturel”. Il est probable, imagine l’universitaire, que l’emplacement ait été conçu pour que les figures avancent vers le centre de la pièce afin de donner plus d’air à leur expansion dans l’espace, et aussi parce que l’œuvre privilégie un moment de l’histoire qui accentue “le moment de l’arrêt, donc de l’arrêt de l’histoire”.le moment de l’arrêt, donc de l’achèvement de l’action, le véritable sommet narratif, par opposition à l’histoire de la course, donc de l’attente d’une conclusion, qui serait au contraire favorisée par le déplacement de l’œil du spectateur à travers un véritable chemin à parcourir du côté généralement indiqué“. L’œuvre n’était donc peut-être pas tout à fait parallèle au mur : En outre, ”l’axe longitudinal orienté vers le centre aurait également permis au groupe sculptural de se détacher en pleine lumière, afin que l’on puisse admirer la parfaite dynamique des profils, la finesse des supports matériels accordés aux membres, aux feuillages et aux cheveux, la virtuosité du décentrement, la libre circulation de l’air entre eux, en ayant pour fond la lumière et non le mur". La sculpture fut ensuite déplacée au centre de la pièce, c’est-à-dire à l’endroit où nous la voyons aujourd’hui, après 1785, lorsque Marcantonio IV Borghese réorganisa la collection de la splendide résidence dans le cadre des travaux de rénovation architecturale confiés à Antonio Asprucci et, sur une suggestion du sculpteur Vincenzo Pacetti, fit placer l’Apollon et Daphné dans sa position actuelle. Un dessin de Charles Percier daté de 1786, aujourd’hui conservé à l’Institut de France à Paris, documente la nouvelle et définitive disposition de la salle.

Détail de la figure de Daphné
Détail de la figure de
Daphné
Daphne de dos. Photo : Gaspar Alves
Daphné de dos. Photo : Gaspar Alves
Apollo. Photo : Francesco Bini
Apollon. Photo : Francesco Bini
Les personnages vus de l'arrière. Photo : Fabrizio Garrisi
Les personnages de dos. Photo : Fabrizio Garrisi
Le couplet sur la base. Photo : Zeri Foundation/Danesi Photo
Le couplet sur la base. Photo : Fondation Zeri/Photo Danesi

Quelles sont les sources iconographiques qui ont inspiré Gian Lorenzo Bernini ? Pour la figure d’Apollon, on a souvent fait référence à l’Apollon duBelvédère, la splendide statue de marbre, copie romaine d’un bronze grec de Leocare, trouvée à Anzio à la fin du XVe siècle et que le Bernin connaissait certainement : la langueur et la délicatesse du dieu du Bernin se retrouvent en effet précisément dans la statue que l’on peut admirer aujourd’hui dans les Musées du Vatican. On a noté que le Bernin a même reproduit les chaussures de l’Apollon du Belvédère, tant il s’est tenu au modèle de référence. Pour la figure de Daphné, en revanche, on a suggéré que le Bernin se serait inspiré d’une œuvre moderne, le Strage degli innocenti de Guido Reni, et en particulier du visage de la mère qui s’enfuit en criant dans la partie gauche du tableau : l’artiste bolonais avait achevé sa toile en 1611.

Quant au motif de la fuite, une scène de la voûte de la Galleria Farnese peinte à fresque par Annibale Carracci a été indiquée comme source iconographique possible, celle où l’on voit Acis et Galatée s’enfuir devant Polyphème qui leur lance un rocher : Les spécialistes ont en effet été surpris par la correspondance entre les figures des deux jeunes amants dans la fresque de Carracci et celle du Bernin, car la perspective de dos est très similaire et les jambes et les bras sont également placés à peu près dans la même position. Le Bernin connaissait certainement les fresques de la Galleria Farnese, notamment parce que nous savons qu’il était un “admirateur”, pour ainsi dire, d’Annibale Carracci, et il s’est peut-être inspiré de ce détail si plein de pathos, malgré le fait qu’il ait été, dans le passé, un peintre de l’époque, et qu’il n’ait pas eu l’occasion de s’y intéresser. plein de pathos, bien que, comme l’a encore souligné Anna Coliva, le monde d’Annibale Carracci était “alors très éloigné de la recherche, de l’esprit des années 1920, dans lequel le classicisme chaud et triomphant du grand maître avait déjà été élaboré, assimilé et ensuite transformé”. Les fresques de Carracci étaient en tout cas une sorte de mine iconographique pour le Bernin : même pour le Viol de Proserpine , les dettes envers l’œuvre de l’artiste bolonais ont été mises en évidence, et Rudolf Wittkower a bien souligné comment le sculpteur toscan avait pris l’habitude de regarder l’antiquité classique précisément à travers les yeux de Carracci, en subordonnant son observation de la réalité et son regard sur l’art antique à l’interprétation de Carracci. Toujours pour le moment de la course, un autre tableau de Guido Reni, l’Atalante et Hippomène, pourrait peut-être nous inspirer, surtout pour l’impression de mouvement que le Bernin a su donner à la scène et qui dans certains éléments (par exemple le drapé flottant d’Apollon, ou la chevelure de Daphné) rappelle le tableau de Reni. Même l’idée du voile qui part du bras du dieu, décrit un arc et s’enroule ensuite autour de son bassin pourrait dériver du tableau de Guido Reni : voyez comment la draperie d’Apollon suit de manière très similaire le parcours du voile d’Atalante lorsqu’elle se penche pour ramasser les pommes lancées par Hippomène. Là encore, Irving Lavin a souligné une relation possible avec l’Alphée et l’Aréthuse exécutés par le sculpteur florentin Battista Lorenzi pour la Villa del Bandino (aujourd’hui conservés au Metropolitan Museum de New York). Une gravure de Cherubino Alberti, dérivée d’une œuvre de Polidoro da Caravaggio, peut également apporter d’autres informations, notamment en ce qui concerne la représentation des drapés. Une autre gravure, réalisée par le “Maître de l’IB”, montre au contraire Daphné telle que le Bernin la représente : avec ses jambes déjà transformées en tronc et ses bras devenus des branches avec des feuilles.

La contribution des sources littéraires ne doit pas être sous-estimée. En effet, plusieurs chercheurs ont associé le groupe du Bernin à la poésie de Giambattista Marino (plus encore qu’à celle d’Ovide), notamment parce que le pictorialisme prononcé de la scène sculptée par le Bernin semble presque une traduction en images du sonnet sur la Transformation de Daphné en laurier, publié en 1620, soit deux ans seulement avant que le Bernin ne commence à sculpter son groupe : “Fatiguée, aspirant au rivage paternel, / comme un cerveau fatigué à la chasse, / courait en pleurant et le visage déconcerté / la vierge réticente et fugitive. // Et déjà le Dieu ardent qui la suivait, / avait atteint la trace de sa course, / quand il arrêta les plantes, leva les bras / et la vit, en hâte, dans ce qu’elle fuyait. // Il voit le beau pied de la racine, et voit (aïe le destin !) / que l’écorce rugueuse cache les membres vagues, / et l’ombre verte de la crinière d’or. // Alors il l’embrasse et la baise, et, de la blonde / frise romanesque, du tronc aimé / du moins, si le fruit n’est pas là, il cueille les feuilles”.

Art romain, Apollon du Belvédère (IIe siècle après J.-C., copie romaine de l'original grec de Leocare datant de 330-320 avant J.-C. ; marbre, hauteur 224 cm ; Cité du Vatican, Musées du Vatican)
Art romain, Apollon du Belvédère (IIe siècle après J.-C., copie romaine de l’original grec de Léocaré datant de 330-320 avant J.-C. ; marbre, hauteur 224 cm ; Cité du Vatican, Musées du Vatican)
Guido Reni, Massacre des Innocents (1611 ; huile sur toile, 268 x 170 cm ; Bologne, Pinacoteca Nazionale). Photo de Marco Baldassari
Guido Reni, Massacre des Innocents (1611 ; huile sur toile, 268 x 170 cm ; Bologne, Pinacoteca Nazionale). Photo : Marco Baldassari
Le groupe du Bernin comparé au Strage degli Innocenti de Guido Reni lors de l'exposition Guido Reni en 2022. Photo : Alberto Novelli
Le groupe du Bernin comparé au Massacre des Innocents de Guido Reni lors de l’exposition Guido Reni en 2022. Photo : Alberto Novelli
Annibale Carracci, Polyphème, Acis et Galatée (1595-1605 ; fresque ; Rome, Palazzo Farnese, Galleria Farnese)
Annibale Carracci, Polyphème, Acis et Galatée (1595-1605 ; fresque ; Rome, Palazzo Farnese, Galleria Farnese)
Guido Reni, Atalanta e Ippomene (vers 1615-1618 ; huile sur toile, 192 x 264 cm ; Naples, Museo e Real Bosco di Capodimonte)
Guido Reni, Atalante et Hippomène (vers 1615-1618 ; huile sur toile, 192 x 264 cm ; Naples, Museo e Real Bosco di Capodimonte)
Battista Lorenzi, Alfeo et Arethusa (1568-1570 ; marbre, 148,9 x 82,9 x 59,7 cm ; New York, Metropolitan Museum)
Battista Lorenzi, Alfeo et Arethusa (1568-1570 ; marbre, 148,9 x 82,9 x 59,7 cm ; New York, Metropolitan Museum)
Cherubino Alberti (de Polidoro da Caravaggio), Apollon et Daphné (1590 ; gravure, 154 x 141 mm ; Philadelphie, Philadelphia Museum of Art)
Cherubino Alberti (de Polidoro da Caravaggio), Apollon et Daphné (1590 ; gravure, 154 x 141 mm ; Philadelphie, Philadelphia Museum of Art)
Maître IB, Apollon et Daphné (vers 1500-1510 ; gravure, 295 x 208 mm ; Berne, Kunsthalle)
Maître IB, Apollon et Daphné (vers 1500-1510 ; gravure, 295 x 208 mm ; Berne, Kunsthalle)

L’accueil réservé au groupe sculptural du Bernin au XVIIe siècle est enthousiaste. La première mention connue d’Apollon et de Daphné dans la littérature se trouve dans la description de la Villa Borghèse par Giacomo Manilli en 1650, où il parle, de manière plutôt aseptisée et sans jugement, d’un “grand groupe de Daphné, suivi d’Apollon, qui commence à se transformer en laurier, œuvre du Cavaliere Bernini”. Plus tôt encore, ce sont les lettres qui conservent des traces de la réception du groupe : une lettre du 4 juin 1633 de l’érudit Lelio Guidiccioni, adressée au Bernin lui-même, dans laquelle certains des groupes, dont celui d’Apollon et Daphné, sont décrits comme d’“excellentes statues” qui “sont tenues en très haute estime”. D’autre part, un commentaire positif du voyageur anglais John Evelyn date de 1644 : dans son journal, il parle du “nouveau travail d’Apollon et Daphné par Cavaliero [sic] Bernini”, décrit comme une sculpture qui “est admirée pour sa blancheur pure et pour l’art de la statuaire, qui est stupéfiant”. Un autre voyageur qui a laissé une trace d’Apollon et Daphné est Paul Fréart de Chantelou, qui accompagna le Bernin en tant que traducteur lors d’une visite de l’artiste en France et qui, en 1665, rédigea un journal contenant également diverses informations sur le groupe Borghèse. Dans ce journal, Chantelou attribue une réaction très particulière au cardinal français De Sourdis, qui aurait fait remarquer à Maffeo Barberini que si l’œuvre avait été dans sa maison, il aurait eu quelques scrupules à la montrer, car la nudité d’une belle fille aurait pu troubler l’esprit de ceux qui l’auraient vue. En 1682, c’est au tour de Filippo Baldinucci, auteur de la Vita del cavaliere Gio Lorenzo Bernino scultore, qui en parle en termes enthousiastes : “Vouloir décrire ici les merveilles que ce grand ouvrage découvre dans toutes ses parties aux yeux de tous, ce serait faire beaucoup d’efforts pour ne rien conclure”.

Cependant, la critique n’a pas toujours été bienveillante à l’égard du Bernin : à l’approbation de ses contemporains a succédé, au XVIIIe siècle, une période de rejet, de silence, de jugements substantiellement négatifs, quand ce n’est pas de franches critiques, même à l’égard d’Apollon et de Daphné: par exemple, dans le journal des voyages en Europe du dramaturge espagnol Leandro de Moratín, le groupe bourgeois est jugé froid et sans âme. Antonio Canova n’était pourtant pas du même avis, et dans son journal, daté du 11 mars 1780, à la suite d’une visite à la Villa Borghèse, il écrit : “Je vis alors le groupe d’Apollon et Daphné du Bernin travaillé avec une telle délicatesse qu’il semble impossible, il y a les feuilles de laurier d’un travail merveilleux, beau encore est le nu que je n’ai pas cru tant que cela”. Peu après, en 1796, dans Sculture del palazzo della Villa Borghese de Luigi Lamberti et Ennio Quirino Visconti, nous lisons à nouveau une description très positive : le groupe d’Apollon et Daphné est décrit comme “l’un des monuments les plus distingués de l’art moderne” et aucun éloge n’est épargné au Bernin, malgré l’excitation qui, au milieu de la culture néoclassique, était considérée comme un défaut (“La finesse de l’œuvre exécutée à la perfection dans les des contre-dépouilles, et dans la subtilité des feuilles, des branches et des draperies, la douceur des chairs, la vérité et l’imitation exquise de tous les accessoires, et la grâce de l’expression même si elle est agitée, sont des mérites indiscutables de cet excellent groupe”.

Le flambeau de la critique négative sera repris au XXe siècle par Howard Hibbard qui, dans sa monographie de 1965 sur le Bernin, lui reproche d’avoir été excessif en raison de son jeune âge, et donc d’avoir produit une œuvre loin de la perfection, d’avoir fait preuve de virtuosité comme d’une fin en soi. En général, cependant, les jugements des critiques contemporains sont plutôt positifs : Pour Irving Lavin, par exemple,Apollon et Daphné est la sculpture qui illustre le mieux la signification de l’art classique pour le Bernin, ainsi qu’une œuvre qui représente bien son originalité (“La principale préoccupation du Bernin”, écrit Lavin, “était de créer une œuvre qui ne soit pas seulement une œuvre d’art, mais aussi une œuvre de virtuosité pour elle-même”.Lavin écrit : “Il s’agissait de présenter au spectateur une situation dramatique momentanée, et nous savons, grâce à des documents, que l’artiste a disposé le groupe contre un mur de manière à ce qu’il ne puisse être vu que d’un seul côté. En concentrant l’action des personnages, le Bernin a transformé tout le cours de la sculpture européenne”). Selon Andrea Bolland, qui a décritApollon et Daphné comme une œuvre qui parle également de la relation entre la sculpture et la poésie, le groupe “thématise les conditions de l’illusion elle-même : ce que l’on voit n’est pas ce que l’on obtient (et si le visage d’Apollon exprime son étonnement face à la distance entre ce qu’il voit et ce qu’il ressent, cet étonnement est une réponse tout aussi appropriée à l’artifice du Bernin). Le Bernin démontre ici que la sculpture peut avoir la même prétention à être une fiction convaincante que la peinture : la distance entre le marbre dur et la réalité de la chair est aussi grande (sinon plus grande) que celle entre la table et le monde tridimensionnel”. Toujours pour Maria Grazia Bernardini, avec cette œuvre, le Bernin, tout simplement, “rompt tout lien avec l’art antérieur et formule un nouveau langage, que l’on pourrait déjà qualifier de pleinement baroque”, et “atteint l’un des sommets de l’art de tous les temps”. Peter Rockwell a écrit que "tout sculpteur qui regarde l’Apollon et Daphné du Bernin ne peut que s’émerveiller". Une opinion partagée par des milliers de personnes qui se pressent aujourd’hui dans les salles de la Galerie Borghèse, souvent dans le but précis d’admirer les groupes du Bernin, de s’émerveiller de sa maîtrise et de ce grand théâtre baroque qui, avecApollon et Daphné, voit son aurore.


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